Le dialogue voulu par le pape Paul VI entre l’Eglise et le monde contemporain « n’était pas une nouveauté », explique Mgr Gallagher.
Mgr Paul R. Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les Etats, à Brescia, le 8 octobre 2015, pour la commémoration du 50e anniversaire de la visite du bienheureux Paul VI à l’Assemblée générale des Nations unies, le 4 octobre 1965, à New York.
« Dès ses origines, l’Eglise, voulue par Dieu comme outil fondamental de dialogue entre la Trinité et les hommes, n’a jamais cessé de dialoguer avec les réalités temporelles », a expliqué Mgr Gallagher qui a ajouté : « L’Eglise a dialogué avec le monde pour transformer, au fil des siècles, toutes les réalités en Jésus Christ avec amour et pour porter, à travers Lui, toutes les réalités au Père. » Puis il a souligné qu’à « chaque étape historique, ce dialogue doit être renouvelé et proposé à nouveau, pour répondre aux développements de l’histoire et aux attentes des peuples. »
Voici notre traduction du troisième et dernier volet de cette intervention de Mgr Gallagher. La première partie a été publiée le 13 octobre et la deuxième, le 14 octobre.
A.B.
Intervention de Mgr Gallagher
Dans la série des actions internationales voulues par Paul VI, le Saint-Siège participa aux deux grandes conférences diplomatiques pour la codification du droit international : la Conférence de Vienne sur le droit diplomatique et la conférence de Vienne sur les traités, qui donneront lieu à deux conventions auxquelles il adhèrera. La présence du Saint-Siège au sein des plus importantes organisations régionales, comme le Conseil de l’Europe et l’Organisation des Etats Américains, remonte à la même période. Tout comme remonte aux années 1963-1978 sa participation au développement du système international des droits de l’homme marquée par son adhésion à la Convention contre la discrimination raciale, celle liée au Traité de non-prolifération des armes nucléaires et sa participation à la Conférence pour la coopération et la sécurité en Europe.
Le bienheureux Paul VI, suite aux propositions faites dans l’encyclique Ecclesiam suam (n. 110), a poursuivi les efforts d’ouverture de Jean XXIII en faveur des pays d’Europe de l’Est, ajoutant à l’objectif de reconnaissance des droits du Saint-Siège le désir de promouvoir la liberté religieuse – y compris la liberté de l’Eglise catholique – et de favoriser la paix et la concorde entre les peuples. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ratifié par le Saint-Siège le 25 février 1971, s’inscrit dans le cadre des efforts visant à mettre un frein à la course au nucléaire et à la course aux armements en général. Il permettait aussi d’instaurer des mécanismes de dialogue avec les autorités de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).
La participation commune du Saint-Siège et de l’URSS à certains traités multilatéraux supposait déjà une reconnaissance juridique internationale du Saint-Siège de la part de l’Union, et une opportunité de dialogue. Toutefois, l’importance politique du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, vient aussi du fait qu’avec la conférence d’Helsinki, il introduit le Saint-Siège au centre des négociations politiques de la guerre froide et justifie un dialogue direct avec les autorités soviétiques. Comme nous le savons, le cardinal Casaroli s’est rendu personnellement à Moscou pour remettre les instruments de ratification et a été reçu officiellement par les autorités soviétiques.
Paul VI tenait à ce que le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires soit vu comme un nouveau pas en avant, porteur de nouveaux engagements, comme : a) l’égalité d’accès aux applications pacifiques de la technologie nucléaire en faveur des Etats qui ne sont pas des puissances nucléaires ; b) la poursuite des négociations pour un programme de désarmement général et complet. En phase avec cette ambitieuse perspective, le Saint-Siège demanda une accélération des négociations pour obtenir des résultats rapides et concrets, et le brouillon d’un accord à présenter à la conférence sur le désarmement, concernant le désarmement nucléaire, l’interdiction des armes chimiques et bactériologiques, la limitation des armes conventionnelles et un programme de désarmement général et complet soumis à un rigoureux contrôle international. Ces propositions firent l’objet d’un plan de travail du Saint-Siège qui se traduisit, sous le pontificat de Jean-Paul II, par une active participation aux négociations et une adhésion aux plus importants traités de désarmement1.
Ainsi, ce qui est aujourd’hui l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) représente la consolidation d’un processus commencé en 1969 par une série de négociations et réunions pour la paix, la sécurité et la coopération en Europe : les principaux acteurs étaient les deux blocs opposés, occidental et communiste, et l’issue l’Acte final d’Helsinki en août 1975. Dans ce processus, le Saint-Siège eut une active participation, sous le signe de ce dialogue international voulu et encouragé par Paul VI, qui n’excluait pas le dialogue avec les autorités du bloc communiste (Ecclesiam suam, n. 110).
Le Saint-Siège, mis sur un même pied d’égalité que les autres Etats, reçut une invitation du Pacte de Varsovie, que Paul VI sut immédiatement saisir. En participant activement au processus d’Helsinki, de 1969 à 1975, le Saint-Siège réussit à obtenir que l’Acte d’Helsinki pose les bases d’un minimum d’exercice de la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de croyance religieuse pour les citoyens d’Europe de l’Est.
La signature de l’Acte final, en retour, montra l’intérêt du Saint-Siège à ne pas rester en dehors d’une initiative de coopération, de paix, de développement, à laquelle adhérait la quasi-totalité des Etats européens. La participation du Saint-Siège ne se limitait du reste pas au processus d’Helsinki, mais constitua une manière concrète d’interpréter, dans un contexte historique inédit, marqué par l’opposition de deux blocs au niveau européen et mondial, sa mission dans le monde au service de la paix et de la sécurité en Europe. Après la signature de l’Acte final d’Helsinki, Paul VI exprima l’appui du Saint-Siège aux résolutions de la conférence relatives à la protection des droits et des libertés fondamentales de l’homme comme piliers pour garantir à l’Europe une paix stable et une coopération réciproque. Aujourd’hui on comprend plus facilement que l’action de Paul VI, en partie incomprise sur le moment, ait été une des causes du processus qui culmina en 1989 avec la chute du mur de Berlin.
Avant de terminer, je voudrais rappeler la récente intervention du pape François à l’ONU qui, dans le sillage de Paul VI, a formulé des propositions concrètes pour la conjoncture historique actuelle. Le pape François a dit : « J’ai commencé cette intervention en rappelant les visites de mes prédécesseurs. Je voudrais à présent que mes paroles soient surtout comme une suite des paroles conclusives du discours de Paul VI, prononcées il y a exactement 50 ans, mais qui sont d’une valeur perpétuelle, je cite : “Voici arrivée l’heure où s’impose une halte, un moment de recueillement, de réflexion, presque de prière : repenser à notre commune origine, à notre histoire, à notre destin commun. Jamais comme aujourd’hui, […] n’a été aussi nécessaire l’appel à la conscience mo
rale de l’homme. Car le péril ne vient, ni du progrès, ni de la science, qui, bien utilisés, pourront […] résoudre un grand nombre des graves problèmes qui assaillent l’humanité” (Discours aux représentants des Etats, 4 octobre 1965). La maison commune de tous les hommes doit continuer de s’élever sur une juste compréhension de la fraternité universelle et sur le respect de la sacralité de chaque vie humaine… La maison commune de tous les hommes doit aussi s’édifier sur la compréhension d’une certaine sacralité de la nature créée. Cette compréhension et ce respect exigent un niveau supérieur de sagesse, qui accepte la transcendance – la transcendance de soi-même –, qui renonce à la construction d’une élite toute-puissante, et qui comprend que le sens plénier de la vie individuelle et collective se révèle dans le service dévoué des autres et dans la prudente et respectueuse utilisation de la création, pour le bien commun. Pour reprendre les paroles de Paul VI, “l’édifice de la civilisation moderne doit se construire sur des principes spirituels, les seuls capables non seulement de le soutenir, mais aussi de l’éclairer” (ibid.). »
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1 La Convention sur l’interdiction ou la restriction de l’usage de certaines armes conventionnelles qui peuvent être considérées comme excessivement destructrices ou avoir des effets sans distinction, la Convention sur l’interdiction d’utiliser, stocker, produire et transporter des mines antipersonnel et sur leur destruction; la Convention sur l’interdiction de développer, produire, stocker et utiliser des armes chimiques et sur leur destruction ; le Traité sur l’élimination totale des tests nucléaires et la Convention sur l’interdiction de développer, produire et stocker des armes bactériologiques (biologiques) et toxiques et sur leur destruction.
© Traduction de Zenit, Océane Le Gall