Le pape François

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Europe, ne renonce pas à ton esprit humaniste !

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Discours du pape François au Corps diplomatique

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Face à une crise migratoire sans précédent, le pape François exhorte l’Europe à ne pas renoncer à son « esprit humaniste » et à rester un « phare d’humanité ». Il exprime sa conviction que l’Europe a tous les instruments nécessaires pour affronter ce qu’il appelle « le double devoir moral » de l’Europe : « protéger les droits de ses citoyens », et « garantir l’assistance et l’accueil des migrants ». Une question urgente pour longtemps, ajoute le pape : « Les migrations constitueront un élément fondamental de l’avenir du monde. »
Le pape a en effet reçu le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège ce lundi matin, 11 janvier 2016, pour le traditionnel échange des vœux. Il s’est arrêté notamment sur la question migratoire en Europe.
Un « phare d’humanité »
« Je voudrais donc aujourd’hui m’arrêter à réfléchir avec vous sur la grave urgence migratoire que nous sommes en train d’affronter, pour en discerner les causes, proposer des solutions, vaincre l’inévitable peur qui accompagne un phénomène aussi massif et imposant qui, au cours de 2015, a surtout concerné l’Europe, mais aussi différentes régions de l’Asie et le nord et le centre de l’Amérique », annonce le pape.
Le pape exprime sa « conviction » que « l’Europe, aidée par son grand patrimoine culturel et religieux, a les instruments pour défendre la centralité de la personne humaine et pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants ».
Il constate que cette urgence migratoire est une première dans l’histoire récente de l’Europe : « Au cours de l’année passée, l’Europe a été concernée par un flux important de réfugiés – beaucoup d’entre eux ont trouvé la mort en essayant de l’atteindre –, qui n’a pas de précédent dans son histoire récente, pas même à la fin de la Seconde Guerre mondiale. »
Il souligne que les valeurs de l’Europe sont une espérance pour les migrants : « Beaucoup de migrants venant de l’Asie et de l’Afrique, voient dans l’Europe un point de référence pour des principes comme l’égalité devant le droit et les valeurs inscrites dans la nature même de tout homme, dont l’inviolabilité de la dignité et de l’égalité de chaque personne, l’amour du prochain sans distinction d’origine ni d’appartenance, la liberté de conscience et la solidarité envers ses semblables. »
Il constate aussi que les « débarquements massifs sur les côtes du Vieux Continent » mettent en danger son équilibre et « semblent faire vaciller le système d’accueil construit avec peine sur les cendres du second conflit mondial, qui constitue encore un phare d’humanité auquel se référer ».
L’esprit humaniste de l’Europe
Le pape ne nie pas la complexité de la situation : « Devant l’importance des flux et les inévitables problèmes connexes, de nombreuses questions sont sorties sur les possibilités réelles de réception et d’adaptation des personnes, sur la modification de la structure culturelle et sociale des pays d’accueil, comme aussi sur le remodelage de certains équilibres géopolitiques régionaux. De même, les craintes concernant la sécurité sont importantes, considérablement augmentées par la menace déferlante du terrorisme international. La vague migratoire actuelle semble miner les bases de cet « esprit humaniste » que l’Europe aime et défend depuis toujours. »
Il exhorte à la confiance dans les valeurs qui ont construit l’Europe : « On ne peut pas se permettre de perdre les valeurs et les principes d’humanité, de respect pour la dignité de toute personne, de subsidiarité et de solidarité réciproque, bien qu’ils puissent, à certains moments de l’histoire, constituer un fardeau difficile à porter. »
Quant aux causes des flux migratoires, l’analyse est également lucide – persécution, faim, violence, guerres : « C’est la voix des milliers de personnes qui pleurent en fuyant des guerres horribles, des persécutions et des violations des droits humains, ou l’instabilité politique ou sociale, qui rendent souvent impossible la vie dans sa patrie. C’est le cri de tous ceux qui sont contraints de fuir pour éviter les barbaries indicibles pratiquées envers des personnes sans défense, comme les enfants et les personnes handicapées, ou le martyre pour la seule appartenance religieuse. »
Lorsque la faim pousse à partir
Le pape souligne que les émigrés dits « économiques », en fait, ceux qui sont poussés à quitter leur pays du fait de la faim, n’est pas une catégorie protégée au niveau international : « C’est la voix de tous ceux qui fuient la misère extrême, à cause de l’impossibilité de nourrir la famille ou d’accéder à des soins médicaux et à l’instruction, de la dégradation sans perspective de quelque progrès, ou aussi à cause des changements climatiques et des conditions climatiques extrêmes. Malheureusement, on sait que la faim est encore une des plaies les plus graves de notre monde, avec des millions d’enfants qui meurent chaque année à cause d’elle. C’est douloureux de constater pourtant que souvent ces migrants ne rentrent pas dans les systèmes internationaux de protection sur la base des accords internationaux. »
Le pape y discerne la nécessité de combattre le rejet et l’indifférence pour voir les « personnes »: « Comment ne pas voir dans tout cela le fruit de cette “culture du rejet” qui met en péril la personne humaine, sacrifiant des hommes et des femmes aux idoles du profit et de la consommation ? Il est grave de s’habituer à ces situations de pauvreté et de besoin, aux drames de nombreuses personnes et de les faire devenir “normalité”. Les personnes ne sont plus perçues comme une valeur fondamentale à respecter et à protéger, surtout celles qui sont pauvres ou avec un handicap, si elles “ne servent pas encore” – comme les enfants à naître –, ou “ne servent plus” – comme les personnes âgées. Nous sommes devenus insensibles à toute forme de gaspillage, à commencer par le gaspillage alimentaire, qui est parmi les plus déplorables, quand il y a de nombreuses personnes et familles qui souffrent de la faim et de la malnutrition. »
Il espère du « Premier Sommet humanitaire mondial convoqué en mai prochain par les Nations unies » qu’il réussisse « dans son intention de mettre la personne humaine et sa dignité au cœur de chaque réponse humanitaire » : « Il faut un engagement commun qui renverse résolument la culture du déchet et de l’offense à la vie humaine afin que personne ne se sente dédaigné ou oublié et que d’autres vies ne soient pas sacrifiées à cause du manque de ressources et, par-dessus tout, de volonté politique. »
Agir maintenant face aux tragédies
Il dénonce une nouvelle fois le trafic des êtres humains « là où une migration régulière est impossible », avec son cortège de morts ou ses « cicatrices indélébiles » : « Et les images des enfants morts en mer, victimes de l’absence de scrupules des hommes et de l’inclémence de la nature, resteront toujours imprimées de façon indélébile dans nos esprits et dans nos cœurs. Celui qui peut survivre et aborder un pays qui l’accueille porte de manière indélébile les cicatrices profondes de ces expériences, outre celles liées aux horreurs qui accompagnent toujours guerres et violences. »
Le pape fait observer que de nombreux migrants « ne laisseraient jamais leur propre pays s’ils n’y étaient pas contraints », dont de « nombreux chrétiens qui d’une façon toujours plus massive ont abandonné au cours des dernières années leurs terres, qu’ils ont pourtant habitées depuis les origines du christianisme » et que beaucoup « retourneraient volontiers dans leurs propres pays, s’ils y trouvaient des conditions idoines de sécurité et de subsistance », notamment « les chrétiens du Moyen-Orient, désireux de contribuer, comme citoyens à part entière, au bien-être spirituel et matériel de leurs nations respectives ».
Le pape déplore que les « causes » n’aient pas été affrontées depuis « longtemps » de façon à éviter « beaucoup de malheurs ou, du moins, en adoucir les conséquences les plus cruelles ». Il invite à agir maintenant.
Il indique des principes d’action : « Cela signifierait remettre en cause des habitudes et des pratiques établies, en commençant par les questions liées au commerce des armes, au problème de l’approvisionnement de matières premières et d’énergie, aux investissements, aux politiques financières et de soutien au développement, jusqu’à la grave plaie de la corruption. »
Il prône des « projets à moyen et à long terme qui aillent plus loin que la réponse d’urgence » et qui aident « effectivement l’intégration des migrants dans les pays d’accueil », et en même temps favorisent « le développement des pays de provenance par des politiques solidaires, mais qui ne soumettent pas les aides à des stratégies et à des pratiques idéologiquement étrangères ou contraires aux cultures des peuples auxquels elles s’adressent », ce que le pape appelle ailleurs une colonisation idéologique.
Les « mercis » du pape
Le pape a remercié spécialement le Liban dont un quart de la population est constitué de réfugiés, la Jordanie qui a ouvert ses frontières, mais aussi la Turquie et la Grèce et l’Italie à qui il adresse ce message: « Je souhaite que le traditionnel sens de l’hospitalité et de la solidarité qui distingue le peuple italien ne s’affaiblisse pas par les inévitables difficultés du moment, mais, à la lumière de sa tradition multimillénaire qu’il soit capable d’accueillir et d’intégrer l’apport social, économique et culturel que les migrants peuvent offrir. »
Et puis le pape invite à la créativité, ensemble, et après un dialogue efficace : « Il est important que les Nations en première ligne pour affronter l’urgence actuelle ne soient pas laissées seules, et il est de même indispensable d’engager un dialogue franc et respectueux entre tous les pays impliqués dans le problème – de provenance, de transit ou d’accueil – pour que, avec une plus grande audace créative, on recherche des solutions nouvelles et durables » car « les migrations constitueront un élément fondamental de l’avenir du monde » et « les réponses pourront être seulement le fruit d’un travail commun, qui soit respectueux de la dignité humaine et des droits des personnes ».
Dialogue culturel et interreligieux
Enfin, le pape souligne l’importance des questions culturelles et religieuses liées aux migrations, mais le vide religieux fait d’une part le lit du fondamentalisme et d’autre part celui de la peur : « L’extrémisme et le fondamentalisme trouvent un terrain fertile, non seulement dans une instrumentalisation de la religion à des fins de pouvoir, mais aussi dans le vide d’idéaux et dans la perte d’identité – aussi religieuse – que connaît dramatiquement l’Occident. D’un tel vide naît la peur qui pousse à voir l’autre comme un danger et un ennemi, à se refermer sur soi-même en se retranchant sur des positions préconçues. »
Le pape indique que les migrations sont aussi une occasion propice et il encourage le dialogue interreligieux et œcuménique – et c’est une de ses intentions de prière de ce mois de janvier : « L’accueil peut donc être une occasion propice pour une nouvelle compréhension et ouverture d’horizon, tant pour celui qui est accueilli, lequel a le devoir de respecter les valeurs, les traditions et les lois de la communauté qui l’héberge, que pour cette dernière, appelée à valoriser tout ce que chaque immigré peut offrir à l’avantage de toute la communauté. Dans ce cadre, le Saint Siège renouvelle son engagement dans le domaine œcuménique et interreligieux pour instaurer un dialogue sincère et loyal qui, valorisant la particularité et l’identité propre à chacun, favorise une cohabitation harmonieuse entre toutes les composantes sociales. »
« Le vivre-ensemble pacifique entre des personnes appartenant à des religions différentes est possible, là où la liberté religieuse est reconnue et où la possibilité effective de collaborer à l’édification du bien commun, dans le respect réciproque de l’identité culturelle de chacun, est garantie. D’autre part, chaque expérience religieuse authentiquement vécue ne peut que promouvoir la paix », déclare le pape.
A. Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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