Croix, Saint-Pierre © capture de Zenit / ​CT

Croix, Saint-Pierre © capture de Zenit / CTV

À la croix : foi et caricatures, par le p. Poffet OP

« Regards sur le Christ », chez Parole et Silence

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À  la croix : foi et caricatures
Les passants l’injuriaient en hochant la tête et disant : « Hé ! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même en descendant de la croix ! » Pareillement les grands prêtres se gaussaient entre eux avec les scribes et disaient : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même ! Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions ! » Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’outrageaient (Mc 15,29-32).
Des chrétiens subissent jour après jour, et depuis longtemps, caricatures, moqueries et insultes, notamment dans les media. Peu nombreux sont ceux qui s’en offusquent, d’aucuns appellent à une réaction de légitime défense mais avec le risque de répondre à la haine par la haine, à la bassesse par la bassesse. Beaucoup se taisent et prient. Mais le chrétien ne dispose-t-il pas de repères dans sa tradition pour le guider dans cette tourmente ? C’est dans ce contexte que je voudrais prendre un peu de champ et redécouvrir combien la caricature et la moquerie font partie de l’univers biblique. Il est parfois dangereux d’être témoins de l’Évangile, même lorsque ce témoignage est authentique et empreint de bonté.  L’aurait-on oublié ?
Jésus en croix moqué et caricaturé
Jésus est crucifié, lui le « Roi des Juifs », comme l’atteste l’inscription, mais il est entouré par deux brigands. Étrange compagnie pour un roi ! À son habitude, par de brèves annotations, Marc fait de la théologie au fil de sa narration. Au supplice physique va s’ajouter le supplice moral des moqueries :
Les passants l’injuriaient en hochant la tête et disant : « Hé ! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même en descendant de la croix ! » Pareillement les grands prêtres se gaussaient entre eux avec les scribes et disaient : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même ! Que le Christ, le Roi d’Israël descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions ! » Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’outrageaient (Mc 15,29-32).
Ce sont trois chœurs de moqueurs que campe l’évangéliste. Les passants avec un petit discours, puis les grands prêtres avec également un petit discours et finalement les brigands sans que soient rapportés leurs propos, contrairement à S. Luc qui développera le dialogue entre les larrons et Jésus (Lc 23,39-43). Le premier discours est centré sur le rôle de Jésus par rapport au Sanctuaire : on retrouve les propos des faux témoins lors du procès mais cette fois à la seconde personne et au présent : « Hé ! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours ».
Pour eux, la croix est bien le signe de l’échec de Jésus et de sa mission. Le « Hé ! » (oua en grec) peut s’entendre d’une vulgaire interpellation, mais, en grec, il est plus souvent entendu dans le sens positif d’un émerveillement. Je crois qu’il faut tenir cette ambivalence : elle nous oriente vers un double entendre. Ou bien c’est le regard du moqueur qui s’exprime face à Jésus (et on peut traduire par « Hé ! »), ou bien c’est le regard du croyant qui regarde la croix (et on peut traduire par « Oh ! »).
En effet, le moqueur croit souligner l’échec de Jésus : celui qui prétendait détruire le Sanctuaire ne peut être ce Jésus qui est et reste sur la croix. Mais le croyant entend autrement ces mêmes mots : « Oh ! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours ». C’est en effet exactement ce que Jésus est en train de faire par sa mort et bientôt sa résurrection : il offre un nouveau Sanctuaire, lieu de l’amour rédempteur et d’un pardon offert à tous.
Les autres propos caricaturent aussi ceux de Jésus. Se sauver soi-même ? Descendre de la croix ? Jésus n’avait-il pas dit aux disciples en montant à Jérusalem : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8,34-35). Au terrible supplice de la crucifixion s’ajoute donc le supplice des moqueries : toute la mission de Jésus et ses paroles sont caricaturées, déformées. Et on lui jette tout cela en pleine figure.
Pourtant, l’aveuglement des moqueurs n’y changera rien : Jésus de fait, offre ce nouveau Sanctuaire sur la croix. Au moment de la mort du Christ, Marc évoque une troisième fois le Sanctuaire, après une ultime moquerie des assistants : « « Laissez ! que nous voyions si Elie va venir le descendre ! « Or Jésus, jetant un grand cri, expira. Et le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas. Voyant qu’il avait ainsi expiré, le centurion, qui se tenait en face de lui, s’écria : « Vraiment cet homme était fils de Dieu ! » » (Mc 15,36-39).
Dans le passage parallèle, chez Mt, c’est en voyant les signes eschatologiques accompagnant la mort de Jésus (la terre qui tremble, les rochers qui se fendent et les tombeaux qui s’ouvrent) que le centurion reconnaît la dignité de Jésus.
Mais dans le récit de Marc, c’est en regardant bien la croix que le centurion, païen, peut reconnaître Jésus et avoir accès au-delà du voile, à ce Saint des Saints jusque-là réservé et inaccessible. Inutile de se demander pourquoi et comment le voile du Temple s’est-il déchiré du haut en bas, alors que Marc ne recourt pas au langage apocalyptique (tremblement de terre et bouleversements cosmiques) pour dire le sens de la mort de Jésus. Le sens est clairement symbolique et théologique. L’auteur de l’épître aux Hébreux en rend magnifiquement compte :
Le Christ, lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n’est pas faite de main d’homme, c’est-à-dire qui n’est pas de cette création, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle. (…) Ce n’est pas en effet dans un sanctuaire fait de main d’homme, dans une image de l’authentique, que le Christ est entré, mais dans le ciel lui-même, afin de paraître maintenant devant la face de Dieu en notre faveur (He 9, 11-12.24).
Extrait de : Regards sur le Christ, de J.-M. Poffet, op. Parole et Silence, mars 2017.

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Jean-Michel Poffet

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