Kohr Virap (Arménie) © wikimedia commons (MrAndrew47)

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Le pape en Arménie: miséricorde, unité des chrétiens et prière pour la paix

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Un pèlerinage intense de trois jours (24-26 juin 2016)

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Le pape François sera en Arménie, de vendredi 24 à dimanche 26 juin, un voyage, ou plutôt un pèlerinage sous le signe de la miséricorde, de l’œcuménisme du sang et de la prière pour la paix dans le Caucase.
Il se situe également dans le sillage du voyage du saint pape Jean-Paul II et des messages de Jean-Paul II pour l’anniversaire du baptême de l’Arménie.
Un voyage dans le sillage de Jean-Paul II
Saint Jean-Paul II s’est rendu en Arménie du 25 au 27 septembre 2001, il venait du Kazakhstan, et c’était à l’occasion du 1700e anniversaire du baptême du pays. Le voyage du pape François est sous le signe de ce baptême : son thème est « voyage dans le premier pays chrétien ».
A l’occasion de ce 1700e anniversaire, Jean-Paul II a publié une lettre apostolique en date du 2 février 2001. Il évoque ce baptême comme fondateur: « Il s’agit d’un événement qui marqua profondément votre identité; non seulement l’identité personnelle, mais également communautaire, si bien que l’on peut parler à juste titre du « Baptême » de votre nation, même si en réalité le christianisme avait pénétré depuis longtemps déjà dans votre terre. La tradition en attribue les débuts à la prédication et à l’oeuvre des saints apôtres Thaddée et Bartholomée eux-mêmes. »
Le pape polonais a souligné la fidélité de l’Arménie à son identité nouvelle : « Avec le « Baptême » de la communauté arménienne, à commencer par ses autorité civiles et militaires, naît une identité nouvelle du peuple, qui deviendra une partie constitutive et inséparable du fait d’être arménien. Il ne sera plus possible de penser à partir de ce moment que, parmi les composantes de cette identité, ne figure pas la foi dans le Christ, en tant qu’élément constitutif essentiel. (…)  La conversion de l’Arménie, qui a eu lieu au début du IV siècle et qui est traditionnellement située en l’an 301, donna à vos ancêtres la conscience d’être le premier peuple officiellement chrétien, bien avant que le christianisme ne soit reconnu comme religion de l’empire romain. »
Jean-Paul II évoque le martyre des Arméniens, sur fond d’une théologie de l’histoire. En effet, de même qu’il est convaincu qu’il a été épargné par le nazisme parce que quelqu’un d’autre a payé de lui-même pour qu’il soit protégé – une sorte de substitution dans la communion des saints – de même il estime que l’Orient chrétien a servi de bouclier à l’Occident chrétien qui lui doit sa « liberté » » et sa « sécurité », voilà pourquoi ce merci du saint pape Jean-Paul II vient des profondeurs de son cœur : « Je désire tout d’abord exprimer au peuple arménien mon remerciement pour son histoire de fidélité au Christ, une fidélité qui a connu la persécution et le martyre. Les fils de l’Arménie chrétienne ont versé leur sang pour le Seigneur, mais toute l’Eglise a grandi et s’est renforcée en vertu de leur sacrifice. Si, aujourd’hui, l’Occident peut librement professer sa foi, cela est également dû à ceux qui s’immolèrent, en faisant  de  leur  corps  une  ligne  de défense pour le monde chrétien, à ses limites extrêmes. Leur mort fut le prix de notre sécurité:  à présent ils resplendissent  enveloppés  de  robes  blanches et ils  élèvent  à  l’Agneau  l’hymne  de louange dans la béatitude du Ciel (cf. AP 7, 9-12). »
Et de saint Grégoire, il écrit : « Parmi les figures illlustres, je désire rappeler ici saint Grégoire de Narek, qui a sondé les profondeurs ténébreuses du désespoir humain et qui a entrevu la lumière fulgurante de la grâce qui en celui-ci resplendit également pour le croyant. »
Il y souligne l’importance de la présence de la Vierge Marie dans toute l’histoire du pays en disant notamment de saint Grégoire, appelé « docteur » avant même sa proclamation en 2015 : « Grégoire de Narek, le grand Vardapet (Docteur) marial de l’Eglise arménienne, que j’ai moi aussi voulu rappeler dans l’Encyclique Redemptoris Mater (12) est sans aucun doute l’étoile lumineuse du groupe des saints arméniens qui chantent la Mère de Dieu. Il salue la sainte Vierge comme « Siège élu de la volonté de la divinité incréée » (13). A travers ses paroles que s’élève la prière de l’Eglise en fête, afin que ce Jubilé du baptême de l’Arménie soit un motif de renaissance et de joie. »
Rappelons aussi que saint Jean-Paul II a fait placer une grande statue de saint Grégoire dans une des niches extérieures du Vatican: les touristes passent devant lorsqu’ils se rendent à l’entrée de la coupole sur la droite de la basilique, près de la statue équestre de l’empereur Constantin. Et Benoît XVI a tenu à présider la cérémonie qui a rebaptisé la cour que surplombe la statue de saint Grégoire : « Cour Saint-Grégoire ».
Jean-Paul II avait aussi remis aux Arméniens une relique du grand saint, conservée dans un monastère de Naples, depuis l’époque des invasions barbares.
La question du génocide
Des signes extérieurs alors que du point de vue théologique une déclaration commune a été signée, le 27 septembre 2001 à Erevan, entre Jean-Paul II et le patriarche Karékine II. Elle évoque le génocide, noir sur blanc: « L’extermination d’un million et demi de chrétiens arméniens, au cours de ce qui a traditionnellement été appelé le premier génocide du XXème siècle, et l’anéantissement qui a suivi de milliers de personnes sous l’ancien régime totalitaire, sont des tragédies qui continuent de hanter la mémoire de la génération actuelle. »
Comme Jean-Paul II, le pape François a évoqué le génocide arménien au début de la messe du 12 avril 2015 et à l’occasion du centenaire du génocide.
Comme Jean-Paul II, le pape François fait du génocide arménien le premier d’un XXe siècle tragique, avec la Shoah, les exterminations staliniennes et les autres massacres programmés : « Au siècle dernier, notre famille humaine a traversé trois tragédies massives et sans précédent. La première, qui est largement considérée comme ‘le premier génocide du XXe siècle’ a frappé votre peuple arménien », et « les deux autres ont été ceux perpétrés par le nazisme et par le stalinisme. Et plus récemment d’autres exterminations de masse, comme celles au Cambodge, au Rwanda, au Burundi, en Bosnie. »
Le pape François y ajoute les massacres d’aujourd’hui : ceux qui « s’accomplissent au détriment des hommes persécutés, exilés, assassinés, décapités uniquement parce qu’ils sont chrétiens ».
Sous le signe de la miséricorde
Mais la violence n’a pas le dernier mot : et c’est peut-être le sens de l’emploi du mot « génocide » l’an dernier, en coïncidence avec le Dimanche de la miséricorde.
S’il évoque le génocide de vive voix et non plus dans un document, le pape François a voulu le faire, en 2015, en cette circonstance spéciale: une miséricorde qui serait à l’eau de rose si elle ne permettait pas de surmonter les tragédies du XXe siècle dont ce « Grand mal ». La miséricorde disait Jean-Paul II c’est la limite mise par Dieu au mal.
Le voyage s’inscrit donc aussi dans le sillage des célébrations du dimanche de la miséricorde de 2015 choisi comme date de la proclamation de saint Grégoire de Narek comme docteur de l’Eglise universelle.
Le pape s’est exprimé à l’ouverture de la messe, en présence des trois patriarches – un catholique et deux apostoliques – et du président de la République, en la basilique Saint-Pierre.
Certains Arméniens espèrent que le pape François répétera dans leur pays le mot de « génocide » déjà prononcé en cette circonstance, mais ce n’est pas sûr. Son porte-parole, le P. Federico Lombardi SJ, a fait observer que cela a déjà été écrit (par Jean-Paul II) et dit (par le pape François). Il a aussi souligné que le mot finissait par prendre une connotation politique et idéologique alors que le pape veut toujours aller au concret à la « substance ». Il a aussi fait observer que les arméniens eux-mêmes parlent du Metz Yegern, le « Grand mal », la « Grande catastrophe », la « Grande tragédie ». Et, ajoutant cette année le geste à la parole de l’an dernier, le pape François, comme Jean-Paul II, se rendra au mémorial du génocide à Tzitzernagaberd (Erevan).
Les Arméniens estiment que 1,5 million des leurs ont été tués entre 1915 et 1917, à la fin de l’empire ottoman : le pèlerinage du pape se situe dans le sillage de ce centième anniversaire. Dans certaines régions, cent ans plus tard, les milliers d’ossements affleurent encore du sol, a indiqué Mgr Antranig Ayvazian, qui a présenté le voyage à la presse aux côtés du P. Lombardi.
Nombre d’historiens et plus d’une vingtaine de pays, dont la France, l’Italie, la Russie, l’Allemagne ont reconnu un génocide du fait de la Turquie ottomane. Mais pour la Turquie, il s’agissait d’une « guerre civile » dans laquelle 300 à 500 000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort.
Le porte-parole du Saint-Siège a souligné en substance que le pape ne veut pas se laisser enfermer dans des mots : il préfère le concret des personnes et il rencontrera des descendants des survivants, lorsqu’il se rendra à Tzitzernagaberd.
Et puis certains persécutés ont eu la vie sauve parce qu’il y a eu quelques lumières dans ces ténèbres : des paysans turcs musulmans ont caché des familles arméniennes et leur ont permis de survivre.
Le voyage du pape François en Arménie est donc sous le signe du Jubilé de la Miséricorde divine : la seule messe – en plein air, une première – qu’il célébrera à Gyumri sera une messe votive de la Miséricorde divine, samedi 25 juin, à 11h.
L’œcuménisme des martyrs
Déclaration de 2001 évoque les martyrs de cette tragédie: « Ces innocents qui ont été massacrés sans raison n’ont pas été canonisés, mais un grand nombre d’entre eux furent certainement confesseurs et martyrs au nom du Christ. Nous prions pour le repos de leurs âmes, et exhortons les fidèles à ne jamais perdre de vue le sens de leur sacrifice.”
Comme Jean-Paul II, le pape François se rendra non seulement à Erevan, la capitale, mais au siège du Catholicos arménien apostolique Etchmiadzine, dès son arrivée à l’aéroport, vendredi, après 4 heures de vol. Et comme le pape Jean-Paul II, il se rendra au monastère de Khor Virab, sanctuaire Saint Grégoire, au pied du Mont Ararat, où la tradition situe l’arrivée de l’Arche de Noé, et il libérera des colombes : colombes qui rappellent Noé mais aussi colombes de la paix car la frontière turque n’est pas loin.
A Gyumri, le pape se rendra aussi à la cathédrale apostolique arménienne.
Autre geste œcuménique, la prière oecuménique pour la paix, et la paix dans le Caucase, le samedi 25 juin.
Et puis, fait sans précédent, dimanche 26 juin, après avoir célébré la messe ne privé, le pape participera à Divine liturgie de cette Église orthodoxe autocéphale – autonome -, encore largement majoritaire, et en plein air, une nouveauté absolue. Mais autre très grand nouveauté : le pape François prononcera l’homélie.
Ce voyage est en effet un pèlerinage rythmé par huit moments de prière :

  • une visite à la cathédrale arménienne apostolique (Etchmiadzine), vendredi 24 juin, à 1(h35
  • une visite au mémorial du génocide de Tzitzernakaberd (Erevan), samedi 25 juin, à 8h45
  • la messe votive de la Miséricorde de Dieu, samedi 25 juin, à 11h, à Gyumri (place Vartanànts)
  • une visite à la cathédrale arménienne apostolique des Sept plaies, à Gyumri, samedi 25 juin, à 16h45
  •  une visite à la cathédrale catholique des Saints-Martyrs, à Gyumri, à 17h15, samedi 25 juin
  • une rencontre oecuménique et une prière pour la paix, samedi 25 juin à 19h, à Erevan, place de la République
  • la Divine liturgie du dimanche 26 juin dans la cathédrale arménienne apostolique
  • une visite au monastère de Khor Virap, au pied du Mont Ararat (en Turquie) dimanche 26 juin, à 17h30.

La paix dans le Caucase
Enfin, la paix devrait être un autre thème fort de ce voyage dans la région instable du Caucase. Le samedi, une rencontre œcuménique de prière pour la paix est prévue Place de la République, et l’on estime que plusieurs dizaines de milliers de personnes pourraient y participer, a indiqué le P. Lombardi, mais certains évoquent jusqu’à 60 000 personnes sont attendues.
Le pape ne se rendra pas directement en Azerbaïdjan : il ira en septembre dans ce pays à plus de 90% musulman. A l’époque de Staline – qui a persécuté les Arméniens, déportant évêques et prêtres en Sibérie – la province arménienne du Haut-Karabagh a été rattachée à l’Azerbaïdjan mais elle a proclamé son indépendance lors de l’implosion du bloc soviétique. Malgré le cessez-le-feu de 1994 les tensions restent importantes.
Un voyage donc sous le signe de la miséricorde, de l’œcuménisme des martyrs, et de la prière pour la paix.
Le pape évoquait les rapports entres chrétiens d’Orient et d’Occident en disant, le 16 juin, lors de la rencontre de la ROACO que « la communion dans le témoignage de l’unique Sauveur Jésus Christ (…) a besoin, partout dans le monde où catholiques latins et orientaux vivent côte à côte, des richesses spirituelles de l’Occident et de l’Orient, auxquelles puissent puiser les jeunes générations de prêtres, religieux et religieuses et agents pastoraux ». Il citait la lettre apostolique de Jean-Paul II Orientale lumen : « Les paroles de l’Occident ont besoin des paroles de l’Orient pour que la Parole de Dieu manifeste toujours mieux ses insondables richesses. Nos paroles se rencontreront à jamais dans la Jérusalem céleste, mais nous invoquons et nous voulons que cette rencontre soit anticipée dans la Sainte Église qui chemine encore vers la plénitude du Royaume » (OL n. 28).
Et puis le pape a demandé de prier pour son voyage : « Tout en invoquant sur vous la bénédiction du Seigneur, je vous demande de prier pour moi qui me rendrai dans quelques jours en pèlerinage sur une terre orientale, l’Arménie, première parmi les Nations à accueillir l’Évangile de Jésus. »
Le pape François devrait lui-même indiquer les grandes lignes de son voyage dans un message-vidéo au peuple arménien, dans les prochains jours, selon son habitude avant un voyage.
Le pape a lui-même des amis arméniens très proches, comme en témoigne la biographie du pape écrite par la fille d’un pasteur, Evangelina Himitian : « François, le pape des gens : de l’enfance à l’élection papale, la vie de Bergoglio dans les paroles de ses proches » (en italien : « Francesco il Papa della gente: Dall’infanzia all’elezione papale, la vita di Bergoglio nelle parole dei suoi cari ») aux éditions Kindle. Le P. Lombardi a commencé le point presse de ce mardi 21 juin en citant le livre.
Le pape arrivera en Arménie vendredi après 4 heures de Rome : l’Arménie a deux heures d’avance sur Rome.
Le cardinal Leonardo Sandri (Eglises orientales) accompagnera le pape, mais par le cardinal Kurt Koch (Unité des chrétiens) qui est son représentant au Concile panorthodoxe de Crète.
Le pays compte 3, 3 millions d’habitants, mais la diaspora arménienne compte quelque 10 millions de membres dans le monde, notamment en Russie et aux Etats-Unis.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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