Le card. Costantini (à droite) avec le card. Angelo Roncalli (S. Jean XXIII) © associazionecardinalecostantini.it

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Le «pont» créé par Celso Costantini entre le Saint Siège et la Chine (1/2)

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Première partie du récit du cardinal secrétaire d’Etat Parolin

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Le cardinal Costantini (1876 – 1958) « a créé un « pont » entre le Saint Siège et la Chine, que le Pape François et, j’en suis certain, le peuple et les gouvernants chinois, regardent avec un intérêt extrême », explique le cardinal Parolin.
« Le «pont» créé par Celso Costantini entre le Saint Siège et la Chine »: c’était en effet le thème de l’allocution du cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin au séminaire de Pordenone, en Italie du Nord, samedi dernier, 27 août 2016. Le cardinal Celso Benigno Luigi Costantini a en effet été ancien délégué apostolique en Chine de 1922 à 1933, puis Secrétaire de la Congrégation de la Propagation de la Foi.
« Il partit de Venise « incognito », le 20 septembre 1922, pour une mission tenue secrète jusqu’à son arrivée à Hong-Kong, afin de ne pas l’exposer à un « naufrage », en raison des intérêts politiques des puissances européennes », raconte le cardinal Parolin qui ajoute: « Dans ce contexte très délicat, Costantini sut se déplacer avec l’extrême prudence, la détermination et la sagacité qui lui était propres et que lui reconnaissaient tous ses adversaires. »
Il saura notamment se démarquer des puissances étrangères: « Je voulus, dès mes premiers actes, revendiquer ma liberté d’action dans l’environnement des intérêts religieux, refusant d’être accompagné auprès des Autorités civiles locales par des représentants des nations étrangères. J’aurais fait l’effet d’être en Chine subordonné à ces représentants. »
Il existe en Italie une association « Amis du cardinal Costantini« .
Voici notre traduction de la première partie de l’allocution du cardinal Parolin.
A.B.
Première partie de l’allocution du cardinal Parolin
Je suis très heureux de vous saluer tous, évêques et prêtres de ce diocèse de Concordia-Pordenone, « terre noble et antique » ainsi que l’a définie saint Jean Paul II, quand il vint en visite pastorale le 30 avril 1992. Son antiquité est réputée, parce qu’il eut son origine au IVème siècle, en tant qu’aîné du siège patriarcal d’Aquilée.
Auparavant, je me permets de faire un signe à Monseigneur Giacomo Nonis, natif de Fossalta de Portogruaro et évêque de Vicence de 1988 à 2003. J’étais déjà parti pour la nonciature quand il fit son entrée dans le diocèse, mais nos rapports ont toujours été empreints d’une grande cordialité ; il m’a suivi avec une attention paternelle pendant les diverses étapes de mon service au Saint Siège, il m’a traité avec attention et bienveillance ; une proximité qui s’est renforcée davantage pendant les années de sa « retraite » à Brendola, où je lui rendais souvent visite quand je retournais chez moi à Rome.
Par ce rappel à Mgr Nonis et avant de commencer à vous parler du Cardinal Celso Costantini, sans doute le personnage le plus illustre de votre diocèse, je voudrais que mes paroles et mes réflexions mentionnent aussi le devoir d’un juste hommage aux clercs de ce diocèse et de toute la Vénétie – des clercs généreux, fidèles, zélés, obéissants, discrets, proches des gens et de leurs besoins – qui ont tant donné à l’Église. Je me limite à rappeler les papes saint Pie X et Jean-Paul Ier, dont j’ai eu la joie de commémorer le souvenir hier à Canale d’Agordo. Ces personnages, très significatifs, sont sans aucun doute le résultat d’un fondement sain et riche qui est le fruit, outre de la grâce de Dieu, d’une myriade de personnes qui, sans rechercher les honneurs de la notoriété, ont travaillé sans interruption pour la gloire de Dieu et le bien des âmes. J’exprime l’espérance que ce bon terreau continuera de « produire » des prêtres bons, saints et bien formés et que fleuriront des vocations sacerdotales et religieuses sur nos terres.
Concentrons-nous maintenant sur la figure du Cardinal Celso Costantini, né à Castions de Zoppola en 1876, citoyen honoraire de Pordenone et d’Aquilée, ancien délégué apostolique en Chine de 1922 à 1933, puis Secrétaire de la Congrégation de la Propagation de la Foi et enfin Chancelier de la Sainte Église Romaine.
Ses mérites et ses talents qui ont heureusement fructifié sont très nombreux et très riches. Il fut un acteur du renouvellement de l’art sacré du XXème siècle, aussi bien en Italie qu’au niveau international, étant lui-même un artiste de renommée en tant que sculpteur. Il fut un modèle sublime de charité pastorale à la fin de la Première guerre mondiale, quand il sauva de l’avortement et de l’infanticide au moins 357 enfants, nés « illégitimes », « enfants de la guerre » qu’il accueillit et éleva avec amour, malgré la pénurie des moyens disponibles. Il fut un grand acteur de la paix, quand il devint administrateur apostolique de Fiume (aujourd’hui en Croatie) de 1920 à 1922. A cette époque, il combattit la téméraire aventure de Gabriel d’Annunzio en évitant un bain de sang à la cité martyre. Il fut l’inspirateur et le stratège d’un tournant historique dans les missions catholiques en faveur du clergé local et de l’inculturation chrétienne. Il fut le promoteur d’un concile œcuménique à partir de 1939, unique représentant de la Curie romaine, pendant le pontificat de Pie XII, à prendre ouvertement position en faveur d’une réforme globale de l’Église.
Je pourrais continuer en énumérant les autres apports de grande valeur qui lui sont reconnus. Ce n’est pas le moment adéquat pour le faire, je me limiterai donc à illustrer le mérite qui, plus que les autres, brille dans son histoire. Celso Costantini réussit à accomplir une entreprise d’une portée énorme : il a créé un « pont » entre le Saint Siège et la Chine, que le Pape François et, j’en suis certain, le peuple et les gouvernants chinois, regardent avec un intérêt extrême. C’est sur ce thème que j’entends exposer quelques considérations.
1. L’approche du premier délégué apostolique en Chine après diverses tentatives.
Le 8 novembre 1922, en qualité de premier délégué apostolique, Celso Costantini mit le pied dans le plus grand pays d’Asie. Il alla sur les traces de quelques-uns des précurseurs qui firent de l’Église de Concordia-Pordenone la seule en Occident à exalter les liens pluriséculaires avec la terre de Confucius, par l’action de missionnaires issus de ce diocèse envoyés par le Saint Siège avec un mandat pontifical. A ce propos, je ne peux pas ne pas citer le principal de ceux-ci, le bienheureux Odorico de Porderone, considéré par Mgr Costantini comme son protecteur dans la difficile tâche qui lui avait été confiée.
Le Père Odorico Porderone partit de Venise en 1318, il se rendit à Khanbalyk (l’actuelle Pékin) à la cour du Grand Khan en 1315 et y resta trois années, très respecté et écouté par les autorités de l’Empire céleste. Sur le chemin du retour, il se dirigea vers Avignon, où résidait le Pape, auquel il aura certainement exposé les rapports positifs qu’il avait construits avec la dynastie Yuan et l’activité pastorale développée en lien avec Giovanni de Montecorvino, premier évêque de la capitale chinoise. On sait que Odorico, arrivé à Pise, dut renoncer à son projet de se rendre auprès du pape en raison d’une maladie subite qui le conduira à la mort le 14 janvier 1331. Providentiellement, avant son départ pour le ciel, il laissa un rapport qui, s’il n’a pas la notoriété de Il Millione (ou Le livre des merveilles) de Marco Polo, le dépasse par certaines informations historiques qu’il fournit.
Avec l’avènement de la dynastie Ming (1368-1644), la Chine se rendit quasiment imperméable aux influences de l’Occident. Quand Matteo Rici et d’autres de ses compagnons jésuites – accueillis en qualité de scientifiques et non de missionnaires – réussirent à traverser la frontière de l’Empire céleste (ils arrivèrent à Pékin au début du XVII ème siècle), ils ne trouvèrent aucune trace du christianisme apporté par les franciscains trois siècles auparavant.
La domination de la dynastie Ming (1644-1911) fut caractérisée par des rapports instables entre la Chine et le Saint Siège, même si ce dernier continuait de mettre en avant son activité religieuse, culturelle et sociale pour le bien du pays le plus peuplé du monde. De 1720 à 1810, la résidence à Pékin d’un vice-procurateur de la S. Congrégation de la Propagation de la Foi fut autorisée à traiter avec la Cour impériale des intérêts des missions catholiques. Suivit une période d’hostilité pour tout ce qui concernait les Européens. La réaction armée de la France et de l’Angleterre créa, malheureusement, un climat défavorable même pour les rapports entre la Chine et le Saint Siège.
La communauté des fidèles s’en ressentit négativement, à l’image de celle de la région du Hu Quan Fu chez l’évêque Dominique Joseph Rizzolati (1799-1862), originaire de Clauzetto dans ce diocèse, sinologue et pasteur très apprécié. Il eut à souffrir de la Guerre de l’opium, conclue par le néfaste Traité « inégal », qui imposa des concessions, immunités et privilèges au bénéfice des puissances occidentales.
Le traité de Tien-Tsin, en 1858, conféra à la France le Protectorat « général » en Chine sur tous les chrétiens, quelles que soient leur confession et leur nation, fussent-ils chinois, garantissant les activités de culte et d’évangélisation de la religion chrétienne et les compensations économiques provoquées par d’éventuels attentats.
Une nouvelle ouverture fut exprimée en 1881 par l’Empire céleste, qui fit savoir au cardinal secrétaire d’État Ludovico Jacobini le désir de son Gouvernement d’établir des relations diplomatiques avec le Saint Siège. Les négociations se poursuivirent jusqu’à la nomination, en 1886, d’un nonce apostolique pour l’envoyer à Pékin. Mais le représentant pontifical ne put partir à cause de l’opposition sourde de la France, déterminée à défendre à outrance son Protectorat contre toutes éventualités de restriction.
La proclamation de la République de Chine en 1912 fut accompagnée de l’explosion du sentiment populaire qui réclamait l’abolition des Traités « inégaux » et contre l’asservissement par les puissances étrangères. Porté par ce mouvement, le gouvernement de Pékin fit savoir au Siège apostolique sa volonté d’établir des relations diplomatiques avec lui. Les négociations se conclurent heureusement en 1918, mais, pour les mêmes difficultés, n’eurent pas de suite.
La « question » embrouillée fut abordée en 1922 par le pape nouvellement élu Pie XI, qui décida d’envoyer son représentant en Chine. Le 9 août 1922, la délégation apostolique en Chine est créée et Celso Costantini, élevé à la dignité d’archevêque, en est nommé titulaire. Il partit de Venise « incognito », le 20 septembre 1922, pour une mission tenue secrète jusqu’à son arrivée à Hong-Kong, afin de ne pas l’exposer à un « naufrage », en raison des intérêts politiques des puissances européennes.
Dans ce contexte très délicat, Costantini sut se déplacer avec l’extrême prudence, la détermination et la sagacité qui lui était propres et que lui reconnaissaient tous ses adversaires.
Il fut accueilli avec les plus grands honneurs par les autorités de l’État chinois, au point d’écrire ceci au Saint Siège : « Je crois qu’aucun ministre des nations étrangères n’a été traité avec de plus grands respects ». Pendant ses visites officielles il refusa toujours d’être accompagné par des représentants diplomatiques français, pour le motif qu’il indiquait ainsi :
« Tout spécialement face aux Chinois, j’ai pensé qu’il était opportun de ne pas accréditer de quelque manière que ce soit le soupçon que la religion catholique apparaisse comme mise sous tutelle et, pire encore, comme un instrument politique au service des nations européennes. Je voulus, dès mes premiers actes, revendiquer ma liberté d’action dans l’environnement des intérêts religieux, refusant d’être accompagné auprès des Autorités civiles locales par des représentants des nations étrangères. J’aurais fait l’effet d’être en Chine subordonné à ces représentants.
Il établit sa résidence à Pékin en 1923 dans un édifice donné par des catholiques indigènes, situé, selon son choix, dans un endroit extérieur aux légations occidentales, dans le but de souligner son indépendance vis à vis d’eux.
L’occasion de se clarifier ouvertement en faveur de la Chine fut offerte au délégué apostolique par le tragique assassinat du Père Pascal Ange Melotto, advenu en 1923.
Il fit une brève déclaration sur ce grand missionnaire franciscain, de Vicence comme lui, né à Lonigo en 1864. En Chine depuis 22 ans, il fut capturé par des brigands dans la mission de Te Quan Fu et, après un long emprisonnement, fut blessé mortellement par une balle empoisonnée qui l’atteint au ventre au cours d’un déplacement. Peu avant de mourir, il avait confié à un des ses confrères : « Je suis content de mourir pour les Chinois. J’ai vécu en Chine pour les Chinois et maintenant je suis content de mourir pour eux ».
En partant des indemnités prévues par les Traités inégaux, un tel homicide impliquait une compensation pécuniaire conséquente que le gouvernement chinois faisait supporter à la population. Costantini écrivit « [L’indemnité] provoque une aversion spéciale et, en certain cas, une vraie haine à l’encontre des Missions elles mêmes », parce que considérée comme une espèce de pretium sanguinis que jamais l’Église n’avait prétendue pour ses martyrs. Il s’opposa donc à la levée de fonds revendiquée par les puissances européennes ; outre la gratitude des autorités chinoises et de l’opinion publique, il eut l’approbation du cardinal secrétaire d’État, dont émanent ensuite les règles générales en la matière.
L’authentique chef d’œuvre de Celso Costantini fut la préparation et la conclusion du premier – et jusqu’à maintenant unique -, concile national chinois, qui se tint à Shanghai en 1924. En qualité de légat pontifical, il fut le coordinateur de l’événement qui décida d’un changement radical de l’activité missionnaire en Chine.
La stratégie qu’il poursuivit s’inscrit dans trois objectifs principaux :
-la décolonisation religieuse contre l’institution du Protectorat, en accord avec la sentence : « la Chine aux Chinois »;
-la plantatio Ecclesiae au travers d’évêques, prêtres et religieux indigènes, réservant aux missionnaires occidentaux la qualité d’ « hôtes » pendant une phase transitoire, comme cela est mentionné en 1919 dans la Lettre apostolique Maximum illud de Benoît XV;
-l’ « inculturation » chrétienne contre l’« occidentalisme », qui donnait un habit européen au christianisme en Extrême-Orient, finissant par la présenter comme une religion étrangère, traitée comme un « corps étranger ».
Fidèle et original interprète des directives du Saint-Siège, Celso Costantini donna tout de suite une réalisation au concile de Shanghai, avec la consécration des premiers évêques chinois en 1926, la fondation en 1927 du premier institut religieux clérical chinois dénommé Congregatio Discipulorum Domini, encore vivant et florissant, la promotion d’écoles et l’érection de l’université catholique Fu Ren, et la constitution de l’Action catholique chinoise qui advint en 1929.
(à suivre)
© Traduction de Zenit, Hugues de Warren

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Hugues de Warren

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