La miséricorde est « un besoin » qui « fait du bien à ce monde frappé de la maladie du ‘rejet’, de la ‘fermeture du cœur’, de l’égoïsme », a souligné le pape François.
Il évoque l’Année sainte de la miséricorde et ses fruits dans une interview de 40 minutes accordée à la chaîne de télévision catholique italienne TV2000 et diffusée le 20 novembre 2016 pour la clôture du Jubilé.
Le pape estime qu’il ne s’agit pas de « la découverte de la miséricorde, parce qu’elle a toujours existé », mais de « sa forte proclamation : c’est comme un besoin, un besoin ». Le Jubilé « a ouvert les cœurs et tant de personnes ont pu rencontrer Jésus. »
Il souligne l’universalité du Jubilé en précisant que « toute l’Église » l’avait vécu et qu’« il y avait comme une atmosphère ‘jubilaire’ ». Le pape raconte aussi quelques épisodes qui l’ont marqué lors de ses gestes de miséricorde un vendredi par moi durant l’année.
Extraits de l’interview du pape François (1/4)
(Etes-vous content de ce jubilé, de la façon dont il a été vécu ?)
Quelqu’un m’a demandé de faire une interview-bilan, plus ou moins, et j’ai aussitôt pensé au recensement du roi David, et j’ai eu peur … [il rit] [le roi David fut puni par Dieu qui lui envoya la peste pour avoir demandé un recensement du peuple d’Israël sans tenir compte du Seigneur (2 Samuel 24) Ndr]. Je peux seulement donner les nouvelles qui arrivent du monde entier. Le fait que le Jubilé n’a pas eu lieu seulement à Rome, mais dans chaque diocèse du monde, dans les diocèses, dans les cathédrales et dans les églises indiquées par l’évêque, a un peu universalisé ce Jubilé. Et cela a fait beaucoup de bien, beaucoup de bien. Car c’était toute l’Eglise qui vivait ce jubilé, il y avait comme une atmosphère « jubilaire ». Et les nouvelles qui arrivent des diocèses parlent de rapprochement de l’Eglise avec les gens, de rencontre avec Jésus, la rencontre … tant de belles choses … Je dirais: ce fut une bénédiction du Seigneur mais aussi, je ne dirais pas un point final, mais un pas en avant dans le grand processus commencé par le bienheureux Paul VI, et puis saint Jean Paul II qui a mis un fort accent sur la miséricorde: pensons à ces trois grands événements: l’Encyclique le jour de la Divine Miséricorde, dans l’octave de Pâques et la canonisation de sœur Faustine. Saint Jean Paul II a fait un grand pas en avant. Et puis, celui-ci … Sur le plan ecclésial, c’est je ne dis pas la découverte de la miséricorde, parce qu’elle a toujours existé, mais sa forte proclamation : c’est comme un besoin, un besoin. Un besoin qui, je crois, fait du bien à ce monde frappé de la maladie du « rejet », de la « fermeture du cœur », de l’égoïsme. Car il a ouvert le cœur et tant de personnes ont pu rencontrer Jésus …
(En quoi cette année jubilaire peut-elle encore changer, quel fruit peut-elle laisser dans l’Eglise ?)
On a beaucoup semé. Et selon la loi de l’Evangile, le grain est semé et c’est le Seigneur qui le fait pousser. Je crois que le Seigneur fera pousser de bonnes choses, simples, quotidiennes, dans la vie des personnes, rien de spectaculaire, non.
(Tous les vendredis du mois vous avez accompli une œuvre de miséricorde en allant sur un lieu de souffrance et d’accueil (…) Y en a-t-il une que vous aimeriez évoquer tout particulièrement, qui vous est restée, qui est dans votre cœur ?)
Il y en a deux qui me viennent à l’esprit en ce moment… Quand je suis allé rendre visite aux jeunes filles que l’on a pu sortir de l’exploitation de la prostitution. Je me souviens de l’une d’elles, africaine: très belle, très jeune, exploitée – elle était enceinte – exploitée mais également durement battue et torturée: « Tu dois aller travailler » … En racontant son histoire – il y en avait 15 jeunes filles qui me racontaient leurs histoires, chacune – elle m’a dit: « Père, j’ai accouché en hiver dans la rue. Seule. Ma petite fille est morte ». On l’a fait travailler jusqu’au bout, et si elle ne rapportait pas assez d’argent à l’homme qui l’exploitait, elle était battue, voire torturée. A une autre on avait coupé une oreille pour ne pas avoir rapporté … C’est un fait … Et j’ai pensé non seulement à ceux qui exploitent ces filles, mais à ceux aussi qui paient ces filles : ces gens-là ne savent-ils pas qu’avec cet argent, sous prétexte d’un désir sexuel à satisfaire, ils aidaient ces hommes?
L’autre, est le jour où je suis allé voir les deux extrêmes de la vie, le début et la fin: je suis allé à un hôpital juste à côté de la polyclinique Gemelli, en lien avec elle, mais réservé aux malades terminaux. Le même jour je me suis rendu à la maternité de l’hôpital Saint-Jean. Il y avait une femme qui pleurait, pleurait, pleurait devant ses deux … minuscules mais très beaux: le troisième est mort. Il y en avait trois, mais un des bébés est mort. Et elle pleurait son fils mort, tout en caressant les deux autres. Le don de la vie. Et j’ai pensé à cette habitude de jeter les enfants avant leur naissance, à ce crime horrible: jetés parce que c’est mieux comme ça, parce que c’est plus commode. C’est une grosse responsabilité – et un très grave péché, non ? – c’est une grosse responsabilité … Cette femme qui avait trois enfants, pleurait la mort de l’un d’eux, était inconsolable malgré les deux autres qui lui étaient restés. L’amour de la vie, dans n’importe quelle situation … J’ai encore leur image … deux choses que j’ai vues …
Traduction de Zenit, Océane Le Gall