Synode des évêques sur la famille (1re session, 2014).

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"Faites de votre ministère une image de la miséricorde", demande le pape aux évêques

Devant les nouveaux évêques, il met en garde contre la tentation d’être « à la mode »

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« Faites de votre ministère une image de la miséricorde », en offrant « à ce monde mendiant » la « bonté, la beauté, la vérité, l’amour, le bien », recommande le pape aux évêques. Mais sans toutefois « attirer à soi » : « Le monde est lassé des charmeurs qui mentent, (…) des prêtres ‘à la mode’ ou des évêques ‘à la mode’. (…) Les gens ‘flairent’ et s’éloignent quand ils reconnaissent des narcissiques, des manipulateurs, des défenseurs de leurs propres causes, des bandits de vaines croisades ».
Rencontrant les participants à un cours de formation pour les nouveaux évêques nommés ces douze derniers mois, le pape a appelé à « faire de la miséricorde une pastorale », c’est-à-dire à « la conjuguer avec des verbes, la rendre palpable et opérationnelle ». Au cours de l’audience qui a eu lieu le 16 septembre 2016 au Vatican, le pape a insisté : « Il faut en effet que la miséricorde forme et informe les structures pastorales de nos Églises. Il ne s’agit pas d’abaisser les exigences ou de brader nos perles à bon marché. Faire de la miséricorde une pastorale n’est rien d’autre que faire des Églises qui vous sont confiées des maisons où demeurent la sainteté, la vérité et l’amour. »
Au fil, de ce long discours, le pape François a aussi recommandé de « se laisser transpercer par la connaissance amoureuse de Dieu » dans « la certitude que ce sera lui, et non nous, qui mènera à bien ce qu’il a lui-même commencé ». « Beaucoup aujourd’hui, a constaté le pape, portent des masques et se cachent. Ils aiment construire des personnages et inventer des profils. (…) Ils ne supportent pas le frisson de se savoir connus par Quelqu’un qui est plus grand et qui ne méprise pas notre peu, qui est plus saint et ne nous reproche pas notre faiblesse, qui est vraiment bon et ne se scandalise pas de nos plaies ».
Le pape a invité à « soigner avec une attention particulière les structures d’initiation de vos Églises, en particulier les séminaires » : « Ne vous laissez pas tenter par les chiffres et par la quantité des vocations, mais cherchez plutôt la qualité des disciples », a-t-il exhorté. Et le pape de préciser : « Faites-les grandir jusqu’à ce qu’ils aient acquis la liberté de rester en Dieu (…) ; non la proie de leurs caprices et entièrement soumis à leurs propres fragilités, mais libres d’embrasser ce que Dieu leur demande, même quand cela ne semble pas doux (…). Et soyez attentifs quand un séminariste se réfugie dans la rigidité : dessous, il y a toujours quelque chose qui ne va pas ».
La formation est organisée conjointement par la Congrégation pour les évêques et par la Congrégation pour les Églises orientales. Voici notre traduction intégrale du discours du pape François.
AK
Discours du pape François
Chers frères, bonjour !
Vous arrivez quasiment à la fin de ces fécondes journées passées à Rome pour approfondir la richesse du mystère auquel Dieu vous a appelés en tant qu’évêques de l’Église. Je salue avec gratitude la Congrégation pour les évêques et la Congrégation pour les Églises orientales. Je salue le cardinal Ouellet et je le remercie pour ses aimables paroles, des paroles fraternelles. En les personnes du cardinal Ouellet et du cardinal Sandri, je voudrais remercier pour le généreux travail effectué pour la nomination des évêques et pour l’engagement dans la préparation de cette semaine. Je suis heureux de vous accueillir et de pouvoir partager avec vous quelques pensées qui viennent au cœur du Successeur de Pierre quand je vois devant moi ceux qui ont été « pêchés » par le cœur de Dieu pour guider son peuple saint.

  1. Le frisson d’avoir été aimés en premier

Oui ! Dieu vous précède dans son amoureuse connaissance ! Il vous a « pêchés » avec le hameçon de sa surprenante miséricorde. Ses filets se sont mystérieusement resserrés et vous n’avez pas pu ne pas vous laisser capturer. Je sais bien qu’un frisson vous parcourt encore au souvenir de son appel arrivé à travers la voix de l’Église, son Épouse. Vous n’êtes pas les premiers à être parcourus par un tel frisson.
Moïse aussi l’a été, lui qui se croyait seul dans le désert et qui, au contraire, s’est découvert retrouvé et attiré par Dieu qui lui confia son nom, non pour lui mais pour son peuple (cf. Ex 3). Il lui confie son nom pour le peuple, n’oubliez pas cela. Et le cri de douleur des gens continue de monter vers Dieu et vous savez que, cette fois-ci, c’est votre nom que le Père a voulu prononcer, pour que vous annonciez son nom au peuple.
Nathanaël aussi l’a été lorsque, ayant été vu quand il était encore « sous le figuier » (Jn 1,48), il se retrouve avec stupeur gardien de la vision des cieux qui s’ouvrent définitivement. Voilà, la vie de beaucoup est encore privée de ce passage qui donne accès vers le haut, et vous avez été vus de loin pour guider vers le but. Ne vous contentez pas de moins ! Ne vous arrêtez pas à mi-chemin !
La Samaritaine aussi, qui a été « connu » par le Maître au puits du village et qui, ensuite, appelle ses compatriotes à rencontrer Celui qui possède l’eau vive (cf. Jn 4,16-19). C’est important d’être conscients que, dans vos Églises, nul n’est besoin de chercher « d’une mer à l’autre » parce que la Parole dont les gens ont faim et soif, ils peuvent la trouver sur vos lèvres (cf. Am 8,11-13).
Les apôtres aussi ont été parcourus d’un tel frisson quand, une fois dévoilées « les pensées de leur cœur », ils ont peiné à découvrir l’accès à la voie secrète de Dieu qui habite dans les petits et se cache à celui qui se suffit à lui-même (cf. Lc 9,46-48). N’ayez pas honte des fois où vous-mêmes avez été frôlés par cet éloignement des pensées de Dieu. Ou plutôt, abandonnez toute prétention à l’autosuffisance pour vous confier comme des enfants en Celui qui révèle son Royaume aux petits.
Même les pharisiens ont été secoués par ce frisson lorsque, souvent, ils ont été démasqués par le Seigneur qui connaissait leurs pensées, si ambitieux qu’ils voulaient mesurer le pouvoir de Dieu avec l’étroitesse de leur propre regard et blasphématoires au point de murmurer contre la souveraine liberté de son amour salvifique (Mt 12,24-25). Que Dieu vous préserve de rendre vain ce frisson, de l’apprivoiser et de le vider de sa puissance « déstabilisante ». Laissez-vous « déstabiliser » : c’est bon pour un évêque !

  1. Admirable condescendance !

Il est beau de se laisser transpercer par la connaissance amoureuse de Dieu. Il est consolant de savoir qu’il sait vraiment qui nous sommes et ne s’effraie pas de notre petitesse. Il est rassérénant de conserver dans le cœur la mémoire de sa voix qui nous a appelés, justement malgré nos insuffisances. Cela donne la paix de s’abandonner à la certitude que ce sera lui, et non nous, qui mènera à bien ce qu’il a lui-même commencé.
Beaucoup aujourd’hui portent des masques et se cachent. Ils aiment construire des personnages et inventer des profils. Ils se rendent esclaves des misérables ressources qu’ils rassemblent et auxquelles ils s’agrippent comme si elles suffisaient pour s’acheter l’amour qui n’a pas de prix. Ils ne supportent pas le frisson de se savoir connus par Quelqu’un qui est plus grand et qui ne méprise pas notre peu, qui est plus saint et ne nous reproche pas notre faiblesse, qui est vraiment bon et ne se scandalise pas de nos plaies. Qu’il n’en soit pas ainsi pour vous : laissez ce frisson vous parcourir, ne l’enlevez pas et ne le faites pas taire.

  1. Franchir le cœur du Christ, la vraie Porte de la miséricorde

Pour toutes ces raisons, dimanche prochain, en franchissant la Porte sainte du Jubilé de la miséricorde, qui a attiré au Christ des millions de pèlerins de Rome et du monde, je vous invite à vivre intensément une expérience personnelle de gratitude, de réconciliation, d’abandon total, de remise sans réserve de votre vie au pasteur des pasteurs.
En franchissant le Christ, la seule Porte, posez votre regard dans le sien. Laissez-le vous rejoindre « miserando atque eligendo ». La plus précieuse richesse que vous puissiez rapporter de Rome au commencement de votre ministère épiscopal est la conscience de la miséricorde avec laquelle vous avez été regardés et choisis. Le seul trésor que je vous prie de ne pas laisser rouiller en vous est la certitude que vous n’êtes pas abandonnés à vos propres forces. Vous êtes des évêques de l’Église, participant à un unique épiscopat, membre d’un collège indivisible, fermement greffés comme d’humbles sarments sur la vigne, sans laquelle vous ne pouvez rien faire (Jn 15,48). Puisque désormais vous ne pouvez plus aller seuls nulle part, parce que vous portez l’Épouse qui vous est confiée comme un sceau imprimé sur votre âme, en passant la Porte sainte, faites-le en portant sur vos épaules votre troupeau : pas tout seuls ! Avec le troupeau sur les épaules et en portant dans votre cœur le cœur de votre épouse, de vos Églises.

  1. La tâche de rendre la miséricorde pastorale

Ce n’est pas une tâche facile. Demandez à Dieu, qui est riche en miséricorde, le secret pour faire de sa miséricorde une pastorale dans vos diocèses. Il faut en effet que la miséricorde forme  et informe les structures pastorales de nos Églises. Il ne s’agit pas d’abaisser les exigences ou de brader nos perles à bon marché. Au contraire, la seule condition que pose la perle précieuse à ceux qui la trouvent est de ne pas pouvoir réclamer moins de la totalité ; son unique prétention est de susciter dans le cœur de celui qui la trouve le besoin de se risquer tout entier pour l’avoir.
N’ayez pas peur de proposer la miséricorde comme un résumé de ce que Dieu offre au monde, parce que le cœur de l’homme ne peut aspirer à rien de plus grand. Si cela n’était pas suffisant pour « assouplir ce qui est raide, réchauffer ce qui est gelé, redressé ce qui est tordu », qu’est-ce qui aurait un pouvoir sur l’homme ? Nous serions alors désespérément condamnés à l’impuissance. Peut-être nos peurs auraient-elles le pouvoir de s’opposer aux murs et d’ouvrir des passages ? Nos insécurités et nos défiances seraient-elle par hasard en mesure de susciter douceur et consolation dans la solitude et dans l’abandon ?
Comme nous l’a enseigné mon sage et vénéré prédécesseur, c’est « la miséricorde qui met une limite au mal ». En elle, s’exprime la nature toute particulière de Dieu – sa sainteté, le pouvoir de la vérité et de l’amour ». Elle est « la manière dont  Dieu s’oppose au pouvoir des ténèbres avec son pouvoir différent et divin », justement « celui de la miséricorde (Benoît XVI, Homélie, 15 avril 2007). Ne vous laissez donc pas épouvanter par l’insinuation impérieuse de la nuit. Conservez intacte la certitude de ce pouvoir humble avec lequel le Seigneur frappe au cœur de tous les hommes : sainteté, vérité et amour. Faire de la miséricorde une pastorale n’est rien d’autre que faire des Églises qui vous sont confiées des maisons où demeurent la sainteté, la vérité et l’amour. Elles demeurent comme des hôtes venus d’en-haut, dont on ne peut s’emparer, mais dont il faut toujours se servir en redisant : « Ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gen 18,3): c’est la demande d’Abraham.

  1. Trois recommandations pour faire de la miséricorde une pastorale

Je voudrais vous offrir trois petites pensées comme contribution pour cette tâche immense qui vous attend ; celle de faire une pastorale, par le biais de votre ministère de la miséricorde, c’est-à-dire de la rendre accessible, tangible, « rencontrable ».
5.1. Soyez des évêques capables de fasciner et d’attirer
Faites de votre ministère une image de la miséricorde, la seule force capable de séduire et d’attirer le cœur de l’homme de manière permanente. Le voleur aussi, à la dernière heure, s’est laisser entraîner par Celui en qui il a « trouvé seulement du bien » (cf. Lc 23,41). En le voyant transpercé sur la croix, il se battait la coulpe en confessant ce qu’il n’aurait jamais pu reconnaître de lui-même s’il n’avait pas été surpris par cet amour qu’il n’avait jamais connu auparavant et qui, toutefois, jaillissait gratuitement et abondamment ! Un dieu lointain et indifférent, on peut l’ignorer, mais on ne résiste pas facilement à un Dieu si proche et de plus, blessé par amour. La bonté, la beauté, la vérité, l’amour, le bien – voilà ce que nous pouvons offrir à ce monde mendiant, même dans des bols à moitié cassés.
Il ne s’agit toutefois pas d’attirer à soi : c’est un danger ! Le monde est lassé des charmeurs qui mentent. Et je me permets de dire, des prêtres « à la mode » ou des évêques « à la mode ». Les gens « flairent », le peuple de Dieu a le flair de Dieu, les gens « flairent » et s’éloignent quand ils reconnaissent des narcissiques, des manipulateurs, des défenseurs de leurs propres causes, des bandits de vaines croisades. Cherchez plutôt à seconder Dieu qui s’introduit avant même votre arrivée.
Je pense à Éli et au petit Samuel, dans le premier Livre de Samuel. Bien que ce fût un temps où « la parole du Seigneur était rare […], les visions n’étaient pas fréquentes » (3,1), Dieu ne s’était toutefois pas résigné à disparaître. C’est seulement la troisième fois qu’Éli, endormi, a compris que le jeune Samuel n’avait pas besoin de sa réponse mais de celle de Dieu. Je vois le monde aujourd’hui comme un Samuel confus, ayant besoin de quelqu’un pour distinguer, dans le grand bruit qui trouble son agonie, la voix secrète de Dieu qui l’appelle. Il faut des personnes qui sachent faire émerger des cœurs d’aujourd’hui, qui ignorent la grammaire, l’humble « Parle, Seigneur » (3,9). Il faut encore plus ceux qui savent favoriser le silence qui rend cette parole audible.
Dieu ne se rend jamais ! C’est nous qui, habitués à nous rendre, nous accommodons souvent en préférant nous laisser convaincre qu’on a vraiment pu l’éliminer et nous inventons des discours amers pour justifier la paresse qui nous bloque dans le son immobile de vaines lamentations. Les lamentations d’un évêque sont à bannir.
5.2. Soyez des évêques capables d’initier ceux qui vous sont confiés
Ce qui est grand nécessite un parcours pour pouvoir s’y exercer. D’autant plus la miséricorde divine, qui est inépuisable ! Une fois que l’on est saisi par la miséricorde, celle-ci exige un parcours d’introduction, un chemin, une route, une initiation. Il suffit de regarder l’Église, Mère qui engendre pour Dieu et Maîtresse qui initie ceux qu’elle engendre, pour qu’ils comprennent la vérité en  plénitude. Il suffit de contempler la richesse de ses sacrements, source toujours à revisiter, même dans notre pastorale, qui ne veut être rien d’autre que la tâche maternelle de l’Église de nourrir ceux qui sont nés de Dieu et par elle. La miséricorde de Dieu est la seule réalité qui consente à l’homme de ne pas se perdre définitivement, même quand, par malheur, il cherche à échapper à sa fascination. En elle, l’homme peut toujours être certain de ne pas glisser dans ce gouffre où il se retrouve privé d’origine et de destin, de sens et d’horizon.
Le visage de la miséricorde est le Christ. En lui, elle reste une offre permanente et inépuisable : en lui, elle proclame que personne n’est perdu, personne n’est perdu ! Pour lui, chacun est unique ! Unique brebis pour laquelle il risque dans la tempête ; unique pièce de monnaie achetée avec le prix de son sang ; unique fils qui était mort et qui maintenant est revenu en vie (cf. Lc 15). Je vous prie de ne pas avoir d’autres perspectives d’où regarder vos fidèles que celle de leur caractère unique, de tout essayer pour les rejoindre, de ne vous épargner aucun effort pour les retrouver.
Soyez des évêques capables d’initier vos Églises à cet abîme d’amour. Aujourd’hui, on demande trop de fruits à des arbres qui n’ont pas été suffisamment cultivés. On a perdu le sens de l’initiation. Pensez à l’urgence éducative, à la transmission des contenus et des valeurs, pensez à l’analphabétisme affectif, aux parcours vocationnels, au discernement dans les familles, à la recherche de la paix : tout ceci requiert initiation et parcours guidés, avec persévérance, patience et constance, qui sont les signes qui distinguent le bon pasteur du mercenaire.
Il me vient à l’esprit Jésus qui initie ses disciples. Prenez les Évangiles et observez combien le Maître introduit les siens avec patience au mystère de sa personne et à la fin, pour imprimer sa personne en eux, il donne l’Esprit qui « enseigne tout » (cf. Jn 16,13). Je suis toujours touché par une annotation de Matthieu pendant le discours des paraboles, qui dit ceci : « Alors, laissant les foules, il vint à la maison. Ses disciples s’approchèrent et lui dirent : « Explique-nous » (13,36). Je voudrais m’arrêter sur cette annotation apparemment sans importance. Jésus entre dans la maison, dans l’intimité des siens, la foule reste dehors, les disciples s’approchent et demandent des explications. Jésus était toujours immergé dans les affaires de son Père avec lequel il cultivait une intimité dans la prière. C’est pourquoi il pouvait être présent à lui-même et aux autres. Il sortait vers la foule, mais il avait la liberté de rentrer.
Je vous recommande le soin de l’intimité avec Dieu, source de la maîtrise et de la remise de soi, de la liberté de sortir et de revenir. Être des pasteurs capables aussi de rentrer à la maison avec les vôtres, de susciter cette saine intimité qui leur permet de s’approcher, de créer cette confiance qui permet la question : « Explique-nous ». Il ne s’agit pas d’une quelconque explication, mais du secret du Royaume. C’est une question adressée à vous en premier. On ne peut pas déléguer la réponse à quelqu’un d’autre. On ne peut pas renvoyer à plus tard parce qu’on vit dans le coin, dans un « ailleurs » imprécis, allant quelque part ou revenant d’un autre lieu, souvent pas très ferme sur soi-même.
Je vous prie de soigner avec une attention particulière les structures d’initiation de vos Églises, en particulier les séminaires. Ne vous laissez pas tenter par les chiffres et par la quantité des vocations, mais cherchez plutôt la qualité des disciples. Ni chiffres, ni quantité : seulement la qualité. Ne privez pas les séminaristes de votre ferme et tendre paternité. Faites-les grandir jusqu’à ce qu’ils aient acquis la liberté de rester en Dieu, « tranquilles et sereins comme des petits enfants contre leur mère » (cfr Sal 131,2); non la proie de leurs caprices et entièrement soumis à leurs propres fragilités, mais libres d’embrasser ce que Dieu leur demande, même quand cela ne semble pas doux, comme le fut au commencement le sein maternel. Et soyez attentifs quand un séminariste se réfugie dans la rigidité : dessous, il y a toujours quelque chose qui ne va pas.
5.3. Soyez des évêques capables d’accompagner
Permettez-moi de vous faire une ultime recommandation pour faire de la miséricorde une pastorale. Et ici, je suis obligé de vous ramener sur la route de Jéricho pour contempler le cœur du Samaritain qui se déchire comme le ventre d’une mère, touché par la miséricorde face à cet homme sans nom tombé aux mains des brigands. Avant tout, il s’est laissé lacérer par la vision du blessé, à moitié mort, puis vient la série impressionnante de verbes que vous connaissez tous. Des verbes, pas des adjectifs, comme nous le préférons souvent. Des verbes dans lesquels se conjugue la miséricorde.
Faire de la miséricorde une pastorale, c’est justement ceci : la conjuguer avec des verbes, la rendre palpable et opérationnelle. Les hommes ont besoin de la miséricorde ; ils sont, bien qu’inconsciemment, à sa recherche. Ils savent bien qu’ils sont blessés, ils le sentent, ils savent bien qu’ils sont « à moitié morts » (cf. Lc 10,30) tout en ayant peur de l’admettre. Quand ils voient à l’improviste la miséricorde s’approcher, alors, ils s’exposent en tendant la main pour la mendier. Ils sont fascinés par sa capacité de s’arrêter, quand tant d’autres passent outre ; de se pencher, quand un certain rhumatisme de l’âme empêche de se plier ; de toucher la chair blessée, quand prévaut la préférence pour tout ce qui est aseptisé.
Je voudrais m’arrêter sur un des verbes conjugués par le Samaritain. Il accompagne à l’auberge l’homme rencontré par hasard, il prend sur lui son sort. Il s’intéresse à sa guérison et à son lendemain. Ce qu’il a déjà fait ne lui suffit pas. La miséricorde qui avait brisé son cœur a besoin de se déverser et de jaillir. On ne peut pas la stopper. On ne parvient pas à la faire cesser. Bien que n’étant qu’un Samaritain, la miséricorde qui l’a saisi participe de la plénitude de Dieu, c’est pourquoi aucune digue ne peut l’arrêter.
Soyez des évêques au cœur blessé par cette miséricorde et donc inlassables dans l’humble tâche d’accompagner l’homme que, « par hasard » Dieu a mis sur votre route. Partout où vous allez, souvenez-vous que la route de Jéricho n’est pas loin. Vos églises sont pleines de tels routes. Tout près de vous, il ne sera pas difficile de rencontrer celui qui attend, non pas un « lévite » qui tourne la tête mais un frère qui se fait proche.
Accompagnez d’abord, et avec une patiente sollicitude, votre clergé. Soyez proches de votre clergé. Je vous prie de rapporter à vos prêtres l’étreinte du pape et son estime pour leur générosité active. Cherchez à raviver en eux la conscience que c’est le Christ leur « destinée », leur « part et source d’héritage », la part qu’il leur revient de boire à la « coup» (cf. Ps 16,5). Qui d’autre pourra remplir le cœur d’un serviteur de Dieu et de son Église en dehors du Christ ? Je vous prie donc d’agir avec une grande prudence et responsabilité dans l’accueil des candidats ou l’incardination de prêtres dans vos Églises locales. S’il vous plaît, prudence et responsabilité en cela. Souvenez-vous que dès les débuts, le rapport entre une Église locale et ses prêtres a été voulu indissoluble et qu’on n’a jamais accepté un clergé errant ou en transit entre un lieu et un autre. Et ceci est une maladie de notre temps.
Réservez un accompagnement particulier à toutes les familles, vous réjouissant de leur amour généreux et encourageant l’immense bien qu’ils apportent à ce monde. Suivez surtout les plus blessées. Ne « passez pas outre » devant leurs fragilités. Arrêtez-vous pour laisser votre cœur de pasteur être transpercé par la vision de leur blessure ; approchez-vous avec délicatesse et sans peur. Mettez devant leurs yeux la joie de l’amour authentique et de la grâce avec laquelle Dieu l’élève à la participation à son propre amour. Beaucoup ont besoin de la redécouvrir, d’autres ne l’ont jamais connue, certains attendent de la racheter, un bon nombre devront supporter le poids de l’avoir irrémédiablement perdue. Je vous prie de rester en leur compagnie avec discernement et empathie.
Chers frères,
Nous allons maintenant prier ensemble et je vous bénirai avec tout mon cœur de pasteur, de père et de frère. La bénédiction est toujours l’invocation du visage de Dieu sur nous. C’est le Christ, le visage de Dieu qui ne s’obscurcit jamais. En vous bénissant, je lui demanderai de marcher avec vous et de vous donner le courage de marcher avec lui. C’est son visage qui nous attire, s’imprime en nous et nous accompagne. Ainsi soit-il !
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Constance Roques

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