Interview du pape François par Stefania Falasca © Avvenire

Interview du pape François par Stefania Falasca © Avvenire

L’unité des chrétiens est déjà visible: par la prière, la charité et le martyre

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Entretien du pape François avec Stefania Falasca dans Avvenire (3/5)

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L’unité des chrétiens est déjà « visible », et de trois façons: lorsqu’ils prient ensemble, lorsqu’ils accomplissent ensemble des oeuvres de charité et lorsqu’ils sont témoins du Christ jusqu’au bout par le martyre : c’est ce qu’affirme le pape François dans une interview accordée à Stefania Falasca publiée dans le quotidien catholique italien Avvenire, jeudi 17 novembre 2016. Et c’est le rôle de « l’évêque de Rome » de « garder », « rechercher » et « servir cette unité ».
Le pape indique trois routes pour l’unité, déjà « visible » : « Faire des processus au lieu d’occuper des espaces est la clé aussi du chemin œcuménique. En ce moment historique, l’unité se fait sur trois routes : cheminer ensemble avec les œuvres de charité, prier ensemble et ensuite reconnaître la confession commune tel qu’elle s’exprime dans le martyre commun reçu au nom du Christ, dans l’œcuménisme du sang. Là on voit que l’ennemi lui-même reconnaît notre unité, l’unité des baptisés. L’ennemi, en ce sens, ne se trompe pas. Et tout ceci, ce sont des expressions d’unité visible. Prier ensemble est visible. Accomplir des œuvres de charité ensemble est visible. Le martyre partagé au nom du Christ est visible. »
A propos des rencontres œcuméniques qui ont eu lieu ces derniers mois, le pape y voit le fruit d’un long chemin : « Tout cela fait partie d’un parcours qui vient de loin. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Ce sont seulement des pas supplémentaires, le long d’un chemin initié il y a longtemps. Depuis qu’a été promulgué le décret conciliaire Unitatis Redintegratio, il y a plus de cinquante ans, et que l’on a redécouvert la fraternité chrétienne basée sur l’unique baptême et sur la même foi dans le Christ, le chemin sur la route de la recherche de l’unité a avancé à petits et à grands pas et a porté du fruit. Je continue de marcher sur ces pas. »
Il évoque les pas effectués par ses prédécesseurs et il cite notamment Jean-Paul Ier : « De même qu’un pas de plus a été cet entretien du pape Luciani avec le métropolite russe Nikodim qui est mort dans ses bras et, dans cette étreinte de son frère évêque de Rome, Nikodim lui a dit des choses très belles sur l’Église. Je me souviens des funérailles de saint Jean-Paul II, il y avait tous les chefs des Églises d’Orient : c’est cela la fraternité. Les rencontres et les voyages aident cette fraternité, à la faire grandir. »
Le chemin du concile et l’évêque de Rome
Pour le pape, il ne s’agit pas « d’accélérer » mais de mettre en œuvre Vatican II : « C’est le chemin du Concile qui avance, s’intensifie. Mais c’est le chemin, ce n’est pas moi. Ce chemin est le chemin de l’Église. J’ai rencontré les primats et les responsables, c’est vrai, mais mes autres prédécesseurs aussi ont eu leurs rencontres avec ceux-ci ou avec d’autres responsables. Je n’ai donné aucune accélération. Dans la mesure où nous avançons, le chemin semble aller plus vite, c’est le « motus in fine velocior » pour le dire selon le processus exprimé dans la physique aristotélicienne. »
La journaliste fait une objection : « Vous continuez de rencontrer fréquemment les chefs des autres Églises. Mais l’évêque de Rome ne doit-il pas s’occuper à temps plein de l’Église catholique ? » Le pape revient à la prière du Christ lui-même : « Jésus lui-même prie le Père pour demander que les siens soient un, pour que le monde croie. C’est sa prière au Père. Depuis toujours, l’évêque de Rome est appelé à garder, à rechercher et à servir cette unité. Nous savons aussi que les blessures de nos divisions, qui déchirent le corps du Christ, nous ne pouvons pas les guérir nous-mêmes. Par conséquent, on ne peut pas imposer des projets ou des systèmes pour redevenir unis. Pour demander l’unité entre nous, chrétiens, nous pouvons seulement regarder Jésus et demander que l’Esprit-Saint agisse entre nous. Que ce soit lui qui fasse l’unité. Dans la rencontre de Lund avec les luthériens, j’ai redit les paroles de Jésus quand il dit à ses disciples : « Sans moi vous ne pouvez rien faire ». »
Non au prosélytisme
Le pape insiste sur le fait que c’est en suivant fidèlement le Christ que les chrétiens font grandir l’unité : « L’unité ne se fait pas parce que nous nous mettons d’accord entre nous, mais parce que nous cheminons en suivant Jésus. Et en marchant, par l’action de celui que nous suivons, nous pouvons nous découvrir unis. C’est le fait de marcher derrière Jésus qui nous unit. Se convertir signifie laisser le Seigneur vivre et agir en nous. Ainsi, nous découvrons que nous nous trouvons unis y compris dans notre mission commune d’annoncer l’Évangile. En marchant et en travaillant ensemble, nous nous rendons compte que nous sommes déjà unis au nom du Seigneur et que, par conséquent, ce n’est pas nous qui créons l’unité.
Il insiste sur le rôle de l’Esprit Saint : « Nous nous apercevons que c’est l’Esprit qui pousse et qui nous fait avancer. Si tu es docile à l’Esprit, c’est lui qui te dira quel pas tu peux faire, le reste c’est lui qui le fait. On ne peut pas aller derrière le Christ si l’Esprit ne te porte pas, s’il ne te pousse pas par sa force. C’est pourquoi, l’Esprit est l’artisan de l’unité entre les chrétiens. »
Le pape condamne à nouveau le prosélytisme entre chrétiens: « Voilà pourquoi je dis que l’unité se fait en chemin, parce que l’unité est une grâce qu’il faut demander et aussi parce que je redis que tout prosélytisme entre chrétiens est mauvais. L’Église ne grandit jamais par prosélytisme mais « par attraction » comme l’a écrit Benoît XVI. Le prosélytisme entre chrétiens est donc en soi un péché grave. Parce qu’il contredit la dynamique même de la façon dont on devient et reste chrétiens. L’Église n’est pas une équipe de foot qui cherche des supporters. »
Le « scandale » de la division doit être dépassé dans la « fraternité », insiste le pape : « La rencontre de Lund, comme tous les autres pas œcuméniques, a aussi été un pas en avant pour faire comprendre le scandale de la division, qui blesse le corps du Christ et que nous ne pouvons pas nous permettre devant le monde. Comment pouvons-nous rendre témoignage à la vérité de l’amour si nous nous disputons, si nous nous divisons entre nous ? Quand j’étais enfant, on ne parlait pas aux protestants. À Buenos Aires, quand les évangélistes venaient prêcher avec leurs tentes, il y avait un prêtre qui envoyait le groupe de jeunes brûler celles-ci. Maintenant les temps ont changé. Le scandale doit être simplement dépassé en faisant les choses ensemble par des gestes d’unité et de fraternité. »
Le baptême, la source qui nous unit
Stefania Falasca rappelle qu’à Cuba, en rencontrant le patriarche Cyrille, le pape a immédiatement évoqué le baptême en disant : « Nous avons le même baptême. Nous sommes évêques ». Le pape dit la joie du baptême : « Quand j’étais évêque à Buenos Aires, toutes les tentatives mises en œuvre par de nombreux prêtres pour faciliter l’administration des baptêmes me donnaient de la joie. Le baptême est le geste par lequel le Seigneur nous choisit, et si nous reconnaissons que nous sommes unis dans le baptême, cela veut dire que nous sommes unis dans ce qui est fondamental. C’est celle-là la source commune qui nous unit tous, chrétiens, et qui nourrit tout nouveau pas possible de notre part pour retourner à la pleine communion entre nous. Pour redécouvrir notre unité, nous ne devons pas « aller au-delà » du baptême. Avoir le même baptême veut dire confesser ensemble que le Verbe s’est fait chair : c’est cela qui nous sauve. Toutes les idéologies et les théories naissent de ceux qui ne s’arrêtent pas là, qui ne restent pas à la foi qui reconnaît le Christ venu dans la chair et qui veulent « aller au-delà ». De là naissent toutes les positions qui enlèvent à l’Église la chair du Christ, qui « désincarnent » l’Église. Si nous regardons ensemble notre baptême commun, nous sommes aussi libérés de la tentation du pélagianisme, qui veut nous convaincre que nous nous sauvons par notre propre force, par nos activismes. Et en rester au baptême nous sauve aussi de la gnose. Cette dernière dénature le christianisme en le réduisant à un parcours de connaissance, qui peut se passer de la rencontre réelle avec le Christ. »
Le pape diagnostique une « maladie spirituelle » ennemie de l’unité, la recherche de « l’affirmation de soi », du « pouvoir » : « Je continue de penser que le cancer dans l’Église est de se rendre gloire l’un à l’autre. Si quelqu’un ne sait pas qui est le Christ, ou ne l’a jamais rencontré, il peut toujours le rencontrer. Mais si on est dans l’Église et qu’on y évolue justement parce que dans le cadre de l’Église on cultive et alimente sa réputation de domination et son affirmation de soi, on a une maladie spirituelle, on croit que l’Église est une réalité humaine autosuffisante, où tout évolue selon des logiques d’ambition et de pouvoir. Dans la réaction de Luther, il y a aussi ceci : le refus d’une image de l’Église comme une organisation qui pouvait avancer en se passant de la grâce du Seigneur ou en la considérant comme acquise, garantie a priori. Et cette tentation de construire une Église autoréférentielle, qui pousse à l’opposition et donc à la division, revient toujours. »
Le mystère de la lune
Le pape discerne aussi dans une forme de repli sur soi de l’Eglise la source des divisions et invite à « regarder le premier millénaire » pour y trouver l’inspiration: « Il ne s’agit pas de revenir en arrière de façon mécanique, ce n’est pas simplement faire « marche arrière » : il y a là des trésors valables aussi pour aujourd’hui. Avant, je parlais de l’autoréférence, l’habitude pécheresse de l’Église de se regarder trop, comme si elle croyait avoir sa propre lumière. Le patriarche Bartholomée a dit la même chose en parlant d’ « introversion » ecclésiale. Les Pères de l’Église des premiers siècles avaient clairement à l’esprit que l’Église vit instant après instant de la grâce du Christ. C’est pourquoi, je l’ai déjà dit d’autres fois, ils disaient que l’Église n’a pas de lumière propre, et ils l’appelaient « mysterium lunae », le mystère de la lune. Parce que l’Église donne la lumière, mais elle ne brille pas de sa propre lumière. Et quand l’Église, au lieu de regarder le Christ, se regarde trop, les divisions arrivent. C’est ce qui s’est produit après le premier millénaire. Regarder le Christ nous libère de cette habitude et aussi de la tentation du triomphalisme et du rigorisme. Et cela nous fait marcher ensemble sur la même voie de la docilité à l’Esprit-Saint, qui nous conduit à l’unité. »
Le pape redit sa confiance dans le véritable acteur de l’unité, l’Esprit Saint et invite à la patience: « L’Esprit-Saint mène les choses à leur achèvement avec les temps qu’il établit lui-même. C’est pourquoi, nous ne pouvons pas être impatients, découragés, anxieux. Le chemin requiert de garder et d’améliorer patiemment ce qui existe déjà, qui est beaucoup plus que ce qui divise. Et témoigner de son amour pour tous les hommes, pour que le monde croie. »
Avec Anita Bourdin et une traduction de Constance Roques

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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