Rencontre avec le clergé de Rome © L'Osservatore Romano

Rencontre avec le clergé de Rome © L'Osservatore Romano

Les prêtres âgés, le temps du sourire et de la pastorale de l'oreille

Print Friendly, PDF & Email

Méditation pour le clergé de Rome (3)

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

Les prêtres âgés sont invités à vivre « l’âge du sourire » : « Offrir un regard aimable… C’est le regard qui accueille la personne, le regard aimable ». C’est ce qu’a souligné le pape François lors de sa rencontre de carême avec les prêtres du diocèse de Rome, le 15 février 2018.
Dans la Basilique Saint Jean-du-Latran, le pape a médité sur les différents âges de la vie sacerdotale. Le dernier âge, le plus vieux, « est l’âge du sacerdoce à usage multiple », a-t-il expliqué : « On peut avoir la proximité, la compassion d’un père. Les pères âgés, qui connaissent la vie, sont proches des misères humaines, proches des douleurs. Ils ne parlent pas trop, mais peut-être que par le regard, une caresse, le sourire, une parole, ils font beaucoup de bien. On peut beaucoup écouter, beaucoup de gens qui ont besoin de parler de leur vie, de dire… Écouter. Le temps de faire le ministère de l’écoute. La pastorale de l’oreille. »
Voici notre traduction de la troisième partie de ce discours.
AK
Méditation du pape François (3)

Troisième question : « Saint-Père, nous les prêtres qui avons 35, 40 ans et plus de ministère, nous avons commencé notre service de l’Église à une période très différente de l’époque actuelle. Nous avons traversé des phases de changements rapides et parfois violents. La jeunesse et l’âge adulte se sont succédé rapidement, sans nous donner le temps de comprendre et de nous adapter. Arrivés à la pleine maturité – dans la période propre de la pleine maturité – et même, en ayant déjà dépassé le seuil, nous sentons souvent notre fatigue et notre inadéquation. En effet, même lorsque l’énergie est là et que nous sommes guidés par un désir sincère de servir, nous ne pouvons pas toujours puiser dans notre expérience pour correspondre aux nouvelles demandes et aux exigences du ministère ». Celui qui a écrit cela est très curieux parce qu’il demande : « Nous aimerions savoir comment vous avez vécu le passage à la saison mûre de votre ministère sacerdotal, d’autant plus que pour vous, cela a coïncidé avec des tournants importants et imprévus. En effet, vous avez été appelé au ministère épiscopal à 56 ans et vingt ans plus tard, en 2013, vous avez vécu un tournant radical avec votre élection comme évêque de Rome. Quels sont donc les points fermes de la vie spirituelle, pour vivre de manière intégralement pacifiée cette saison si complexe qui, pour nous, devrait être celle des fruits mûrs ? »

Beaucoup d’entre nous avons cet âge. Disons la vérité : c’est l’ultime étape de la vie. La crise du milieu de la vie est passée et celle-ci arrive. Et à cet âge, on peut ne pas trouver le langage du monde d’aujourd’hui. Je ne sais pas utiliser les réseaux et toutes ces choses… non, même pas le téléphone portable, je n’en ai pas. Je ne sais pas. Ce langage, je ne sais pas l’utiliser. Internet et ces choses-là, je ne sais pas les utiliser. Quand je dois envoyer un courriel, je l’écris à la main et c’est mon secrétaire qui l’envoie. On peut ne pas avoir l’habileté pour utiliser les nouvelles techniques ; on peut ne pas trouver la méthodologie pastorale qu’il faut aujourd’hui. C’est vrai, c’est une expérience. Aujourd’hui, la réalité avance tellement que je n’arrive pas à le faire. Mais la chose la plus importante à cet âge, c’est ce que l’on peut faire : ce dont les gens ont besoin aujourd’hui. Et cet âge – celui d’avant était celui de l’élagage ; peut-être que le premier de tous était celui de l’espérance, d’avoir toute la vie devant soi – et celui-ci, en revanche, c’est l’âge du sourire. Offrir un regard aimable. Et cela, on peut le faire. Cela, on peut le faire. Que c’est beau quand les confesseurs reçoivent le pénitent avec ce regard, aimable. Et aussitôt le cœur du pénitent s’ouvre, parce qu’il ne voit pas de menace. C’est le regard qui accueille la personne, le regard aimable. Cela, à propos du confesseur. Mais on peut faire tant de bien avec le sacrement de la réconciliation à cet âge-ci. Tant de bien. Je crois que certains m’ont donné, ces dernières années, ce livre du confesseur : Ne pas se lasser de pardonner. Le sacrement de la réconciliation, à cet âge-ci, est l’un des plus beaux ministères que l’on puisse avoir. On peut être disponible. Une nouvelle disponibilité : « Oui, pourquoi pas… Tu peux faire cela ? Si, allez… » C’est l’âge du sacerdoce à usage multiple. On peut avoir la proximité, la compassion d’un père. Les pères âgés, qui connaissent la vie, sont proches des misères humaines, proches des douleurs. Ils ne parlent pas trop, mais peut-être que par le regard, une caresse, le sourire, une parole, ils font beaucoup de bien. On peut beaucoup écouter, beaucoup de gens qui ont besoin de parler de leur vie, de dire… Écouter. Le temps de faire le ministère de l’écoute. La pastorale de l’oreille. Et aujourd’hui les gens ont besoin d’être écoutés. Et puis on ne sait pas quel est le fruit mais : « J’ai trouvé un homme qui m’a compris ». Peut-être le prêtre ne se rend-il pas compte qu’il l’a compris, mais il a écouté cette personne de telle manière que… C’est le temps d’offrir un pardon sans conditions. Les grands-parents savent pardonner, ils ont une sagesse. Ce confesseur de ce livre – c’était un frère capucin – parfois, il lui venait le scrupule d’avoir trop pardonné. Il est venu me voir à 80 ans – maintenant il en a 92, et la queue des personnes est sans fin – et il m’a dit : « Mais tu sais, j’ai ce problème, je ne sais pas… Dis-moi, toi qui es évêque, ce que je dois faire – Et que fais-tu quand tu as des scrupules ? », lui ai-je demandé. Je le connaissais, je savais qu’il était malin… Et il m’a répondu : « Mais, je vais dans la chapelle et je regarde le tabernacle et je dis au Seigneur : Seigneur, excuse-moi, aujourd’hui, j’ai trop pardonné. Mais écoute, c’est toi qui m’a donné le mauvais exemple ». Et cela, c’est la sagesse : le pardon sans conditions.

Que peut-il encore faire ? Donner un témoignage de générosité et de joie. Le témoignage que nous voyons chez les personnes âgées : le témoignage du « bon vin », généreux et joyeux. Et il peut offrir la bonne humeur, le sens de l’humour. Un bon cadeau de celui qui sait relativiser les choses en Dieu. Mais avec cette sagesse de Dieu.

Le personnage qui me vient à l’esprit est le père de la parabole (cf. Lc 15) qui relativise tout : le fils commence son discours et il l’embrasse, il ne le laisse pas parler, il lui pardonne. Mais le fils sait qu’il y a là une très grande force. C’est le temps des grands enfants et des petits-enfants. Le prêtre a des petits-enfants. Pas des neveux, non, parce qu’il y a un dicton qui dit : « à ceux à qui Dieu ne donne pas d’enfants, le diable donne des neveux ». Non, des petits-enfants. C’est beau de voir les prêtres âgés jouer avec les enfants : ils se comprennent, ils se comprennent.

Et là, j’arrive à un thème que je considère comme très important. Ce passage de Joël, chapitre 3 verset 1, me donne beaucoup de force : « vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions ». C’est le temps de cette joie dans la relation avec les jeunes. Et c’est des problèmes les plus sérieux que nous ayons maintenant. Il est encore temps parce qu’il s’agit de donner des racines aux jeunes. C’est curieux : les jeunes se comprennent mieux avec les personnes âgés qu’avec leurs parents parce qu’il y a [chez les jeunes] une recherche inconsciente d’identité, de racines et les personnes âgées la donnent, les grands-parents. Mais la générosité, le « bon vin » les aide beaucoup ; et le dialogue avec les petits-enfants, avec les jeunes. Et quelle est la tentation la plus grande de cet âge ? Reprendre quelques tentations de la jeunesse. Je ne sais pas si cette expression existe en Italie, mais en Espagne, en castillan, elle existe et en Argentine aussi : c’est le moment du « vieux vert » [“viejo verde”], c’est-à-dire que la personne âgée ne mûrit pas, qu’elle retourne aux tentations de sa jeunesse. C’est triste, c’est l’échec d’une vie : finir « vieux vert », immature… Et ils font piètre figure… Ils se prennent pour d’éternels fiancés… piètre figure… Les « vieux verts », je ne dis pas les prêtres. Mais le prêtre peut tomber dans cette tentation de reprendre les tentations de sa jeunesse. C’est triste de finir comme cela.

Je reviens sur le dialogue entre personnes âgées et jeunes : c’est une rencontre de générations. Le passage évangélique de la présentation de Jésus au temple est clair, il est très fort et nous donne beaucoup de lumière. Les jeunes ont besoin de racines, aujourd’hui dans ce monde si virtuel, d’une culture virtuelle sans substance, qui leur arrache leurs racines ou qui ne les laisse pas croître, qui les leur fait perdre. Et c’est une urgence du temps, auquel les prêtres âgés peuvent répondre : aider les jeunes à trouver leurs racines, à  retrouver leurs racines. Et l’influence est mutuelle parce que quand un groupe de jeunes – j’ai en tête plusieurs expériences – va jouer de la guitare, par exemple, dans une maison de retraite, au débuts les personnes âgées sont comme cela [il titube], mais ensuite ils commencent à bouger, ils entrent en dialogue, ils commencent à rêver – comme le dit Joël. Et ces rêves font que les jeunes en sortent différents, différents. Ce que je dis n’est pas de la poésie, je crois que c’est une révélation du Seigneur pour notre temps. C’est une vocation spéciale pour nous, les prêtres qui avons cet âge. Avec les jeunes, pour êtres des rêveurs avec les jeunes.

J’aurais aussi une question, ici. « Nous aimerions savoir comment vous avez vécu ce passage… » Mais qui aimerait le savoir ? Vous n’êtes pas des cancaniers, je ne crois pas que cela vous plaise [il rit, ils rient]. C’est curieux, cette étape m’a trouvé au moment de quitter une charge de gouvernement. À peine ordonné, j’ai été nommé supérieur l’année suivante, maître des novices, puis provincial, recteur de la faculté… Une étape de responsabilité qui a commencé avec une certaine humilité parce que le Seigneur a été bon mais ensuite, avec le temps, tu te sens plus sûr de toi ; « Je vais y arriver, je vais y arriver… » est l’expression qui me vient le plus à l’esprit. On sait s’orienter, faire les choses, gérer… Et ce fut terminé, tout cela, toutes ces années de gouvernement… Et là a commencé un processus de « mais maintenant je ne sais pas quoi faire ». Oui, faire le confesseur, finir la thèse de doctorat – qui était là et que je n’ai jamais défendue – Et puis me remettre à penser aux choses. Le temps d’une grande désolation pour moi. J’ai vécu ce temps dans une grande désolation, un temps obscur. Je croyais que c’était déjà la fin de la vie ; oui, je faisais le confesseur mais dans un esprit d’échec. Pourquoi ? Parce que je croyais que la plénitude de ma vocation – mais sans le dire, maintenant je m’en rends compte – était dans le faire. Eh non, il y a autre chose ! Je n’ai pas laissé la prière, cela m’a beaucoup aidé. J’ai beaucoup prié, à cette époque, mais j’étais « sec comme une bûche ». La prière m’a beaucoup aidé, là, devant le tabernacle. Et puis un appel téléphonique du nonce a ouvert une autre porte. Mais les dernières années de cette période – des années, je ne me souviens plus si c’’était de 1980… de 1983 à 1992, presque 10 ans, neuf années pleines – vers la fin, ma prière était très dans la paix, elle était très avec beaucoup de paix et je me disais : « Que va-t-il se passer maintenant ? », parce que je sentais que j’étais différent, avec une grande paix. Je faisais le confesseur et le directeur spirituel à cette époque : c’était mon travail. Mais je l’ai vécu de façon très obscure, très obscure et souffrante, et aussi avec l’infidélité de ne pas trouver le chemin, et compensation, compenser [la perte] de ce monde fait de « toute-puissance », chercher des compensations mondaines ; et encore, le Seigneur, à la fin de cette période, m’a préparé et cet appel téléphonie qui m’a mis sur une autre route. Comme cela, obscur, pas facile, oui, beaucoup de prière, beaucoup de prière, et compensation. Voilà, la dernière question, comme je l’ai vécu. Et puis le dernier [passage], depuis 2013, je ne me suis pas rendu compte de ce qui s’est passé : j’ai continué de faire l’évêque [en disant], « À toi d’y penser puisque tu m’as mis là ».
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

Share this Entry

Hélène Ginabat

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel