Le pape François en train d'écrire - L'OSSERVATORE ROMANO

ONU: un monde sans armes nucléaires, c’est possible, et c’est un impératif, message du pape François

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Négociations pour interdire les armes nucléaires

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« Nous devons nous engager pour un monde sans armes nucléaires (…). L’objectif ultime de l’élimination totale des armes nucléaires devient à la fois un défi et un impératif moral et humanitaire. (…) Bien que ce soit un objectif clairement complexe et à long terme, il n’est pas hors de notre portée », déclare le pape François dans un message à l’ONU.
Ce message, adressé aux membres de la Conférence des Nations Unies en vue de négocier un instrument juridiquement contraignant afin d’interdire les armes nucléaires, conduisant à leur totale élimination (27-31 mars 2017), a été lu par Mgr Antoine Camilleri, sous-secrétaire pour les Relations avec les États, chef de la délégation du Saint-Siège à cette rencontre. Il est significatif que le pape François ait voulu intervenir en personne pour peser de tout son poids moral dans les négociations : cela dit combien il considère cet objectif important pour le bien et l’avenir de l’humanité.
Le pape insiste sur la faisabilité de cet engagement exigeant : « L’humanité a la capacité de travailler ensemble dans la construction de notre maison commune ; nous avons la liberté, l’intelligence et la capacité de diriger et d’orienter la technologie, de limiter notre pouvoir et de mettre tout cela au service d’un autre type de progrès : celui qui est plus humain, social et intégral. »
Il réfute la doctrine de la dissuasion nucléaire : « Une éthique et une loi basées sur la menace d’une destruction mutuelle – et peut-être la destruction de toute l’humanité – sont en contradiction avec le véritable esprit des Nations Unies. »
« Nous devons aussi nous demander à quel point une stabilité basée sur la peur est durable, quand elle augmente réellement la peur et porte atteinte aux relations de confiance entre les peuples », insiste le pape qui invite au contraire à privilégier un véritable dialogue entre les nations.
Il fait observer deux types de conséquences – humanitaires, environnementales, et pour le développement – non seulement en cas d’utilisation de ces armes, mais déjà du fait de leur accumulation.
Voici notre traduction intégrale du message du pape François, publié par le Vatican en anglais et en italien.
AB
Message du pape François
À Son Excellence Elayne Whyte Gómez, présidente de la Conférence des Nations Unies en vue de négocier un instrument juridiquement contraignant afin d’interdire les armes nucléaires, conduisant à leur totale élimination.
Je vous adresse mes salutations cordiales, Madame la Présidente, ainsi qu’à tous les représentants des différentes nations et organisations internationales et de la société civile, participant à cette conférence.
Je désire vous encourager à travailler avec détermination afin de promouvoir les conditions nécessaires pour un monde sans armes nucléaires.
Le 25 septembre 2015, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, j’ai souligné ce que le préambule et le premier article de la Charte des Nations Unies indiquent comme les fondements du cadre juridique international : la paix, la solution pacifique des disputes et le développement de relations amicales entre les nations. Une éthique et une loi basées sur la menace d’une destruction mutuelle – et peut-être la destruction de toute l’humanité – sont en contradiction avec le véritable esprit des Nations Unies. Nous devons donc nous engager pour un monde sans armes nucléaires, en mettant pleinement en œuvre le Traité de non-prolifération, à la fois à la lettre et dans l’esprit (cf. Discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, 25 septembre 2015.
Mais pourquoi nous donner cet objectif exigeant et tourné vers l’avenir dans le contexte international actuel, caractérisé par un climat instable de conflit, qui est à la fois la cause et l’indication des difficultés rencontrées en faisant avancer et en renforçant le processus de désarmement nucléaire et de non-prolifération ?
Si nous prenons en considération les principales menaces pour la paix et la sécurité avec leurs nombreuses dimensions dans ce monde multipolaire du XXIe siècle, comme par exemple le terrorisme, les conflits asymétriques, la cyber-sécurité, les problèmes environnementaux, la pauvreté, de nombreux doutes émergent quant à l’insuffisance de la dissuasion nucléaire comme réponse efficace à ces défis. Ces préoccupations sont encore plus grandes lorsque nous considérons les conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques qui découleraient de toute utilisation d’armes nucléaires avec des effets dévastateurs, aveugles et incontrôlables, dans le temps et dans l’espace. Une cause similaire de préoccupation affleure lorsqu’on examine le gaspillage des ressources consacrées aux questions nucléaires à des fins militaires, qui pourraient plutôt être utilisées pour des priorités dignes de foi comme la promotion de la paix et du développement humain intégral, ainsi que la lutte contre la pauvreté et la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Nous devons aussi nous demander à quel point une stabilité basée sur la peur est durable, quand elle augmente réellement la peur et porte atteinte aux relations de confiance entre les peuples.
La paix et la stabilité internationales ne peuvent être fondées sur un faux sentiment de sécurité, sur la menace de destruction mutuelle ou d’anéantissement total, ou sur le seul maintien d’un équilibre des pouvoirs. La paix doit reposer sur la justice, le développement humain intégral, le respect des droits fondamentaux de l’homme, la protection de la création, la participation de tous à la vie publique, la confiance entre les peuples, le soutien des institutions pacifiques, l’accès à l’éducation et à la santé, le dialogue et la solidarité. De ce point de vue, nous devons aller au-delà de la dissuasion nucléaire : la communauté internationale est appelée à adopter des stratégies tournées vers l’avenir pour promouvoir l’objectif de paix et de stabilité et éviter les approches à courte vue des problèmes de sécurité nationale et internationale.
Dans ce contexte, l’objectif ultime de l’élimination totale des armes nucléaires devient à la fois un défi et un impératif moral et humanitaire. Une approche concrète devrait promouvoir une réflexion sur une éthique de la paix et de la sécurité multilatérale et coopérative qui va au-delà de la peur et de l’isolationnisme qui prévalent dans de nombreux débats d’aujourd’hui. La réalisation d’un monde sans armes nucléaires implique un processus à long terme, basé sur la prise de conscience que « tout est relié » dans la perspective d’une écologie intégrale (voir Laudato Si ‘, 117, 138). Le destin commun de l’humanité exige le renforcement pragmatique du dialogue et la construction et la consolidation de mécanismes de confiance et de coopération capables de créer les conditions d’un monde sans armes nucléaires.
L’interdépendance croissante et la mondialisation signifient que toute réponse à la menace des armes nucléaires doit être collective et  concertée, basée sur la confiance mutuelle. Cette confiance ne peut être construite que par un dialogue véritablement tourné vers le bien commun et non vers la protection d’intérêts voilés ou particuliers ; dans la mesure du possible, ce dialogue devrait inclure tout le monde : les États nucléaires, les pays qui ne possèdent pas d’armes nucléaires, les secteurs militaire et privé, les communautés religieuses, les sociétés civiles et les organisations internationales. Et dans cette entreprise, nous devons éviter ces formes de récriminations et de polarisations mutuelles qui entravent le dialogue plutôt qu’elles ne l’encouragent.
L’humanité a la capacité de travailler ensemble dans la construction de notre maison commune ; nous avons la liberté, l’intelligence et la capacité de diriger et d’orienter la technologie, de limiter notre pouvoir et de mettre tout cela au service d’un autre type de progrès : celui qui est plus humain, social et intégral (ibid., P. 13, 78, 112; Message de la 22ème Réunion de la Conférence des Parties à l’Accord-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP22), 10 novembre 2016).
Cette conférence a l’intention de négocier un traité inspiré par des arguments éthiques et moraux. C’est un exercice d’espérance et je souhaite que ce soit aussi une étape décisive dans la voie vers un monde sans armes nucléaires. Bien que ce soit un objectif clairement complexe et à long terme, il n’est pas hors de notre portée.
Madame la Présidente, je souhaite sincèrement que les efforts de cette Conférence puissent être fructueux et apporter une contribution efficace à la promotion d’une éthique de paix et de sécurité multilatérale et coopérative dont l’humanité a grandement besoin aujourd’hui.
Sur toutes les personnes réunies à cette importante réunion, et sur les citoyens des pays que vous représentez, j’invoque les bénédictions du Tout-Puissant.
Du Vatican, 23 mars 2017
 
© Traduction de Zenit, Constance Roques
 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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