Le cardinal Pietro Parolin © L'Osservatore Romano

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L’Europe «c'est une vie, une manière de concevoir l’homme», rappelle le card. Parolin

Discours pour « (Re)penser l’Europe »

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« Je considère qu’il est d’une importance vitale de retenir une affirmation centrale de la pensée du Pape sur l’Europe: « Les Pères fondateurs nous rappellent que l’Europe n’est pas un ensemble de règles à observer, elle n’est pas un recueil de protocoles et de procédures à suivre. C’est une vie, une manière de concevoir l’homme à partir de sa dignité transcendante et inaliénable» », déclare le cardinal secrétaire d’Etat Pïetro Parolin.
Le cardinal Parolin est en effet intervenu lors de la première partie du dialogue des communautés ecclésiales et des responsables politiques sur l’Europe (27-29 octobre 2017), vendredi 27 octobre, au Vatican.
Il a rappelé quatre principes chers au pape François et particulièrement importants pour l’avenir de l’Europe : « le temps est supérieur à l’espace. Nous nous retrouvons aujourd’hui pour donner vie à un processus plutôt que ‘[pour] obtenir des résultats immédiats’ » ; « ‘l’unité prévaut sur le conflit’. Précisément les Pères fondateurs du projet européen en ont donné une preuve éloquente » ; « ‘la réalité est supérieure à l’idée’, (…). C’est pourquoi nous ne devrions jamais perdre de vue la réalité, qui est surtout faite des visages concrets des femmes et des hommes qui habitent notre continent » ; « ‘le tout est supérieur à la partie’ «et est plus aussi que la simple somme de celles-ci». L’intégration qui s’est progressivement constituée est quelque chose de plus grand qu’une simple somme de langues et de cultures ».
« Le projet européen est sans aucun doute une œuvre humaine. Et comme tel, il a ses limites et est perfectible. C’est précisément pourquoi il mérite notre attention et notre considération. En tant que chrétiens, nous souhaitons donner notre contribution, animés et soutenus par la foi: poussés par le désir de rechercher la cité de Dieu, nous ne voulons pas oublier l’importance de construire et de consolider la communauté des hommes », a conclu le cardinal Secrétaire d’Etat.
Voici le discours prononcé par le cardinal Parolin, dans une traduction officielle de la Secrétairerie d’Etat.
AB
Discours du card. Parolin sur l’Europe
Éminences, Excellences,
Distinguées Autorités et illustres hôtes,
Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’être nombreux à intervenir lors de ce Dialogue sur l’Europe organisé par la Commission des Épiscopats de la Communauté Européenne (COMECE) en collaboration avec la Secrétairerie d’État.
Je salue spécialement Son Éminence le Cardinal Reinhard Marx, Président de la COMECE et [l’Honorable Antonio Tijani, Président du Parlement Européen]. J’adresse des remerciements particuliers à M. Frans Timmermans, Premier Vice-Président de la Commission Européenne, et à l’Honorable Mairead McGuinness, Vice-Présidente du Parlement Européen pour leur adhésion qui est très significative. Pour les Épiscopats européens, la Commission et le Parlement, dans leurs domaines respectifs, sont, en effet, tous deux les interlocuteurs privilégiés du «dialogue ouvert, transparent et régulier» (Art. 17 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne) que l’Union Européenne entretient avec les Églises.
Dès le début de son pontificat, le Pape François a montré une grande attention pour le sort de l’Europe, en percevant sa richesse historique et culturelle, ainsi que ses potentialités et ses difficultés dans un monde globalisé et en mutation permanente et rapide. Au cours de ces années, nous pouvons dire qu’est né, entre le Saint-Père et l’Europe, un dialogue constant qui a été caractérisé par diverses étapes, depuis les visites mémorables de Strasbourg, au Parlement Européen et au Conseil de l’Europe, jusqu’à l’Audience accordée aux Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Européenne, le 24 mars dernier, et à la rencontre qui aura lieu demain après-midi.
L’issue du référendum britannique de l’année dernière et les poussées vers la désagrégation qui traversent le continent ont conduit le Saint-Père à examiner l’urgence de favoriser une réflexion encore plus ample et plus attentive sur l’Europe tout entière et sur la direction qu’elle entend prendre en son sein et également au-delà des frontières de l’Union Européenne. Le Saint-Siège, qui a observé dès le début avec intérêt et respect le projet d’intégration européenne, a jugé opportun de s’associer à l’initiative promue par la COMECE, en prenant part à ce dialogue entre les communautés ecclésiales et les membres de la société civile. Il y participe dans un esprit de service à l’Europe, car il n’est pas indifférent à ses problématiques et à son destin et il désire toujours offrir sa propre contribution au bien des peuples du continent.
Dans la troisième partie de l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, intitulée: Le Bien commun et la paix sociale (nn. 217-237), le Pape François énonce quatre principes « qui orientent spécifiquement le développement de la cohabitation sociale et la construction d’un peuple où les différences s’harmonisent dans un projet commun» (ibid. n. 221). Ces principes s’appliquent bien à ce moment de dialogue, qui doit viser surtout à identifier les questions fondamentales que l’Europe doit se poser pour affronter les défis de l’avenir.
Dans cette perspective, notre assemblée doit avoir présent à l’esprit que le temps est supérieur à l’espace. Nous nous retrouvons aujourd’hui pour donner vie à un processus plutôt que « [pour] obtenir des résultats immédiats qui produisent une rente politique facile, rapide et éphémère, mais qui ne construisent pas la plénitude humaine» (Ibid. n. 224).
Nous sommes ici avec la conviction que l’unité prévaut sur le conflit. Précisément les Pères fondateurs du projet européen en ont donné une preuve éloquente, lorsqu’ils ont compris que mettre en commun les ressources et travailler ensemble étaient le vrai remède à l’apparition de nouveaux conflits sanglants comme ceux qui avaient déchiré la première moitié du 20ème siècle.
Dans nos échanges, nous ne voulons pas oublier que la réalité est supérieure à l’idée, puisque «l’idée déconnectée de la réalité est à l’origine des idéalismes et des nominalismes inefficaces, qui, au mieux, classifient et définissent, mais n’impliquent pas. Ce qui implique, c’est la réalité éclairée par le raisonnement» (Ibid. n. 232). C’est pourquoi nous ne devrions jamais perdre de vue la réalité, qui est surtout faite des visages concrets des femmes et des hommes qui habitent notre continent, chacun avec ses potentialités et ses souffrances, car le malaise qui se répand dans notre temps face aux modèles abstraits provenant du haut n’est que trop évident.
Enfin, n’oublions pas que le tout est supérieur à la partie «et est plus aussi que la simple somme de celles-ci» (Ibid. n. 235). L’intégration qui s’est progressivement constituée est quelque chose de plus grand qu’une simple somme de langues et de cultures. En ce sens, je considère qu’il est d’une importance vitale de retenir une affirmation centrale de la pensée du Pape sur l’Europe: « Les Pères fondateurs nous rappellent que l’Europe n’est pas un ensemble de règles à observer, elle n’est pas un recueil de protocoles et de procédures à suivre. Elle est une vie, une manière de concevoir l’homme à partir de sa dignité transcendante et inaliénable» (Discours aux Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Européenne, 24 mars 2017).
J’ai rappelé ces quatre principes chers au Pape François, en jugeant utile d’offrir une indication de méthode pour le travail de ces jours-ci. Notre dialogue perdrait, en effet, son sens s’il ne partait pas du vécu quotidien des personnes et s’il ne visait pas à porter un regard clairvoyant sur l’avenir, en mesure d’indiquer un parcours prospectif, plus que d’identifier des solutions immédiates à des problèmes contingents. D’autre part, c’est précisément cela la perspective des trois débats qui suivront cet après-midi et qui s’inspirent du discours que le Saint-Père a prononcé à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne. À cette occasion, le Pape invitait à accepter «le défi d’‘‘actualiser’’ l’idée de l’Europe. Une Europe capable de donner naissance à un nouvel humanisme fondé sur trois capacités : la capacité d’intégrer, la capacité de dialoguer et la capacité de générer» (Discours à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne, 6 mai 2016).
En abordant la discussion, il peut être opportun de garder à l’esprit certaines interrogations qui émergent dans les discours du Pape et qui synthétisent ses préoccupations dans le contexte actuel, à partir des diverses crises qui traversent l’Europe: depuis la crise économique qui a caractérisé la dernière décennie jusqu’à la dramatique question migratoire; depuis les conflits qui déchirent non seulement la Région de la Méditerranée mais qui impliquent aussi des parties du continent jusqu’à la progression des populismes et au retour des nationalismes; depuis le chômage et le malaise des jeunes jusqu’aux problèmes d’environnement.
En se mettant devant ces défis, l’Europe a donné «une impression générale de fatigue, de vieillissement» (Discours au Parlement Européen, Strasbourg, 25 novembre 2014). «Quelle est alors l’herméneutique, la clef d’interprétation avec laquelle nous pouvons lire les difficultés du présent et trouver des réponses pour l’avenir ? » (Discours aux Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Européenne, cité). Comment récupérer la mémoire pour redonner espérance à l’avenir (cf. Ibid.). Et quelle est l’«espérance pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain ?» (Ibid.)?
Au cœur de ces interrogations il y a le thème de la modalité de récupération de l’idée d’une Europe qui ramène au centre la personne, avec son ferment de fraternité et sa volonté de vérité et de justice(cf. Ibid. A. de Gasperi, La nostra patria Europa. Discorso alla Conferenza Parlamentare Europea, 21 avril 1954). Cela pose aussi une question générale sur la dignité de l’homme, pour laquelle le Pape François propose d’autres interrogations: «Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer librement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ? Quelle dignité est possible, sans un cadre juridique clair, qui limite le domaine de la force et qui fasse prévaloir la loi sur la tyrannie du pouvoir ? Quelle dignité pourra jamais avoir une personne qui n’a pas de nourriture ou le minimum nécessaire pour vivre et, pire encore, qui n’a pas le travail qui l’oint de dignité ? » (Discours au Parlement Européen, cité)
Le Pape a particulièrement à cœur le problème du travail ainsi que le thème des jeunes et des perspectives concernant leur avenir. «Comment éviter de perdre nos jeunes, qui finissent par aller ailleurs à la recherche d’idéaux et de sens d’appartenance parce que […] nous ne savons pas leur offrir des opportunités et des valeurs ?» (Discours à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne, cité). À son tour, cette interrogation ouvre à d’autres questions fondamentales que le Pape François pose de façon très directe: «Quelle culture propose l’Europe aujourd’hui ?» (Discours aux Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Européenne, cité). Où se trouve cet élan idéal qui a animé et rendu grande son histoire? Où se trouvent son esprit d’entreprise marqué par la quête du savoir et la soif de vérité, qu’elle avait communiqués au monde avec passion?
Je ne vais pas m’étendre davantage sur ces interrogations, car il reviendra à l’Honorable Pat Cox de définir à proprement parler le thème de notre dialogue au terme de cette cérémonie d’ouverture. Je voulais cependant proposer des pistes pour une discussion que je souhaite à la fois animée et profonde. D’autre part, chacun dans cette salle est appelé à prendre sa part, selon les responsabilités qui sont les siennes, pour édifier le bien commun, et favoriser la paix et la concorde. Le projet européen est sans aucun doute une œuvre humaine. Et comme tel, il a ses limites et est perfectible. C’est précisément pourquoi il mérite notre attention et notre considération. En tant que chrétiens, nous souhaitons donner notre contribution, animés et soutenus par la foi: poussés par le désir de rechercher la cité de Dieu, nous ne voulons pas oublier l’importance de construire et de consolider la communauté des hommes (cf. Concile Œcuménique Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes sur l’Église dans le monde, n. 42).
[Texte original: Italien]  

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Rédaction

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