« Je me souviens de sa dernière audience générale, le mercredi 27 février, la veille de son départ pour Castel Gandolfo. Place Saint- Pierre, une foule immense était rassemblée, pour rendre grâce à Dieu et remercier le pape de tout ce qu’il avait fait pour l’Église » : le p. François-Marie Léthel, ocd, se souvient de la dernière audience générale du pontificat de Benoît XVI, de sa renonciation et de la période « sede vacante », après son retrait, à Castel Gandolfo, au soir du 28 février 2013.
Dans son livre d’entretien avec Elisabeth de Beaudoüin – passionnant sur une période passionnante de la vie de l’Eglise sur laquelle de telles clefs de lecture sont rares -, « Les saints nous conduisent à Jésus. Entretien sur la vie chrétienne », qui vient de paraître chez Salvator (192 pp. n° 9782706716294, 18 euros), le père Léthel raconte l’audience du 27 février 2018, place Saint-Pierre : « Les gens étaient venus du monde entier. J’y étais moi-même avec mes jeunes. Le temps était splendide, le climat joyeux et serein. Le Saint-Père a repris l’image de la barque de Pierre: il y a des moments de tempête et des moments de soleil. Mais Jésus est là, il est toujours là. Soyons donc pleins de confiance pour l’avenir ! »
Dans ce livre qui fourmille de détails étonnants, le p. Léthel raconte l’anecdote savoureuse de la publication de son mémoire, soutenu à la « Catho » de Paris avec le p. Marie-Joseph Le Guillou, « sur l’interprétation de l’agonie de Jésus chez Maxime le Confesseur », grâce au cardinal Ratzinger: « Le cardinal Ratzinger a payé la publication de mon mémoire de maîtrise ! Bien plus tard, il l’a rappelé en riant, lors d’une réunion, à l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège: « Le père Léthel, je le connais, c’est moi qui ai payé la publication de sa thèse sur Maxime le Confesseur ! » »
Benoît XVI lui a aussi confié la prédication de la « Retraite de carême » au Vatican en 2011. Les textes ont été publiés chez Parole et Silence.
AB
E. de Baudoüin – Le 11 février 2013, vous avez appris, avec toute l’Église, la renonciation de Benoît XVI. Comment avez-vous vécu cet événement inattendu ?
P. François-Marie Léthel, ocd – De façon douloureuse mais sereine. J’étais convaincu que le pape n’avait pas pris sa décision dans la précipitation ou la dépression, mais dans la paix, devant Dieu, comme il le rapporte dans son livre Dernières conversations1. Ce 11 février, je participais à une réunion de travail avec des prêtres et des laïcs. L’un d’entre eux, qui avait laissé son téléphone allumé, a été prévenu presque en direct de la démission du pape. Ce fut comme un coup de massue. Tout le monde en eut le souffle coupé et la réunion s’arrêta. Les jours suivants, à Rome, nous étions tous un peu comme écrasés par cette nouvelle, qu’il fallait cependant accueillir dans la foi. Deux ou trois jours après, j’ai été interviewé par des journalistes. Ils me demandaient si Benoît XVI n’aurait pas dû «rester sur la croix», comme Jean- Paul II. J’ai pris sa défense, en mettant en avant la conscience: le Seigneur peut demander en conscience quelque chose à une personne et autre chose à quelqu’un d’autre et même le contraire. En conscience, Jean-Paul II a voulu continuer malgré sa maladie, donnant l’image d’un homme souffrant mais restant à sa place comme pape. Très proche de lui, Benoît XVI l’avait vu à la fin ne pouvant plus parler ni même se faire comprendre. Il en avait été marqué et pensait que cela ne pouvait plus recommencer. Il sentait que ses forces diminuaient. Il a pensé, en conscience lui aussi, que le Seigneur lui demandait de se retirer, pour le bien de l’Église. La suite a prouvé que l’Esprit saint l’avait bien inspiré: le Seigneur a donné à l’Église François, un pape au dynamisme extraordinaire. Quant à Benoît XVI, dont tout le monde pensait qu’il allait se retirer au fond d’une abbaye en Bavière, il resté au Vatican et en blanc (il n’est évidemment pas redevenu cardinal). Les deux papes – l’ancien et le nouveau – cohabitent donc non loin l’un de l’autre. François demande souvent conseil à son prédécesseur; et ce dernier le soutient totalement, dans l’obéissance et la prière. On sait que l’un et l’autre s’aiment beaucoup. Deux papes ainsi «main dans la main» dans l’Église: c’est une très belle et émouvante grande première.
À ce propos, je l’avoue: j’aime les grandes premières dans l’histoire de l’Église! Cela montre que cette dernière est vivante. Il ne faut pas confondre tradition de l’Église et traditionalisme. La tradition s’inscrit toujours dans la continuité, mais elle n’exclut pas les nouveautés. Il est beau de voir comment l’Esprit saint inspire l’Église pour faire des choses nouvelles: Paul VI vainquant les résistances de ses prédécesseurs et nommant deux femmes docteurs, François canonisant le premier couple (Louis et Zélie Martin). Bien avant eux, l’Église avait dû inventer un nouveau mot: consubstantiel – pour dire la vérité de l’Écriture (qui ne contenait pourtant pas ce mot). Ce qui d’ailleurs avait entraîné les ariens – des traditionnalistes au mauvais sens du terme – dans l’hérésie…
Benoît XVI s’est retiré le 28 février, trois semaines après l’annonce de sa renonciation. Il a employé ces trois semaines à expliquer sa décision, en parlant aux prêtres et aux fidèles, toujours avec une grande sérénité. Je me souviens de sa dernière audience générale, le mercredi 27 février, la veille de son départ pour Castel Gandolfo. Place Saint- Pierre, une foule immense était rassemblée, pour rendre grâce à Dieu et remercier le pape de tout ce qu’il avait fait pour l’Église. Les gens étaient venus du monde entier. J’y étais moi-même avec mes jeunes. Le temps était splendide, le climat joyeux et serein. Le Saint-Père a repris l’image de de la barque de Pierre: il y a des moments de tempête et des moments de soleil. Mais Jésus est là, il est toujours là. Soyons donc pleins de confiance pour l’avenir !
Immédiatement après son élection, François a téléphoné à Benoît XVI à Castel Gandolfo (on l’a su après) ; puis il s’est présenté face à la foule et a tout de suite parlé de son prédécesseur, avec beaucoup d’affection et d’estime. Un peu plus tard, il est allé lui rendre visite. À Rome, on pensait que la rencontre serait privée et qu’on ne montrerait pas d’image, pour ne pas générer de confusion chez les dèles (deux personnes sur le trône de Pierre). Mais pas du tout! La photo, magnifique et symbolique, des deux papes s’embrassant au pied de l’hélicoptère pontifical, a été répercutée immédiatement par la télévision. Et elle a fait le tour du monde, suscitant beaucoup d’émotion. Ensuite, quand ils ont prié ensemble, dans la chapelle de Castel Gandolfo, Benoît avait préparé un siège spécial pour François. Mais ce dernier n’en a pas voulu et s’est installé à côté de lui.
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- Pape Benoît XVI, Dernières conversations, Fayard, 2016
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