John F. Kerry répond aux questions de Radio Vatican

Entretien avec le secrétaire d’État américain à la veille de l’arrivée du pape à Washington. Traduction intégrale de Zenit.

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A l’occasion de la visite du pape François aux États-Unis, Radio Vatican, en collaboration avec La Stampa, a interviewé en exclusivité le secrétaire d’État américain, John F. Kerry. Dans l’entretien de Paolo Mastrolilli, le responsable des Affaires étrangères s’arrête sur le rôle du pape dans le rapprochement entre Washington et Cuba, mais aussi dans les efforts visant à protéger l’environnement et l’accueil des réfugiés.

John F. Kerry — Je suis très satisfait de voir que les priorités politiques des États-Unis et les bons offices du Saint-Siège se rejoignent sur beaucoup de questions. Je suis très reconnaissant au Saint-Père pour le rôle qu’il a joué dans le rétablissement des relations avec Cuba. Ce rôle a été déterminant dans les entretiens qui ont conduit au rapprochement entre les États-Unis et Cuba, et nous continuerons à rechercher son soutien durant nos échanges bilatéraux. Nous poursuivrons notre collaboration avec le Saint-Siège pour affronter la crise des refugiés et autres crises futures, l’instabilité des changements climatiques, et travaillerons dans d’autres domaines comme le dialogue interreligieux, le développement, les droits de l’hommes, le trafic des êtres humains.

RV — La Méditerranée est traversée par une grave crise des migrations. Pensez-vous que l’Europe et les États-Unis doivent mieux faire pour accueillir les réfugiés ?

John F. Kerry — Nous regrettons profondément la perte tragique de tant de vies humaines en Méditerranée. La pratique des contrebandiers et trafiquants « d’entasser » des personnes vulnérables à l’intérieur d’embarcations dangereuses est déplorable. C’est un domaine dans lequel les États-Unis, le Saint-Siège et d’autres dans la région, entretiennent une solide coopération. Les migrations et l’immigration sont au cœur de nos priorités communes pour ce qui est des droits de l’homme et du bien-être collectif des populations les plus démunies et marginalisées du monde. La crise des migrations en Europe exige une coopération de tous les pays du continent, et du reste de la communauté internationale, pour garantir la sécurité des personnes, et un même traitement humain pour tous. Il nous faudra aussi aller à la source du problème, autrement dit affronter la crise actuelle en Syrie. Nous comprenons les énormes défis auxquels les États européens doivent faire face, et accueillons positivement tous les efforts mis en œuvre pour trouver une solution globale et coordonnée. Toute approche de la crise actuelle doit se faire pour sauver et protéger les vies, pour veiller à ce que les droits humains de tous les migrants et refugiés soient respectés, et promouvoir des politiques de migration cadrées et humaines. Les États-Unis ont fourni plus de 4,1 milliards de dollars en assistance humanitaire depuis le début de la crise syrienne – plus que tout autre donateur – pour faire face aux terribles conditions dans lesquelles se trouvent 7,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie et plus de 4 millions de réfugiés dans la région, en particulier au Liban, en Turquie, en Jordanie, en Irak et en Egypte. Nous avons aussi créé un groupe de travail pour coordonner les réponses du département d’État à la crise européenne des migrations et des réfugiés, et pour être prêts à faire face à n’importe quelle autre crise du genre dans d’autres régions du monde. En augmentant le soutien à l’assistance humanitaire et la protection en Syrie et dans les pays limitrophes, moins de réfugiés décideront de bouger, et ils pourront rentrer chez eux plus facilement à la fin du conflit. Les États-Unis ont décidé d’augmenter significativement le nombre de réfugiés syriens sur son sol l’année prochaine. Nous prévoyons d’en accueillir au moins 10 000 en 2016. Accueillir plus de réfugiés syriens aux États-Unis n’est qu’une partie de la solution, mais je crois que cette décision politique va de pair avec notre responsabilité morale de faire davantage.

RV — Beaucoup de réfugiés, comme vous l’avez relevé, viennent de Syrie. La stratégie des raids aériens et vouloir entraîner les opposants suffisent-ils pour vaincre Daesh et donner à Damas un gouvernement militaire, en évitant le risque d’une guerre militaire avec la Russie qui envoie des aides à Bachar El-Assad ?

John F. Kerry — La guerre en Syrie est une crise sécuritaire et humanitaire. Nous travaillons étroitement avec une coalition de plus de 60 partenaires pour atteindre notre objectif commun qui est d’affaiblir puis détruire l’EI, et mettre fin au conflit en passant par une transition politique en Syrie qui l’éloigne du président Assad. La brutalité du régime – que la Russie soutient – a contribué à augmenter l’extrémisme. Cela va contre l’objectif même de Moscou qui dit vouloir plus d’action internationale contre l’EI. J’ai fait part au ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, des préoccupations américaines concernant le soutien militaire de Moscou au régime d’Assad. Ces actions pourraient provoquer une nouvelle escalade dans le conflit, et conduire à une plus grande perte de vies innocentes, augmenter le flot des réfugiés, et risquer une confrontation avec la coalition anti EI œuvrant en Syrie. Mais il est important aussi que nous parlions avec les Russes, pour essayer d’éviter les malentendus et ôter tout caractère belliqueux aux actions de nos forces.

RV — La pauvreté et les inégalités économiques sont un problème croissant dans le monde entier. Comment les États-Unis et le Saint-Siège peuvent-ils travailler ensemble pour « mettre l’économie au service des peuples », comme a dit récemment le pape François ?

John F. Kerry — Beaucoup de monde s’inspire du pape pour aider les exclus et les plus démunis. Les États-Unis et le Saint-Siège partagent cette conviction que la valeur et la dignité de l’homme sont les mêmes pour tous, et que nous devons nous efforcer d’aider chaque être humain à utiliser toutes ses possibilités dans la vie. Comme membres de la Policy Directive on Global Development du président Obama, nous sommes en train de développer et renforcer des partenariats déjà existants, y compris avec les organismes et institutions d’affiliation religieuse, et pensons à de nouvelles idées qui, dans l’intérêt de tous, favoriseraient une croissance économique inclusive, et résoudraient des problèmes communs comme les atteintes à la sécurité mondiale, la prospérité et le développement durable. La réussite des Objectifs de développement du Millénaire, et l’importante diminution de la partie de la population mondiale vivant dans une extrême pauvreté, nous y encouragent. Tout comme nous y encourage la clôture positive des négociations sur le programme de développement pour l’après-2015, « Agenda post-2015 », une des étapes clefs pour aboutir à un consensus international sur la vision commune d’un monde meilleur. Offrir des opportunités aux plus vulnérables et mettre notre planète sur une voie durable sont ses objectifs. Nous sommes impatients de participer, la semaine prochaine, au sommet de l’Onu et de pouvoir signer ce programme, qui permettra de poser les jalons d’un développement réussi et durable pour tous les peuples de la terre dans les dix années à venir.

RV —  Dans son encyclique Laudato si’, le Saint-Père affronte la question des soins à apporter à notre terre qui est notre « maison commune ». À la fin de l’année, se tiendra à Paris la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques : que faut-il encore pour arriver à une entente mondiale sur le climat ?

Jo
hn F. Kerry —
Aboutir à un accord ambitieux et durable à la conférence de l’Onu à Paris serait un pas en avant historique dans la lutte contre les changements climatiques. Un accord juste qui s’appliquerait à tous les pays, doit se focaliser sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sur la mise en place d’un bouclier, incluant un système de contrôle et de mesures très sévères, ainsi qu’une assistance technique et financière sûre pour ceux qui en ont besoin. Cet accord est à portée de main. Le conclure enverrait un signal clair et nécessaire aux marchés et à la société civile. Il montrerait la volonté des nations du monde de résoudre la question des changements climatiques et que l’on ne peut plus retourner en arrière. La communauté internationale doit saisir cette occasion. Nous avons vraiment la possibilité d’aller vers une économie globale à basse émission de carbone, et si nous perdons cette occasion, tous les pays de la planète en payeront un jour les conséquences. La bonne nouvelle, c’est que nous savons comment devra être l’accord final. D’abord, il devra réduire les émissions de gaz de la manière la plus efficace possible. Le premier pas à faire pour les pays est de présenter des objectifs nationaux forts et rapides. L’accord devra prévoir aussi de solides mesures de contrôle, afin que tout le monde puisse voir comment les pays travaillent à leurs objectifs. D’autre part, nous devons encourager les efforts d’adaptation. Les pays doivent produire des plans efficaces d’adaptation et les appliquer pour développer un bouclier qui résiste aux effets des changements climatiques. Et puis, l’accord doit être un accord juste pour tout le monde et compatible avec un monde dynamique et en constante évolution. Enfin, le résultat doit pouvoir garantir une assistance économique forte et durable, dont le but principal serait de soutenir les plus vulnérables, comme les petits États insulaires et les États africains, de les encourager dans leurs efforts d’adaptation, en s’appuyant sur les bonnes mesures prises les années passées. Bien entendu, personne ne pense que trouver un accord à Paris sera facile, mais si nous faisons preuve d’intelligence, et que chacune de nos nations s’engage, non seulement à présenter sa position, mais à chercher un vrai terrain d’entente et à respecter les préoccupations et les impératifs des autres, je n’ai aucun doute que nous y arriverons.

© Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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ZENIT Staff

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