"Zavorre", par Götz Aly, einaudi.it

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Nazisme: l'euthanasie de plus de 200.000 Allemands handicapés

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Recension dans L’Osservatore Romano

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« Choses inutiles. Histoire de l’Aktion T4 : L’ ‘euthanasie’ dans l’Allemagne nazie, 1939-1945 »: ce livre du journaliste et historien allemand Götz Aly, qui raconte l’extermination de plus de 200.000 Allemands handicapés physiques et mentaux par le régime nazi est désormais publié en italien, chez Einaudi, signale  L’Osservatore Romano des 10-11 juin 2017. L’édition en allemand date de 1989.
Notons que « T 4 » est l’abréviation de l’adresse « Tiergartenstrasse 4″, à Berlin, siège du programme d’extermination nazi.
Le quotidien du Vatican explique que le livre rassemble le fruit de plus d’une trentaine d’années de recherches sur l’opération appelée « Aktion T4 » sur l’extermination des « faibles d’esprit et tuberculeux », des « enfants atteints de malformations » et des « vieillards malades », tous considérés comme « individus improductifs, antisociaux, mais surtout « lourds » à porter pour le système sanitaire et financier » : « Ils étaient considérés de véritables « choses inutiles » comme résume bien le titre de l’ouvrage », précise Giovanni Cerro.
Les éliminations forcées étaient pratiquées dans les hôpitaux et maisons de santé, où le personnel infirmier était chargé d’inoculer des doses mortelles de calmants ou autres médicaments. Certains malades, adultes comme enfants, ont été déportés dans des centres dotés de chambres à gaz et fours crématoires.
L’opération qui a commencé en 1939 a connu une brusque interruption en été 1941 : l’opposition de l’Église catholique a contribué, selon Götz Aly, à cette décision d’Hitler.
Pour L’Osservatore Romano, trois homélies prononcées, entre juillet et août 1941, par l’évêque de Münster, le bienheureux Clemens August von Galen, ont été déterminantes: il y dénonçait la pratique des éliminations forcées des « invalides inadaptés au travail, des estropiés, des malades incurables, des personnes âgées affaiblies ».
Rappelons qu’un petit cousin de la famille Ratzinger, trisomique, a ainsi été arraché aux siens et a « disparu »,  à l’âge de 14 ans, comme l’évoque Mgr Georg Ratzinger dans son livre « Mon frère, le Pape ».
Rappelons aussi qu’en 1993, le cardinal Joseph Ratzinger faisait observer que la leçon n’a pas été apprise par les sociétés occidentales: « Il est terrifiant de voir comment, en cette fin du XXème siècle, des pays qui se sont battus contre Hitler ont embrassé quelques-unes des idéologies anti-humaines favorisées par lui : euthanasie, par exemple, expérimentation sur les embryons humains. D’une certaine façon, Hitler a anticipé beaucoup de développements actuels. »
Voici notre traduction complète de l’article de L’Osservatore Romano.
MD
« L’aberrante planification de l’extermination de personnes handicapées dans l’Allemagne nazie »
Le dernier livre du journaliste et historien allemand Götz Aly,  « Choses inutiles. Histoire de l’Aktion T4 : L’ ‘euthanasie’ dans l’Allemagne nazie, 1939-1945 » est le fruit de plus d’une trentaine d’années de recherches réalisées à partir d’une très grande masse d’informations pas toujours accessibles. Cet ouvrage a pour objectif de faire toute la lumière sur l’œuvre d’extermination de plus de 200.000 Allemands handicapés physiques et mentaux par le régime nazi, pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien que discutée et préparée les années précédentes, l’opération appelée « Aktion T4 », a été lancée symboliquement le 1 septembre 1939, jour de l’invasion de la Pologne. Selon la date apposée sur un document signé par Hitler, celui-ci confia à un haut fonctionnaire du parti national-socialiste, directeur de la chancellerie du Führer, Philipp Bouhler, et à un médecin, Karl Brandt, son conseiller en politique sanitaire, la charge de sélectionner des médecins ayant les compétences nécessaires pour accorder une « mort miséricordieuse » aux malades jugés incurables selon le jugement humain », après une évaluation critique de l’état de leur maladie. L’ordre était intentionnellement vague et laissait aux spécialistes une grande marge d’interprétation. Ces derniers pouvaient ainsi  inclure dans le soi-disant « traitement » de larges catégories de personnes, dont les limites souvent fluctuantes permettaient de faire entrer toute forme d’handicap et déviances. Dans l’optique des nazis, les faibles d’esprit et tuberculeux, les enfants atteints de malformations et les vieillards malades, étaient des individus improductifs, antisociaux, mais surtout « lourds » à porter pour le système sanitaire et financier, pour leurs familles et pour l’État. Ils étaient considérés de véritables « choses inutiles » comme résume bien le titre de l’ouvrage.
Selon un schéma rhétorique consolidé qui a connu un succès dès la fin du XIXe siècle, on faisait sous-entendre que l’assistance de ces personnes et les soins à leur porter était un gaspillage inutile,   surtout à un moment où la nation devait concentrer toutes ses énergies sur le conflit. Les arguments eugéniques et d’hygiène sociale, qui visaient  la création d’une pure race germanique, se mêlaient aux exigences utilitaristes, comme il apparaît clairement dans un écrit du médecin personnel d’Hitler, Theodor Morell, datant de 1939 et intitulé La surpression des vies indignes d’être vécues avec un renvoi explicite à la brochure de Karl Binding et Alfred Hoche, Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens (1920). Pour Theodor Morell, deux critères  permettaient de définir « indigne » une existence: une physionomie difforme, dont la seule vue « faisait venir des frissons » et l’incapacité à communiquer et entrer en relation avec ses semblables. Tout cela, selon le médecin, faisait de ces individus des êtres plus proches des animaux que des hommes.
La coordination d’Aktion T4 fut confiée au Comité du Reich pour le relevé scientifique de maladies héréditaires et congénitales graves, qui avait son siège à Berlin, dans un immeuble au numéro 4 di Tiergartenstraße (d’où vient l’abréviation T4). Dépendant étroitement de la chancellerie du Führer, le comité eut dès le début deux taches à remplir: d’une part, réglementer et contrôler les morts, en montant un fichier des victimes ; d’autre part, contrôler que les opérations aient lieu dans la plus grande discrétion, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de fuite qui puisse troubler l’opinion publique. Les victimes étaient aussi bien des enfants que des adultes.
Dans les hôpitaux et maisons de santé, les éliminations forcées étaient pratiquées à travers un système complexe qui impliquait différentes figures professionnelles, à plusieurs niveaux: les médecins, avec en première ligne pédiatres, neurologues et psychiatres qui souvent, soutenaient des positions réformatrices et progressistes pour l’époque (comme dans le cas du très célèbre Paul Nietzsche, partisan du no-restraint), déterminaient quels patients pouvaient être considérés « incurables »; les experts du comité du Reich examinaient la proposition, puis décidaient si oui ou non donner leur accord; en cas d’acceptation, le personnel infirmier était chargé d’inoculer des doses mortelles de calmants ou autres médicaments; les mêmes médecins rédigeaient ensuite des certificats sur lesquels ils précisaient comme causes de la mort de fausses maladies (la casuistique était vraiment très large, de la pneumonie à la rougeole); pour leur part les officiels du bureau d’état civil attestaient la date et le lieu du décès, falsifiant les documents.
Ces stratégies de camouflage, pratiquées dans une grande majorité des cas de manière consciente par tous les acteurs impliqués, avaient pour but de « tranquilliser » les familles afin qu’elles se résignent à accepter un événement qui devait passer le plus possible pour un événement naturel et inévitable, et d’éviter ainsi les enquêtes.
Le principal obstacle à ce mécanisme était justement les parents ou des proches des victimes. Dans certains cas, en effet, l’assiduité des contacts entre les patients et le monde extérieur, qui pouvait avoir lieu à travers l’échange de lettres ou l’envoi de colis contenant de la nourriture et autre bien de confort, déconseillait le recours à l’homicide pour éviter d’éveiller les soupçons. Il arrivait souvent, par le biais de questionnaires, d’essayer d’obtenir le consentement de la famille pour ce qu’ils appelaient une « abréviation de la vie » de leurs proches ou de faire croire que ce sont les intéressés eux-mêmes à avoir demandé que l’on mette fin à leurs souffrances physiques ou psychiques. L’autre moyen pour procéder à l’Aktion T4 fut la déportation dans des centres dotés de chambres à gaz et four crématoires.
Les témoignages de rares rescapés de ce qu’Aly appelle « l’archipel des chambres à gaz » révèlent encore une fois, à quel point étaient respectés les rigides protocoles et combien il y avait une grande connivence entre le corps médical, le personnel infirmier et les employés des administrations locales.
Bien que le comité resta actif jusqu’en 1945, l’opération connut une brusque interruption en été 1941. L’évolution de la guerre, la croissante désaffection des Allemands envers le régime, mais surtout l’opposition de l’Église catholique, contribuèrent, selon Götz Aly, à la décision d’Hitler.
Déterminantes furent trois homélies prononcées, entre juillet et août, par l’évêque de Münster, Clemens August von Galen. Il y dénonçait la pratique des éliminations forcées des « invalides inadaptés au travail, des estropiés, des malades incurables, des personnes âgées affaiblies ». Les paroles de l’évêque mettaient non seulement dans l’embarras les dirigeants nazis, mais mettaient les Allemands devant une réalité  ignoble, parfois ignorée, le plus souvent refoulée.
L’analyse d’une grande masse de procès-verbaux, de rapports, d’expertises et lettres, permit donc à Götz Aly d’ajouter un autre morceau essentiel à l’enquête sur les stratégies mises au point pour réaliser l’Aktion T4 et de placer encore une fois le problème de la responsabilité de larges couches de la population, qui ne se limitèrent pas à suivre des ordres, mais prirent des initiatives personnelles, collaboration activement à l’extermination.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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