Pastora Mira, Réconciliation nationale, Villavicencio (Colombie) 08/07/2017, capture CTV

Pastora Mira, Réconciliation nationale, Villavicencio (Colombie) 08/07/2017, capture CTV

Colombie: Pastora Mira a "nommé l'innommable" et "pardonné l'impardonnable"

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Le pape préside la célébration de la Réconciliation nationale

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Pastora Mira a « nommé l’innommable » et elle a « pardonné l’impardonnable »: elle en a témoigné devant le pape François, le président de la République et quelque six mille personnes à la célébration de la Réconciliation nationale colombienne, à Vallevicencio, ce 8 septembre 2017. Ses paroles ont été accueillies par une ovation debout. Le pape en a souligné la force en les citant dans son discours.
A Villavicencio, après déjeuner, le pape François s’est d’abord rendu à la chapelle de la « Vierge de Chirajara » et il a béni les prêtres du diocèse, avant la grande célébration sous un grand chapiteau dressé spécialement pour l’occasion, au parc de Las Malocas, à 15h40 (22h40 à Rome), en présence de victimes de la violence, de militaires et d’agents de police, et d’ancien guérilleros. Le texte complet du discours du pape François se trouve ici.
Huit millions
La Colombie est le pays qui, dans le monde, a le plus grand nombre de déplacés à l’intérieur même du pays : 7 millions. Et l’on estime que plus de 8 millions de personnes ont été les victimes des conflits internes du pays depuis 1948: morts, blessés, déplacés, exilés, mutilés… On estime que 520 000 personnes ont perdu la vie entre 1948 et aujourd’hui: 300 000 entre 1948 et 1958, et 220 000 entre 1960 et 2017.
Le pape a été accueilli par l’évêque, Mgr Oscar Urbina Ortega. Une célébration de la parole a suivi avec la lecture dansée du psaume 85 et un chant pour la paix. Quatre témoignages ont ensuite été présentés: à chaque fois les témoins allaient déposer une flamme au pied du Crucifix, le Christ de Bojaya, où, le 2 mai 2002, des dizaines de personnes réfugiées dans l’église furent assassinées: un Crucifix « mutilé » et blessé ».
« Il n’a plus de bras et il n’a plus de corps, mais il a encore son visage qui nous regarde et qui nous aime, a commenté le pape. Le Christ brisé et amputé est pour nous encore « davantage le Christ », parce qu’il nous montre, une fois de plus, qu’il est venu pour souffrir pour son peuple et avec son peuple ; et pour nous apprendre aussi que la haine n’a pas le dernier mot, que l’amour est plus fort que la mort et la violence. »
« Il nous apprend à transformer la souffrance en source de vie et de résurrection, pour que, unis à lui et avec lui, nous apprenions la force du pardon, la grandeur de l’amour », a ajouté le pape.
Pardonner l’impardonnable
C’est ce qu’a vécu Pastora Mira qui annonce qu’elle « remercie Dieu » d’avoir pu « nommer l’innommable » et de « pardonner l’impardonnable ». Elle a déposé aussi aux pieds du crucifix la chemise que sa jeune fille assassinée avait offert à son petit frère, lui aussi assassiné. Son père avait été assassiné alors qu’elle avait 6 ans, et son premier mari a également été assassiné.
Plus encore, elle a soigné, une fois vieux et malade, celui qui avait tué son père. Elle a hébergé un jeune des groupes paramilitaires qui a reconnu son fils aux photos de la chambre et lui a avoué avoir été de ceux qui l’avaient torturé et tué.
« Merci Pastora, a dit le pape. Quel grand bien tu nous fais à tous, aujourd’hui, par le témoignage de ta vie! C’est le crucifié de Bojaya qui t’a donné cette force de pardonner et d’aimer, et pour t’aider à voir, en la chemise que ta fille Sandra Paola avait offerte à ton fils Jorge Anibal, non seulement le souvenir de leur mort, mais aussi l’espérance que la paix triomphe définitivement en Colombie. »
Le pape a repris les paroles de Pastora Mira pour affirmer: « Oui, avec l’aide du Christ vivant au milieu de la communauté, il est possible de vaincre la haine, il est possible de vaincre la mort, il est possible de recommencer et d’apporter la lumière à une Colombie nouvelle. »
Juan Carlos, ancien guérillero, a quitté la rébellion après 12 ans, à la suite d’une explosion dans laquelle il a perdu son bras gauche: il a choisi de donner à ses trois enfants un avenir de paix. Il travaille maintenant, dans une fondation, à aider les jeunes à refuser la violence et la drogue.
On ne peut pas vivre de rancœur
Une jeune maman, Luz Dary, a été victime d’une explosion, qui lui a procuré des fractures multiples à la jambe et elle en garde des séquelles, mais elle était plus préoccupée pour sa petite fille de 7 mois, touchée par des éclats. Le pape a relu son témoignage en disant: « Ce qu’a dit Luz Dary dans son témoignage nous bouleverse aussi : les blessures du cœur sont plus profondes et difficiles à guérir que celles du corps. C’est ainsi. Et, ce qui est le plus important, tu t’es rendu compte qu’on ne peut pas vivre de rancœur, que seul l’amour libère et construit. Et de cette manière tu as commencé à guérir aussi les blessures d’autres victimes, à reconstruire leur dignité. Cette sortie de toi-même t’a enrichie, t’a aidé à regarder devant, à trouver la paix et la sérénité, et une raison pour aller de l’avant. »
Elle a offert sa béquille au pape: « Je te remercie pour la béquille que tu m’offres. Bien que tu gardes encore des séquelles physiques de tes blessures, ta marche spirituelle est rapide et sûre parce que tu penses aux autres et tu veux les aider. Cette béquille est un symbole de cette autre béquille plus importante, dont nous avons tous besoin, celle de l’amour et du pardon. Par ton amour et ton pardon tu aides beaucoup de personnes à marcher dans la vie et à marcher rapidement comme toi. Merci. »
Une espérance pour celui qui a fait le mal
Deisy a collaboré avec la guérilla. Mais un chemin intérieur l’a conduite à renoncer à la violence et à s’occuper des autres, des jeunes: « Deisy l’a dit clairement, a souligné le pape : tu as compris que toi-même avais été une victime et que tu avais besoin qu’on te donne une chance. Et tu as commencé à réfléchir, et maintenant tu travailles pour aider les victimes et pour que les jeunes ne tombent pas dans les réseaux de la violence et de la drogue. »
« Il y a aussi une espérance pour celui qui a fait le mal, a insisté le pape ; tout n’est pas perdu. Il est certain que dans cette régénération morale et spirituelle de l’agresseur, la justice doit s’accomplir. Comme l’a dit Deisy, il faut contribuer positivement à guérir cette société qui a été déchirée par la violence. »
Pour ce chemin de rachat et de réconciliation, le pape a indiqué la nécessité d’avancer dans la vérité: « Comme l’a laissé entrevoir dans son témoignage Juan Carlos, dans tout ce processus, long, difficile, mais qui donne l’espérance de la réconciliation, il est indispensable aussi d’assumer la vérité. C’est un défi grand mais nécessaire. La vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. »
La vérité conduit au pardon
« Ensemble, elles sont essentielles pour construire la paix et, a expliqué le pape, d’autre part, chacune d’elle empêche que les autres soient altérées et se transforment en instruments de vengeance sur celui qui est le plus faible. »
Il a averti: « La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais, bien plutôt, à la réconciliation et au pardon. »
« La vérité, a expliqué concrètement le pape, c’est de dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, c’est d’avouer ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, c’est de reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus. »
Désactiver les haines
« Chers Colombiens, a encore dit le pape en conclusion, n’ayez pas peur de demander ni d’offrir le pardon. Ne résistez pas à la réconciliation pour vous rapprocher, vous rencontrer comme des frères et dépasser les inimitiés. »
Il a souligné le tournant historique que vit le pays: « C’est le moment de guérir les blessures, de construire des ponts, d’aplanir les différences. C’est le moment de désactiver les haines, de renoncer aux vengeances, et de s’ouvrir à la cohabitation fondée sur la justice, sur la vérité et sur la création d’une véritable culture de la rencontre fraternelle. Puissions-nous vivre en harmonie et dans la fraternité, comme désire le Seigneur. »
Il a invité, avec les paroles attribuées à François d’Assise, à demander ce don de la paix et de la réconciliation: « Demandons à être constructeurs de paix, que là où il y a la haine et le ressentiment, nous mettions l’amour et la miséricorde. »
La contribution de tous
Les témoins ont tous les quatre échangé un signe de paix et quelques mots avec le pape François après son discours. Puis l’assemblée a prié la prière dite de saint François d’Assise, lue par le pape phrase par phrase et répétée par la foule, avant de prier la Vierge Marie « qui a eu coeur traversé par la douleur » et le pape a donné la bénédiction finale.
Quatre enfants, deux petits garçons vêtus de petits complets blancs et deux petites filles en robes rouges ont ensuite dit au pape leur engagement pour la paix en Colombie et ils lui ont fait bénir des plantes, images de leur vie qui doit encore grandir.
Le président Juan Manuel Santos Calderon et sa femme María Clemencia Rodríguez Múnera, qui ont participé à la célébration, ils ont salué le pape chaleureusement.
Le pape s’est ensuite rendu, en « papamobile » au « Parc des Fondateurs », pour prier au pied du Christ de la Réconciliation, avec quelque 400 enfants de tout le pays. Et il a planté un arbe de la paix un « guayacan », avec deux petites filles, un jeune garçon et l’évêque de Villavicencio, Mgr Ortega.
Le pape a fait poster ce tweet qui résume son discours, sur son compte @Pontifex_fr: « La réconciliation se consolide par la contribution de tous. Elle permet de construire l’avenir et de faire grandir l’espérance. »
Samedi, 9 septembre, le pape vivra sa quatrième journée à Medellin, sur les pas de Paul VI et de Jean-Paul II, et dimanche, la cinquième à Cartagena, dimanche 10 septembre, sur les pas du jésuite, saint Pierre Claver.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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