Les religions, et en particulier l’islam, sont-elles à l’origine de l’oppression des femmes ? s’interroge Lucetta Scaraffia. En d’autres termes, la sécularisation est-elle « la seule voie envisageable pour atteindre la liberté féminine » ? Mais la recherche de la tradition chrétienne comme de la tradition musulmane laisse entrevoir « une réalité plus variée et complexe »
Dans un article intitulé « Est-ce vraiment entièrement la faute de la religion ? » publié dans le numéro de février 2018 du mensuel « Femmes, Eglise, monde » («donne chiesa mondo») de L’Osservatore Romano, consacré aux femmes et à l’islam, l’historienne italienne propose une analyse du livre de Germaine Tillion, « Le Harem et les cousins », dans lequel celle-ci refuse de faire des religions « de faciles boucs émissaires ».
Retraçant « l’origine préhistorique d’une endogamie méditerranéenne qui a survécu aux grandes révolutions religieuses comme le christianisme et l’islam », Germaine Tillion souligne combien les grandes religions « ont échoué dans leur tentative de valoriser les femmes ». Et elle conclut que « les traditions sociales ont été plus résistantes que les forces religieuses nouvelles qui se sont superposées, dominant seulement en apparence les cultures méditerranéennes pendant des siècles ».
« Une des convictions les plus enracinées de notre époque est que les religions seraient à l’origine de l’oppression des femmes et qu’en particulier la religion islamique les humilie et sanctionne leur liberté », note Lucetta Scaraffia : « Imposition du voile, burkini, femmes et filles séquestrées dans les banlieues des villes européennes ont mis sous les yeux de tous un exemple bien plus fort de manque de respect envers cette liberté individuelle féminine qui a été au contraire conquise dans nos sociétés. La réaction est violente et immédiate, et même certaines femmes musulmanes persécutées s’en font le porte-parole, indiquant dans la sécularisation la seule voie envisageable pour atteindre la liberté féminine. »
« Mais en est-il vraiment ainsi ? Comme cela se produit à l’intérieur de la tradition chrétienne, où de nombreuses chercheuses redécouvrent les racines féministes des Évangiles, ainsi certaines chercheuses de la tradition musulmane font émerger une réalité plus variée et complexe », poursuit l’historienne. Et de citer Germaine Tillion pour souligner que « le contrôle sur les femmes se fait plus rigide dans les phases de transition d’un système culturel à un autre » : « la dégradation de la femme n’accompagne donc pas l’endogamie, mais une évolution inaccomplie de la société endogamique, qui se produit au contact entre la société urbaine et la société tribale, comme une réaction de protection à l’égard de l’espace ouvert de la vie citadine. »
En d’autres termes, « à la dégradation des conditions de vie, les populations réagissent en contrôlant leurs femmes, à savoir leurs biens. Il s’agit donc de soutenir un changement non réussi, cause d’un mal-être social. En somme, l’islam a « réabsorbé » presque tout seul un phénomène social dont le rapport avec lui concerne essentiellement la géographie et non la théologie », écrit Germaine Tillion.
Pour Lucetta Scaraffia, « la nouveauté de l’analyse de Germaine Tillion se trouve aussi dans le fait qu’elle distingue aussi comme problématique le concept de masculinité qui prévoit une valorisation démesurée de la virilité, source d’angoisse chez l’individu ». « Femmes et hommes, tous victimes de la même structure sociale antique et omniprésente, ne seraient donc pas opprimés par la tradition religieuse, mais par leurs résistances au changement », conclut-elle.