Mgr Ivan Jurkovic © RV

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Conférence internationale du Travail: le Saint-Siège plaide pour les jeunes et les femmes (traduction complète)

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Mgr Jurkovic dénonce le « colonialisme idéologique »

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« L’avenir du travail est l’un des plus grands défis de notre siècle », déclare Mgr Jurkovic, qui voit dans le domaine technologique en pleine expansion « le catalyseur du changement structurel que nous connaissons actuellement ». Soulignant qu’ « il serait (…) sage de mettre la technologie au service du bien commun », Mgr Jurkovic attire l’attention sur la « position marginale et vulnérable » des jeunes et sur la « discrimination à l’égard des femmes ».

Mgr Ivan Jurkovič, représentant permanent du Saint-Siège auprès de l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève, est intervenu à la 107ème session de la Conférence internationale du Travail à Genève, le 4 juin 2018

Le représentant du Saint-Siège dénonce par ailleurs « la tentative actuelle par certains de détourner le texte préparatoire de la Commission, en particulier le point 5, dans le but clair d’introduire des concepts controversés et de nouvelles définitions dépourvus de preuves scientifiques ou de consensus international et qui sont animés par un “colonialisme idéologique” ».

Voici notre traduction du discours prononcé par Mgr Jurkovič.

HG

Discours de Mgr Ivan Jurkovič

Monsieur le Président,

La délégation du Saint-Siège profite de l’occasion pour vous féliciter de votre élection à la présidence et pour remercier le Secrétariat pour tout le travail préparatoire accompli au cours des deux dernières années pour les activités du centenaire. Dans le contexte de ce centenaire, ma délégation voudrait redire que l’avenir du travail est l’un des plus grands défis de notre siècle, comme en témoigne l’engagement de l’Objectif 8 de la Communauté internationale pour le développement durable en 2015 (1). L’OIT, avec sa structure tripartite unique, sa compétence et sa longue expérience, reste l’un des acteurs les plus importants pour relever les défis de son mandat en matière de justice sociale à l’avenir.

Le monde connaît actuellement un changement fondamental et structurel, qui nécessite une analyse approfondie et une reconsidération de ce qu’est le travail et de ce qu’il signifie pour l’économie, la société et l’élaboration des politiques. En effet, les déséquilibres économiques et de pouvoir mondiaux croissants, les défis démographiques, sociaux et environnementaux croissants et l’instabilité financière cyclique persistante exigent non seulement une réflexion et un débat continus des décideurs politiques et des dirigeants à tous les niveaux, mais aussi un engagement soutenu et continu.

À l’ère du développement durable, le travail devrait rester un canal essentiel pour construire une société inclusive, en laissant de côté la mesure superficielle du progrès humain uniquement en termes de croissance économique et d’accumulation de richesses matérielles. Selon le Saint-Siège, le travail devrait signifier participer et contribuer à une société inclusive. Par conséquent, le développement humain intégral doit reposer sur trois piliers : le développement économique, l’inclusion sociale et la durabilité environnementale.

Cela implique une réévaluation du travail, le considérant comme une expression essentielle de la personne humaine, comme un moyen par lequel nous pouvons poursuivre la réalisation de nous-mêmes. L’inversion de l’ordre entre les moyens et les fins, où le travail comme bien devient un « instrument » et où l’argent est une « fin », est un terrain fertile pour la « culture du gaspillage » insouciante et amorale (2).

Le travail décent inclut également la notion d’un salaire juste. Sa détermination ne doit pas être laissée au seul caprice du marché mais doit inclure la justice et l’équité, afin de permettre aux gens de vivre une vie véritablement humaine et d’avoir un accès adéquat à tous les biens destinés à notre usage commun. Selon les mots du pape François, un salaire juste permet aux gens de « trouver un sens, un destin et de vivre dignement, de bien vivre » (3).

Les technologies avancées

Le catalyseur du changement structurel que nous connaissons actuellement demeure le domaine technologique en pleine expansion ; il crée de nouveaux défis auxquels nous n’avons pas encore trouvé de solution. L’économie a accepté les progrès de la technologie en supposant qu’elle a un impact purement positif sur la société. En réalité, la preuve montre que ce n’est pas le cas. La technologie et la mondialisation jouent un rôle majeur dans la polarisation progressive du marché du travail, tant dans les pays avancés que dans les pays en développement, un phénomène qui met à rude épreuve les sociétés qui ne se sont pas encore entièrement remises de la crise financière.

La crainte que la technologie puisse avoir des effets négatifs sur le nombre d’emplois et sur leur qualité n’est pas nouvelle ; aujourd’hui, cependant, nous avons besoin d’une compréhension approfondie de sa signification et de ses implications potentielles. Plus important encore, la tentation de remplacer les travailleurs par des machines à des fins de rentabilité soulève de graves problèmes éthiques, car elle élève l’efficacité économique et la productivité au détriment de la dignité humaine. Il serait plus sage de mettre la technologie au service du bien commun.

En outre, dans le Nord et le Sud, nous constatons une tendance à augmenter le nombre d’emplois au détriment de leur qualité. Dans de nombreux pays, avoir un emploi tout en restant pauvre est une réalité de plus en plus répandue.

Comme l’a noté le pape François : « Nous ne parlons pas simplement d’assurer une nourriture ou une “subsistance digne” pour tous, mais aussi leur “bien-être temporel général et leur prospérité”. Cela signifie avant tout […] un emploi, car c’est par le travail libre, créatif, participatif et solidaire que les êtres humains expriment et valorisent la dignité de leur vie » (4).

Les jeunes

Afin de construire un avenir durable, nous devons également impliquer les prochaines générations et compter sur elles. Le paradoxe est que, alors que nous devrions nous attendre à une plus grande contribution des jeunes, les tendances héritées du passé et du présent mettent les jeunes dans une position marginale et vulnérable. L’économie mondiale, bien qu’en croissance, n’est pas en mesure de créer suffisamment d’emplois de qualité (croissance sans emploi), en particulier pour les jeunes. Ce phénomène se manifeste également dans les pays émergents et dans les pays en développement où la création de nouveaux emplois reste faible par rapport aux taux de croissance élevés enregistrés par ces économies. Afin de construire un avenir inclusif, nous devons réagir et placer les jeunes au centre des problèmes de travail (5).

A cet égard, l’éducation et la formation professionnelle sont d’une importance primordiale pour doter la jeune génération des compétences et aptitudes qui lui permettront de tirer le meilleur parti de son talent et de le mettre au service de la société. Nous ne devons pas négliger le rôle des jeunes dans la diffusion de la technologie, les médias sociaux, la recherche et l’innovation, la participation à la vie démocratique, le renouveau éthique et le développement personnel. Les jeunes doivent être regardés d’une manière différente : de la préoccupation la plus sérieuse à la plus grande opportunité. Les jeunes peuvent devenir les catalyseurs d’une nouvelle vision de l’avenir du travail, en mobilisant les personnes de tous âges dans un processus centré sur le travail et l’inclusion.

Les femmes et le travail

L’ambition de la communauté internationale est de garantir un travail décent pour tous. Lorsque nous considérons la question du travail décent pour tous, nous devons être conscients que cela inclut tous les êtres humains, c’est-à-dire tous les hommes et toutes les femmes.

Il est urgent de mieux reconnaître l’égalité des droits des femmes sur le marché du travail, de respecter véritablement les tâches qu’elles accomplissent dans leur vie professionnelle, en tenant compte de leurs aspirations au sein de la famille et de la société dans son ensemble. Malheureusement, la réalité empêche encore aujourd’hui beaucoup de femmes d’être employées, souvent en raison d’une conception purement économique de la société, qui recherche continuellement des profits au détriment des plus vulnérables d’une manière qui dépasse les paramètres de la justice sociale.

Trop souvent, les femmes doivent encore choisir entre la famille et le travail et devenir mère demeure une source de désavantage au travail. Chaque femme a le droit de choisir entre être mère en même temps qu’elle mène une carrière professionnelle ou être mère et consacrer toutes ses activités à la famille.

La famille reste l’unité fondamentale de la société et doit donc être protégée. Les femmes représentent une partie vitale de la famille, fournissant une source essentielle d’unité domestique, tout en étant coresponsables avec les hommes dans l’éducation des enfants et dans la prise en charge du ménage. À ce stade, la société doit reconnaître la valeur sociale du travail d’une femme dans la famille et de son rôle spécifique en tant que mère. Sans une compréhension claire de cet aspect de la dignité humaine, la discrimination à l’égard des femmes ne sera jamais surmontée.

Les femmes et l’éducation

L’accès à l’éducation, à tous les niveaux, devrait être l’un des principaux moteurs de la promotion de la femme. C’est la condition préalable à l’accès à l’emploi, à l’autonomie personnelle et à la pleine participation des femmes à la vie économique, sociale et politique. L’éducation est le moyen de prévenir la pauvreté et de lutter contre toutes les formes de discrimination entre les différents types de professions, de manière à mettre les femmes et les hommes sur le même pied en termes de droits, de responsabilités et de niveaux de salaires.

Toutefois, des millions de jeunes filles, en particulier dans les pays en développement, sont toujours privées de scolarisation et d’éducation

Les femmes et l’esclavage

Le Saint-Siège condamne une fois de plus la violence au travail, le travail forcé, les formes modernes d’esclavage et la traite des êtres humains, qui touchent particulièrement les couches les plus vulnérables de la société, notamment les femmes et les filles, en particulier celles qui viennent des régions les plus pauvres du monde (6). Ces femmes sont, malheureusement, soumises à leur travail, alors que le travail devrait être au service de leur dignité humaine.

C’est la conséquence d’une « culture du relativisme […] qui pousse une personne à profiter d’une autre, à traiter les autres comme de simples objets, à leur imposer un travail forcé ou à les asservir […] » (7). Des formes contemporaines d’esclavage, la traite de personnes et le travail forcé devrait être traitées à leurs racines. Cette tâche commence par la reconnaissance de la source de la dignité humaine, avec une compréhension claire de ce que tous les hommes et les femmes sont égaux en dignité et qu’aucun être humain ne devrait être traité comme un simple objet ou comme un moyen de parvenir à une fin.

Monsieur le Président,

Permettez-moi, dans ce contexte, de réaffirmer la préoccupation du Saint-Siège pour les situations malheureuses où la dignité des femmes et des hommes est dénigrée par la violence, en particulier la violence sexuelle, et le harcèlement. Il est opportun que la communauté internationale fasse le bilan de tant d’expériences afin de faire face aux causes de ces crimes, de protéger les travailleurs et d’assurer la réparation pour les victimes. Il est donc encore plus regrettable d’assister à la tentative actuelle par certains de détourner le texte préparatoire de la Commission, en particulier le point 5, dans le but clair d’introduire des concepts controversés et de nouvelles définitions dépourvus de preuves scientifiques ou de consensus international et qui sont animés par un “colonialisme idéologique”.

De telles tentatives évitent d’aborder clairement et de prévenir efficacement les causes de la violence sur les lieux de travail et oublient la nécessité d’une assistance authentique à laquelle ont droit les victimes de harcèlement sexuel, femmes et hommes.

Monsieur le Président,

En guise de conclusion, ma délégation appelle la communauté internationale à parvenir à une “véritable égalité” dans tous les domaines d’activité. Comme le souligne le Directeur général dans son rapport de cette année : « l’égalité de traitement et d’opportunités sont une valeur fondatrice de notre organisation et au cœur de la justice sociale ». Ainsi, la solidarité se manifeste d’abord par une juste distribution des biens, une juste rémunération du travail et un zèle pour un ordre social plus juste (8).

Les femmes présentes dans tous les domaines de la vie sociale, économique, culturelle et politique apportent une contribution indispensable à la croissance et façonnent des structures économiques plus dignes de l’humanité. Atteindre le plein respect des femmes et de leur identité implique plus que la simple condamnation de la discrimination et des injustices. Ce respect doit avant tout être conquis par une campagne efficace et intelligente pour la promotion de la femme, y compris dans tous les domaines de la vie d’une femme et en commençant par une reconnaissance universelle de la dignité de la femme. Notre capacité à reconnaître cette dignité vient de l’usage de la raison elle-même, qui est capable de comprendre la loi de Dieu écrite dans le cœur de tout être humain. Merci, Monsieur le Président.

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  1. ODD Objectif 8 : « d’ici à 2030, assurer un plein emploi productif et un travail décent pour tous les hommes et toutes les femmes, y compris les jeunes et les personnes handicapées, et un salaire égal pour un travail de valeur égale », https: //sustainabledevelopment.un .org / sdg8.
  2. « Oeconomicae et pecuniariae quaestiones. Considérations pour un discernement éthique concernant certains aspects du système économique et financier actuel » de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et le Dicastère pour la Promotion du Développement humain intégral, 6 janvier 2018, 31.
  3. http://en.radiovaticana.va/news/2015/07/10/pope_francis_speech_at_world_meeting_of_popular_movements/1157291.
  4. Pape François, Lettre encyclique, Evangelii gaudium, 192.
  5. Par exemple : le marché du travail, le système éducatif, la famille, la formation, l’entreprise et la société active.
  6. Comme indiqué par l’OIT, les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par le travail forcé, représentant 99% des victimes dans l’industrie du sexe et 58% dans d’autres secteurs. Cf.http://www.ilo.org/global/topics/forced-labour/lang–fr/index.htm.
  7. Pape François, Lettre encyclique, Laudato si’, 123.
  8. Compendium du Catéchisme de l’Église catholique, N. 410-414.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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