Le Patriarche oecuménique Bartholomaios Ier

Le Patriarche oecuménique Bartholomaios Ier WIKIMEDIA COMMONS - Pvasiliadis

Nous sommes une communauté d’amour, par le patriarche Bartholomée Ier

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A Rome pour une conférence sur les styles de vie à l’ère numérique

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« L’Église est l’endroit du ‘commun’, affirme le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier : salut « commun », liberté « commune », bien « commun », ethos « commun » et obéissance « commune »… Nous sommes une somme d’individus, mais une communauté de personnes, une communauté d’amour. »
C’est ce qu’il a déclaré en intervenant sur le thème « Un agenda chrétien commun pour le bien commun » à la Conférence internationale intitulée « Nouvelles politiques et styles de vie à l’ère numérique » (24-26 mai 2018), organisée par la Fondation Centesimus Annus, à Rome et au Vatican. Des extraits de son discours ont été publiés par L’Osservatore Romano en italien du 27 mai 2018. Le 26 mai, le patriarche a été reçu par le pape François.
« Aujourd’hui nos Églises sont appelées à servir de défi positif à l’individu et aux peuples, a déclaré le patriarche, en offrant un modèle de vie alternatif au sein de la culture contemporaine qui a donné à l’humanité de précieux dons, mais semble en même temps pousser les personnes à vivre pour elles-mêmes, ignorant les autres. »
Bartholomée Ier a mis en garde contre « une attitude d’indifférence quand on se trouve face au scientisme, qui transforme l’être humain en un objet mesurable ».
Il a aussi souligné que « la réduction de l’être humain à un homo oeconomicus et la subordination de la personne humaine à la tyrannie des besoins » sont parmi « des atteintes contemporaines extrêmement graves à la culture de la solidarité ».
Voici notre traduction de l’italien des extraits du discours du patriarche Bartholomée Ier, avec l’autorisation du quotidien du Vatican.
MD
Discours du patriarche Bartholomée Ier
Aujourd’hui nous faisons face à une grave crise et à ses conséquences au niveau mondial. Nous considérons que cette crise mondiale est comme une « crise de la solidarité », un processus constant de « désolidarisation », qui menace l’avenir de l’humanité. C’est notre profonde conviction que l’avenir de l’humanité a des liens avec la résistance contre cette crise et à l’institution d’une culture de solidarité.
Alors comment est arrivée cette crise de solidarité ? Et quels sont ses paramètres et les domaines de la société où elle apparaît ? Pour répondre à ces questions, nous ferons maintenant référence à trois domaines où celle-ci se vérifie.
Le domaine de l’économie et de l’écologie.
Au cours de ces dernières années, nous avons vécu une immense crise économique, liée au processus de mondialisation et à ses implications, à une culture qui cède le pas à l’économie, l’augmentation de la pauvreté, de la faim et de la famine, et la tragédie de la migration de masse. Nous estimons que le « fondamentalisme du marché », la déification du profit, l’association entre la dignité et la propriété, la réduction de l’être humain à un homo oeconomicus et la subordination de la personne humaine à la tyrannie des besoins, sont des atteintes contemporaines extrêmement graves à la culture de la solidarité.
Et puis, le problème écologique est une question étroitement liée au développement économique qui est en constante évolution. L’économisme extrême cause de graves problèmes tant économiques qu’écologiques. Une économie autonomisée par rapport aux réels besoins de l’être humain porte inévitablement à une surexploitation de la nature et à la destruction du milieu naturel. Nous détruisons à nous seuls les conditions de notre survie et de la coexistence humaine au nom d’un profit et d’un avantage à court terme.
Le domaine de la science et de la technologie.
Les rapides progrès de la science et de la technologie apportent des effets bénéfiques, mais en même temps des résultats qui ne favorisent pas une culture de la solidarité. La technologie n’est plus au service de l’homme, mais plutôt sa principale force motrice qui, non seulement impose ses propres principes dans tous les aspects de la vie, mais exige en plus une totale obéissance. Les tout-puissants moyens de communication électroniques répandent des informations, mais transmettent aussi des valeurs — leurs valeurs —, refaçonnent nos idées par rapport au sens de la vie, orientent nos besoins, créant ainsi des exigences artificielles, et ouvrent le chemin vers un avenir qu’ils dominent.
Jamais comme aujourd’hui nous avons possédé autant de connaissance scientifique et agi de manière aussi violente et destructrice contre la nature et les êtres humains. Nous continuons même à produire des armes terribles de destruction de masse et risquons la possibilité d’une guerre nucléaire. En Occident, l’explosion de connaissance et d’informations a favorisé le désintérêt vis-à-vis des autres personnes, ainsi qu’un esprit d’individualisme et de déification de la propriété ; dans d’autres régions du monde, en revanche, la technologie coexiste souvent avec l’injustice sociale et le fondamentalisme religieux.
Le progrès scientifique et technologique n’offre pas de réponses aux problèmes existentiels plus profonds de l’être humain, ni ne les élimine. Donc, la science, la « grande puissance », après tout n’est pas toute puissante !
Le domaine de la société et de la politique
Une des tendances contemporaines les plus dangereuses pour une culture de la solidarité c’est l’individualisme, l’idolâtrie de soi-même et se piéger soi-même en tombant dans l’autosuffisance égoïste, qui crée des fossés entre les personnes. Aujourd’hui les mots qui prévalent sont « je », « moi je », « moi », « autonomie », « autoréalisation » et « auto admiration ». L’individualisme s’accompagne d’eudémonisme, dont le but dans la vie est de satisfaire le plus de besoins possibles, tout en créant et protégeant de nouvelles exigences.
Quand on se trouve devant ces réalités et à ces tendances contemporaines, quelle attitude se pose à nous, nous chrétiens ? Deux choses sont sûres. Tout d’abord que nous ne pouvons ignorer cette immense crise de solidarité, car les problèmes économiques et sociaux frappent les êtres humains au cœur de leur existence et dignité. Et puis, que personne ne peut affronter ces problèmes tout seul. Nous avons besoin les uns des autres, nous avons besoin d’un agenda commun, d’une mobilisation commune, d’efforts communs et d’objectifs communs. C’est notre profonde conviction que, dans cet engagement, la contribution de nos Églises reste fondamentale. Celles-ci ont gardé de hautes valeurs, un héritage spirituel et moral précieux et une connaissance anthropologique profonde.
Ces dernières décennies, nous avons assisté à une réévaluation du rôle de la religion pour l’existence humaine. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui les propos prononcés sur la prochaine « ère post-religieuse » ont été remplacés par des propos évoquant une « période post-séculière », dans laquelle les religions réclament et exercent un rôle public et participent à tous les efforts considérables de l’humanité.
Notre foi renforce notre engagement d’action humaine et étend notre témoignage de liberté, justice et paix. Nous sommes tous appelés à une responsabilité commune pour le bien commun. Nous devons chercher des solutions pour les défis que nous relevons ensemble. Notre anthropologie, notre idée de l’être humain et du but de sa vie, définissent notre attitude envers l’humanité et l’action sociale. Si nous voyons l’être humain comme homme-machine, il nous est facile de transformer la personne humaine en paria. Si nous considérons l’être humain comme une personne (prosopon) créée « à l’image » de Dieu, notre attitude change. Il est évident qu’une orientation générale sur le concept de «être humain » est insuffisante, car il est présumable que cet être humain n’est intéressé qu’à assouvir ses insatiables besoins. L’homme doit être affronté dans sa relation avec Dieu et par rapport à son destin éternel.
Aujourd’hui nos Églises sont appelées à servir de défi positif à l’individu et aux peuples, en offrant un modèle de vie alternatif au sein de la culture contemporaine qui a donné à l’humanité de précieux dons, mais semble en même temps pousser les personnes à vivre pour elles-mêmes, ignorant les autres personnes avec lesquelles elles partagent le même monde.
Le principal modèle de développement économique accentue dangereusement les problèmes environnementaux et agit contre les vrais intérêts de l’homme. Car il ne peut exister de développement humain durable au détriment de l’environnement naturel. Le modèle d’organisation de l’économie dans le cadre de la mondialisation devrait être remplacé par une économie écologique, une économie qui ait au centre les vrais intérêts de l’homme, servis seulement dans un milieu intact.
Nous trouvons particulièrement importante l’approche de la crise écologique en lien avec les problèmes sociaux. Comme le pape François, nous pensons que les développements économiques actuels dans le cadre de la mondialisation détruisent la cohésion sociale, la solidarité, et la fonction générale des relations interpersonnelles. Et c’est justement l’esprit de l’encyclique du pape Laudato si’ (2015) et notre Message commun pour la journée mondiale de prière pour la création (1er septembre 2017).
Il est impossible pour nos Églises de garder une attitude d’indifférence quand on se trouve face au scientisme, qui transforme l’être humain en un objet mesurable. Les Églises soulignent que la personne humaine renferme des dimensions auxquelles la science ne peut arriver. Ainsi, nos Églises expriment leur inquiétude pour cette automatisation de la science et de la technologie par rapport aux exigences vitales de l’être humain, pour les dépendances qui se créent et pour les dangers qui en découlent.
Nous sommes inquiets de voir notre liberté menacée, de voir nos précieuses traditions se perdre et l’environnement naturel se détruire.
Notre agenda chrétien commun comprend aussi le dialogue avec les droits humains. Nous avons le devoir de scinder l’essence et l’élan humaniste des droits humains de la compréhension individualiste du droit. Les attitudes généralement négatives de certaines Eglises vis-à-vis des droits humains ne se basent pas essentiellement sur des critères théologiques, mais plutôt sur des circonstances historiques et des préjugés réciproques. Dans le dialogue des droits humains, nos Églises ont la capacité de promouvoir leurs idées humanitaires et philanthropiques. Le Saint et Grand concile de l’Église orthodoxe a souligné que « l’idéal orthodoxe par rapport à l’homme transcende l’horizon des droits humains constitués et que « l’amour est le plus grand de tous » (par. 10). En effet, l’histoire de la liberté ne commence pas avec l’histoire des droits humains modernes.
Dans le titre de notre intervention, « Un agenda chrétien commun pour le bien commun », nous trouvons deux fois le mot « commun ». De fait, l’Église est l’endroit du « commun » : salut « commun », liberté « commune », bien « commun », ethos « commun » et obéissance « commune ». La vie dans l’Église est une anticipation et une attente de la « résurrection commune » et du « règne commun ». Nous sommes une somme d’individus, mais une communauté de personnes, une communauté d’amour.
Dans la communion de l’Église, l’Esprit et le cœur, la foi et la connaissance, la liberté et l’amour, l’individu et la société, l’être humain et toute la création sont tous réconciliés. C’est pour cette raison que l’Église s’oppose aux forces de division, individualisme et totalitarisme, oppression et exploitation, économisme et surconsommation, scientisme et déification de la technologie, ainsi qu’à la destruction de l’environnement naturel et à l’anthroponomie. La réponse aux divisions et aux impasses de la liberté humaine est le Logos de Dieu incarné.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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