« Nous pouvons et devons inverser la dégradation de nos océans et de nos mers », a déclaré le cardinal Peter Turkson lors d’une Conférence des Nations Unies, le 6 juin 2017 à New York: « Nous sommes capables du meilleur, de nous élever au-dessus de l’égoïsme personnel et des intérêts nationaux étroits », a-t-il encouragé.
Le préfet du dicastère pour la promotion du développement humain intégral est intervenu, en tant que chef de la délégation du Saint-Siège, à la Conférence des Nations Unies intitulée « Conserver et utiliser durablement les océans, les mers et les ressources marines pour le développement durable ». Sa déclaration se situait dans le cadre du Dialogue de partenariat 3, consacré au thème plus particulier : « Minimiser et traiter l’acidification des océans ».
Le cardinal Turkson a rappelé cinq principes fondamentaux, véritable feuille de route pour protéger l’environnement en général et les océans en particulier : 1) l’impératif moral de prendre soin de l’environnement, 2) la nécessité d’une écologie intégrale qui englobe l’écologie environnementale, économique, sociale, culturelle et quotidienne, le bien commun et la justice intergénérationnelle, 3) une approche intégrée pour trouver des solutions qui combinent l’éthique et l’environnement, 4) l’importance de l’éducation et 5) la nécessité d’un dialogue et d’une collaboration à tous les niveaux.
« Ce vaste domaine bleu est le cadeau de Dieu pour nous. Soyons ses gestionnaires responsables », a enfin conclu le cardinal ghanéen.
Voici notre traduction complète de l’allocution du cardinal Turkson prononcée en anglais.
CR
Allocution du card. Turkson
Altesse sérénissime Prince Albert II,
Excellence, Monsieur le Ministre Agostinho Mondlane,
Mesdames et Messieurs,
Je vous apporte les salutations du pape François et je souhaite vous transmettre sa gratitude pour cette conférence, visant à trouver des mesures plus efficaces et à accroître les ressources nécessaires à la conservation et à l’utilisation durable de nos océans, de nos mers et de nos ressources marines. Il apprécie le travail accompli par des individus, des centres de recherche et diverses institutions internationales et nationales pour surveiller et étudier la santé de nos océans et de nos mers, contribuant ainsi à une meilleure collecte de données et à une meilleure compréhension de l’acidification des océans et à la recherche des mesures les plus efficaces pour y remédier.
Les émissions croissantes de dioxyde de carbone augmentent l’acidité des océans, car les océans absorbent au moins un quart du dioxyde de carbone émis. Si ces tendances actuelles se poursuivent, ce siècle peut bien être témoin d’une destruction sans précédent des écosystèmes, avec de sérieuses conséquences pour nous tous [1]. En outre, les détergents et les polluants chimiques continuent de se répandre dans nos rivières et dans les mers et les océans. Il est donc urgent d’aborder le problème de l’eau polluée liée aux océans.
Nous n’avons pas besoin qu’on nous rappelle combien les océans et les mers sont vitaux sur la planète, notre maison commune. Ils fournissent non seulement des aliments et des matières premières, mais aussi des avantages environnementaux essentiels tels que la purification de l’air, la régulation du climat et le cycle mondial du carbone, la gestion des déchets et le maintien des chaînes alimentaires et des habitats essentiels à la vie sur terre. Assurer leur santé et leur durabilité est donc dans l’intérêt de tous.
Le pape François a régulièrement énoncé des principes et des actions fondamentaux qui devraient guider notre action pour protéger l’environnement et en prendre soin. Pour les catholiques individuellement et pour les institutions catholiques à travers le monde, ces principes sont devenus la feuille de route les inspirant et les motivant à l’action. Je voudrais concentrer ma contribution dans cette discussion en illustrant ces principes interconnectés qui encadrent la perspective et l’action du Saint-Siège, non seulement pour minimiser et traiter l’acidification des océans, mais aussi pour protéger l’environnement en général et en prendre soin. Sans prétendre être exhaustif, j’aimerais mentionner cinq de ces principes directeurs interconnectés.
Tout d’abord, c’est un impératif moral de prendre soin de notre environnement. L’environnement est un don confié à notre gérance responsable. Parmi les nombreuses considérations découlant de ce principe fondamental figurent la solidarité intergénérationnelle et l’accent non seulement sur les droits, mais aussi sur les responsabilités. Le pape François a affirmé à plusieurs reprises que la solidarité intergénérationnelle n’est pas facultative, mais une question fondamentale de justice, puisque le monde que nous avons reçu appartient également à ceux qui nous suivront. [2] Ainsi, alors que nos soins pour nos océans et nos mers nous sont d’un profit immédiat, c’est également un cadeau pour les générations futures, leur évitant de payer le prix extrêmement élevé de la détérioration de nos océans, de nos mers et de nos ressources marines.
Comprendre le soin de nos océans et de nos mers en tant qu’administration responsable nous aide à nous concentrer non seulement sur notre droit d’utiliser les ressources que les océans et les mers nous fournissent, mais aussi sur notre obligation de les conserver et de les utiliser de façon durable. Une grande partie du déclin de la santé des océans résulte de l’accent mis sur les droits et les autonomies au détriment des responsabilités personnelles et collectives. Des cadres réglementaires efficaces pour préserver la santé de nos océans sont souvent bloqués par ceux qui profitent le plus des ressources marines et qui ont l’intention de maintenir ou d’augmenter leurs avantages au détriment des peuples et des pays les plus pauvres.
Le deuxième principe directeur est ce que le pape François appelle l’écologie intégrale. Le terme exprime la multidimensionnalité fondamentale de nos relations: l’un avec l’autre, avec l’environnement dans son ensemble, et avec le Créateur qui nous a donné le don de la nature. Dans sa lettre encyclique Laudato Si ‘, le Pape François mentionne qu’une écologie intégrale englobe l’écologie environnementale, économique et sociale; l’écologie culturelle; l’écologie de la vie quotidienne; le principe du bien commun et la justice entre les générations. [3] Dans cette compréhension, l’environnement n’est pas considéré comme quelque chose de séparé de nous ou comme un simple cadre dans lequel nous vivons. Nous en faisons partie, nous sommes inclus en lui, et ainsi en interaction symbiotique constante avec lui. Une crise de l’environnement signifie nécessairement une crise pour l’humanité. Une crise de nos océans et de nos mers signifie nécessairement une crise pour nous.
Le troisième principe est la nécessité d’une approche intégrée pour trouver des solutions à des problèmes qui ne sont pas seulement environnementaux mais aussi sociaux. Les considérations éthiques doivent être intégrées dans nos approches scientifiques des problèmes environnementaux, car la détérioration de l’environnement et la dégradation humaine et éthique sont étroitement liées. La science peut quantifier l’acidification des océans, prédire ses conséquences négatives et proposer des remèdes, mais elle ne peut pas donner la motivation à une action vertueuse. Les solutions techniques ne sont jamais suffisantes. « Ne laisser personne en arrière » est un appel à la solidarité et est une motivation inspirante qui devrait nous inciter à atteindre les objectifs de développement durable. En bref, la motivation à un comportement vertueux est une contribution précieuse que l’intégration d’une approche éthique peut et doit apporter à la recherche de mesures efficaces pour minimiser et traiter l’acidification des océans.
Le quatrième principe directeur est le rôle fondamental de l’éducation. Éduquer tout le monde dès le plus jeune âge à propos des merveilles de la nature conduit à l’aimer et à en prendre soin. L’éducation est d’autant plus nécessaire dans les endroits où le service public de l’élimination adéquate des déchets est soit rare, soit absent. J’ai observé que dans les pays et les endroits où il n’y a pas d’élimination adéquate des déchets publics, quand il pleut, les gens jettent tous les déchets – du plastique aux vieux vêtements, des métaux aux verres – dans les rivières et les cours d’eau, de sorte que les eaux de crue les emportent. Naturellement, les ordures polluent les sources d’eau terrestre avant d’étouffer nos mers et nos océans.
Le Saint-Siège utilise sa portée et sa présence internationale pour éduquer sur la nécessité de prendre soin de notre maison commune. L’écologie intégrale est devenue nécessaire dans de nombreuses écoles catholiques et activités confessionnelles pour stimuler et soutenir l’amour et le soin de l’environnement. Il encourage les initiatives visant à réduire les coûts de l’empreinte carbone et à maximiser l’utilisation des énergies renouvelables. Il pousse les petits entrepreneurs à mettre en place ou à soutenir des entreprises écologiques au niveau local ou de base. L’Etat de la Cité du Vatican s’efforce de donner un bon exemple non seulement pour les catholiques mais pour tous en s’efforçant de réduire son empreinte carbone au minimum et de devenir totalement sans carbone.
L’Église catholique s’appuie également sur un vaste réseau interconfessionnel et une collaboration avec des entités non gouvernementales et gouvernementales pour sensibiliser les enfants et les adultes à cette responsabilité. Par exemple, le thème du message du Saint-Siège pour les musulmans pour cette période du Ramadan est «Chrétiens et musulmans: prendre soin de notre maison commune». Affirmant que la vocation commune d’être des gardiens de l’œuvre de Dieu n’est ni facultative ni approximative, mais essentielle pour rendre hommage à Dieu, le message invite à une «conversion mondiale» pour répondre adéquatement au défi de la crise écologique.
Une partie intégrante de cette sensibilisation éducative à l’amour et au soin de nos océans, que l’on soit ou non croyant, est le défi de changer les modes de vie et les modes de consommation qui causent la dégradation de la qualité de nos océans et de nos mers.
Le cinquième principe directeur est la nécessité de dialoguer et de collaborer à tous les niveaux, ce qui peut conduire à une prise de décisions, des politiques et des actions communes à l’échelle internationale, nationale et locale. Nous devons apporter à la conversation sur la santé de nos océans et de nos mers les contributions spécifiques des individus et des sociétés, des institutions de l’État et des organisations civiques. Dans un monde de plus en plus globalisé et complexe, les différentes perspectives sont de plus en plus étroitement liées et complémentaires, et tous doivent être réunis pour trouver les solutions et les mesures les plus efficaces. Les politiques d’État et la recherche académique sont importantes et nécessaires, mais le travail sur le terrain est le plus important de tous et la tâche de tous.
Les initiatives et les projets visant à promouvoir la santé de nos océans et de nos mers doivent être pratiques et participatifs pour stimuler la volonté de tous de contribuer à cette tâche commune pour le bien commun. Des initiatives spécifiques et ciblées visant à lutter contre les polluants les plus importants et communs de nos océans et de nos mers pourraient être saines et promouvoir la cohésion sociale. Par exemple, les écoles et les communautés pourraient recueillir des matières plastiques, des métaux, du verre et d’autres déchets qui, autrement, finiraient dans nos océans et nos rivières. Les organisations de base pourraient travailler avec les industries agricoles et minières pour empêcher les déchets industriels de polluer les systèmes d’eau. Les organisations non gouvernementales et les autorités publiques pourraient collaborer fructueusement pour aider les villages de pêcheurs pauvres à lutter contre la dégradation des écosystèmes côtiers qui affectent leur subsistance. Si chacun d’entre nous s’occupe vraiment de notre environnement, il devrait y avoir une collaboration plutôt qu’une opposition.
Mesdames et Messieurs,
Quels types d’océans et de mers voulons-nous laisser aux générations futures ? Quelle qualité d’eau voulons-nous voir couler dans nos plages, dans nos villes, nos villages et nos champs, dans nos éviers et nos douches ? Nous pouvons et devons inverser la dégradation de nos océans et de nos mers. Nous sommes capables du meilleur, de nous élever au-dessus de l’égoïsme personnel et des intérêts nationaux étroits. Ce vaste domaine bleu est le cadeau de Dieu pour nous. Soyons ses gestionnaires responsables.
Je vous remercie.
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NOTES
- Pape François, Laudato si’, 24.
- Laudato si’, 159.
- Ibid., 137-162.
© Traduction de Zenit, Constance Roques