Cardinal Kurt Koch

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Juifs et catholiques, mêmes défis, par le Prof. Kessler

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Intervention du Prof. Edward Kessler au Vatican (traduction complète)

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« Sur de nombreuses questions majeures, juifs et catholiques se trouvent du même côté de la barrière théologique, confrontés aux mêmes défis, et nous sommes dans la position inhabituelle de chercher à les résoudre ensemble », explique le Prof. Kessler.

Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables (Romains 11, 29) : c’est le titre d’un nouveau document de la Commission pontificale pour les rapports religieux avec le judaïsme élaboré pour marquer le 50e anniversaire de la Déclaration conciliaire Nostra ӕtate et publié hier, 10 décembre.

Le document a été présenté par le cardinal Kurt Koch, président de la Commission pontificale pour les rapports religieux avec le judaïsme ; par le P. Norbert Hofmann, S.D.B., secrétaire de ce même dicastère ; par le rabbin David Rosen, directeur international des Affaires interreligieuses de l’American Jewish Committee (AJC), de Jérusalem (Israël) et par le Prof. Edward Kessler, directeur fondateur de l’Institut Woolf, de Cambridge (Royaume-Uni).

Il a aussi été élaboré en consultant des autorités juives.

Voici notre traduction complète, de l’anglais, de la présentation du prof. Kessler.

A.B.

Intervention du prof. Edward Kessler

Le chapitre 4 de Nostra ӕtate a marqué le début d’une nouvelle approche dans les relations judéo-catholiques et la fin de l’enseignement millénaire du mépris (« l’enseignement du mépris » : terme employé par le survivant de l’Holocauste, Jules Isaac, qui a rencontré le pape Jean XXIII) des juifs et du judaïsme. Il a affirmé sans équivoque la dette de l’Église envers son héritage juif et a inauguré une nouvelle ère, de nouvelles attitudes, un nouveau langage et discours jamais entendus auparavant dans l’Église catholique au sujet des juifs. Le concept de dialogue est maintenant entré dans cette relation.

Nostra ӕtate, « les apôtres sont nés du peuple juif » ; ils sont les fondements et colonnes de l’Église qui « se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les Gentils ». Ce document rappelle donc aux chrétiens, à juste titre, les origines juives du christianisme et surtout que Jésus était un juif fidèle.

En conséquence de ce changement d’état d’esprit, incarné par Nostra ӕtate, l’Église catholique romaine est passée de ce qui était, en grande partie, un besoin de condamner le judaïsme à une nécessité de condamner l’anti-judaïsme. Ceci a conduit, non pas à une séparation de tout ce qui est juif mais, en fait, à une relation plus proche avec « le frère aîné ». Le nouveau document, que je salue et dont je me félicite, rappelle aux chrétiens cette relation fraternelle tout en définissant un programme théologique pour les discussions futures.

Le rabbin Rosen a soulevé la question des relations entre le Saint-Siège et l’État d’Israël et les défis, théologiques et politiques, que cela représente. Mes remarques seront donc axées sur des sujets autres que la Terre sainte.

Je voudrais, en particulier, aborder un concept qui a été profondément troublant pour les relations judéo-chrétiennes et que le nouveau document n’évite pas, ce qui est louable : la revendication chrétienne à être le peuple de l’alliance successif, élu par Dieu pour remplacer Israël à cause de l’infidélité de ce dernier, qui a conduit à la théorie de la substitution, également connue comme la théologie du remplacement. Tel est l’enseignement selon lequel, depuis l’époque de Jésus, les juifs ont été remplacés par les chrétiens dans la faveur de Dieu, et le christianisme a hérité de toutes les promesses de Dieu faites au peuple juif.

Le nouveau document aborde un dilemme qui est au cœur de la compréhension chrétienne d’aujourd’hui du judaïsme, démontré même par Nostra ӕtate. D’une part, le document stipule que « l’Église est le nouveau peuple de Dieu », tandis que, d’autre part, les juifs « sont des bien-aimés [de Dieu] et cela, à cause de leurs pères. Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Romains 11, 28-29).

La discussion sur la théologie de l’alliance connaît une résurgence dans les conversations contemporaines entre savants chrétiens et juifs, et je salue cette affirmation du nouveau document : « La Nouvelle Alliance, pour les chrétiens, n’est donc ni l’annulation ni le remplacement, mais l’accomplissement des promesses de l’Ancien Testament. » Toutefois, permettez-moi, s’il vous plaît, de donner un avertissement : il est facile de glisser de l’accomplissement au remplacement et la théorie de la substitution est bel et bien vivante dans les bancs des fidèles. En tant que partenaire juif dans le dialogue, je souhaiterais poursuivre la réflexion sur ce que l’accomplissement signifie en termes de relations avec le judaïsme et sur la manière dont nous pouvons garantir que la transformation des relations ne se limite pas à l’élite, mais qu’elle s’étend de la Cité du Vatican jusqu’aux bancs de l’Église et des bureaux des grands rabbins jusqu’aux étages de nos synagogues.

Cela souligne la nécessité, dans une perspective chrétienne, d’une réflexion sur la survie du peuple juif et sur la vitalité du judaïsme depuis plus de 2000 ans – c’est le « mystère d’Israël », sur lequel Paul réfléchit dans son épître aux Romains. Une des raisons pour lesquelles la déclaration Nostra ӕtate est considérée à juste titre comme un jalon dans les relations judéo-chrétiennes, est qu’elle a commencé un processus extrêmement difficile et coûteux – à savoir, prendre « l’autre » au sérieux comme on voudrait soi-même être pris au sérieux. En d’autres termes, comme l’expriment les lignes directrices de 1975, le judaïsme et le christianisme doivent être compris selon leurs propres termes. Le nouveau document a encore du chemin à parcourir avant que je ne me reconnaisse dans sa représentation du judaïsme. Par exemple, il y a peu de discussions sur le judaïsme contemporain – l’accent est mis sur le judaïsme biblique et rabbinique.

Il y a un peu plus d’un siècle, en 1913, le philosophe et théologien juif Franz Rosenzweig a écrit à propos de la parole de Jésus, dans Jean : « Nul ne peut atteindre le Père que par moi. » Rosenzweig ne tourne pas autour de cette expression par la critique ; en effet, il affirme que c’est vrai, surtout quand on pense aux millions de personnes qui ont été amenées à Dieu par Jésus-Christ. Cependant, poursuit-il, « la situation est très différente pour celui qui n’a pas à atteindre le Père parce qu’il est déjà avec lui. Dois-je me convertir, demande-t-il, moi qui ai été choisi ? L’alternative de la conversion existe-t-elle pour moi aussi ? »

Rosenzweig nous introduit à une question cruciale dans les relations d’aujourd’hui – une question à laquelle nous, juifs et chrétiens, nous avons besoin de réfléchir. Dans quelle mesure les chrétiens peuvent-ils voir le judaïsme comme valable selon ses propres termes (et vice versa). La déclaration de la Commission biblique pontificale (prônée dans ce nouveau document) peut montrer le chemin
pour avancer quand elle affirme que « les chrétiens peuvent et doivent admettre que la lecture juive de la Bible est une lecture possible, en continuité avec les Écritures juives… ».

Bien sûr, les questions doivent également être considérées du point de vue juif. Quel était le but divin derrière la création du christianisme ? Quelles implications a, pour les juifs, le fait que, à la suite du juif Jésus, deux milliards de chrétiens lisent maintenant la Bible juive ? Martin Buber, par exemple, parlait de Jésus comme de « mon frère aîné ».

Pour les juifs, l’alliance promise à Abraham et révélée à Moïse, démontre non seulement la relation unique et irrévocable entre le peuple juif et Dieu, mais peut-être ouvre-t-elle aussi un espace théologique où les chrétiens possèdent leur propre relation spécifique avec Dieu et aussi où ils voient leur reflet dans un miroir juif, ce qui peut leur permettre d’approfondir à la fois la foi chrétienne dans le Christ et le respect des chrétiens pour leurs frères et sœurs aînés.

C’étaient quelques-unes de mes réflexions théologiques à la lecture de ce nouveau document dont je me réjouis et je suis impatient de poursuivre les discussions. En effet, je suis très heureux d’annoncer que, en partenariat avec la Commission pontificale pour les rapports religieux avec les juifs, l’Institut Woolf a convoqué une réunion d’un petit nombre de grands théologiens juifs et catholiques à Cambridge, l’année prochaine, pour explorer ces problèmes, et d’autres, théologiques. Peut-être devrions-nous commencer par la signification contemporaine de l’élection d’Israël et l’élection de l’Église ? Comme l’a dit le pape François en juin, « dans la recherche d’une attitude juste envers Dieu, les chrétiens se tournent vers le Christ comme la source de la vie nouvelle et les juifs vers l’enseignement de la Torah ».

Il est urgent de poursuivre la réflexion sur ce que tout cela signifie, pour les chrétiens et pour les juifs – et bien sûr, pour tous les hommes et femmes de foi.

Ces cinquante dernières années ont connu un changement indéniable, du monologue sur les juifs d’avant Nostra ӕtate à un dialogue instructif (et parfois difficile) avec les juifs. Un monologue échoue généralement à comprendre la réalité de l’autre, tandis que le dialogue exige un respect de l’autre tel qu’il se comprend lui-même. Le défi de la transition du monologue au dialogue reste immense.

Il est clair aujourd’hui que bon nombre des principales questions controversées ont été éliminées ou portées au point le plus éloigné où un accord est possible. Les efforts des catholiques vers le respect du judaïsme, reflètent des attitudes qui auraient été impensables il y a un demi-siècle. Au long des cinq dernières décennies, juifs et chrétiens ont assisté à un changement massif et, comme le prouve le nouveau document, des pas de géant ont été accomplis, mais nous parlons d’un processus dynamique et continuel. Nous ne serons jamais en mesure de nous reposer en disant : « Le travail est fait. L’ordre du jour est terminé. »

Cependant, sur de nombreuses questions majeures, juifs et catholiques se trouvent du même côté de la barrière théologique, confrontés aux mêmes défis, et nous sommes dans la position inhabituelle de chercher à les résoudre ensemble.

Puissent nos efforts conjoints être bénis par le Tout-Puissant et puissions-nous à notre tour, apprendre à être une bénédiction les uns pour les autres.

© Traduction de Zenit, Constance Roques

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ZENIT Staff

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