Célébrer Pâques en Chine: choses vues en la cathédrale de Canton

Témoignage de Michel Cambon dans EDA

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A l’heure où l’Eglise universelle célébrait Pâques, les cérémonies de la Semaine Sainte ont aussi été célébrées en Chine avec un soin, un recueillement et une vitalité qui poussent à se réjouir. Ayant personnellement passé ces jours saints à Canton, la mégalopole du sud de la Chine, voici un écho des liturgies célébrées à la cathédrale du Sacré-Cœur publié par « Eglises d’Asie » (EDA), l’agence des Misisons étrangères de Paris.

La cathédrale Seksat (石室, ‘la maison de pierre’ en cantonais) à Canton est un édifice majestueux, néogothique, entièrement en pierre construit dans les années 1860 et aujourd’hui classé patrimoine protégé de la Chine. Ces dernières années, cette œuvre inspirée de l’église Sainte-Clothilde à Paris a été entièrement rénovée – avec d’importants soutiens financiers de l’Etat – et attire de plus en plus de touristes chinois. En plus du bâti en pierre remis en valeur, les travaux ont aussi permis la rénovation du système audio, des ventilations et des vitraux (fabriqués aux Philippines), ainsi que l’ajout d’écrans géants.

Autour de la cathédrale, une dizaine de bâtiments ainsi qu’une grotte de Lourdes en style chinois composent l’espace diocésain qui ne cesse de s’agrandir (en récupérant des propriétés perdues durant la Révolution culturelle ou en construisant du neuf). Cet espace clairement délimité a été également réaménagé : de grands arbres ont été plantés et le dallage en pierre entièrement refait pour créer un ensemble cohérent et agréable. C’est donc dans ce cadre qui en impose que les catholiques de Canton célèbrent le Christ ressuscité.

Le dimanche des Rameaux (comme tous les dimanches), les messes en cantonais, mandarin et anglais se succèdent toute la journée à la cathédrale. Quiconque connaît un peu le diocèse de Hongkong notera que le modèle liturgique du diocèse de Canton est inspiré de Hongkong : on y retrouve le même souci du rite mené avec soin et de la retenue solennelle. De même, on utilise le même type de palme pour acclamer le Christ entrant à Jérusalem.

Du lundi matin jusqu’à la messe chrismale du jeudi matin, l’évêque prit avec lui les quelque vingt-cinq prêtres et quinze religieuses du diocèse pour une retraite spirituelle. Lors de la messe chrismale, ainsi qu’à plusieurs autres occasions, on pria pour le pape François et l’Eglise universelle. Le jeudi soir, lors de la messe de la Cène, sur les douze hommes qui eurent les pieds lavés par le curé de la cathédrale, on comptait deux Nigérians et un Indien. Une petite fille chinoise assise à mes côtés lâcha un cri de stupéfaction en voyant tant de personnes noires. En réalité, la communauté africaine est très importante à Canton. Elle est aussi très engagée dans la vie diocésaine, aidant dans le service d’ordre lors des offices, ou introduisant localement de nouvelles spiritualités telles que les mouvements charismatiques. De même, quiconque passe par la cathédrale verra immanquablement des hommes nigérians en palabre dehors dans un angle de l’espace diocésain, et d’autres en prière fervente dans la chapelle de l’adoration.

Le Vendredi saint, la cathédrale – d’une capacité de 1 200 personnes environ – était entièrement pleine pour l’office de la croix à 15 h. La liturgie fut mise en œuvre avec soin et recueillement, offrant le bois de la croix à la vénération des fidèles. Deux prêtres concélébraient, assistés come à l’accoutumée de six jeunes adultes faisant office d’acolytes. L’application que les catholiques cantonais déploient pour offrir des liturgies belles, solennelles et respectant fidèlement les prescriptions liturgiques pourrait rendre envieux plus d’un diocèse français. A la nuit tombée, le Chemin de croix eut lieu à l’extérieur comme cela se fait au Colisée de Rome. La première station fut à la porte de la cathédrale et les autres stations se déroulèrent au cours d’une déambulation à travers l’espace diocésain. Les centaines de fidèles qui étaient présents reçurent chacun un petit livret spécialement réalisé pour l’occasion, et nous alternions lectures, chants, silences et agenouillements pour chaque station.

Les samedi, dimanche et lundi, la cathédrale fut submergée – comme tous les week-ends mais encore plus lors des jours fériés – par des hordes de touristes chinois voulant visiter ce « lieu romantique » qu’est une véritable église de style néogothique occidental. Ainsi, chaque jour de 7 h à 19 h, les diocésains assurent bénévolement un service d’ordre pour orienter et juguler le flot des touristes. Beaucoup de jeunes adultes chinois, ainsi que des Africains y sont engagés. Ces derniers sont particulièrement efficaces pour imposer silence et respect au touriste chinois trop intrusif. Tous les samedis également, les religieuses se relayent pour que l’une d’entre elles se tienne au centre de la cathédrale afin de présenter au micro la foi chrétienne. La plupart du temps, quelques centaines de touristes s’asseyent pour l’écouter un moment et nombreux sont ceux qui emportent les livrets et brochures disponibles à la sortie.

Le samedi à 16 h, les festivités de la Vigile pascale débutèrent. Ce fut la communauté coréenne qui eut sa Vigile pascale en premier – car c’était le seul moment possible du week-end. Plus de 300 Coréens catholiques avec un jeune prêtre venant de Daegu (Corée du Sud) et ne parlant pas un mot de chinois étaient rassemblées. Puis la Vigile pascale pour les catholiques chinois se tint à 19h30 : la cathédrale fut littéralement prise d’assaut par la foule et plus de 120 adultes reçurent ce soir-là le baptême après un an de catéchuménat. Les visages de ces nouveaux baptisés indiquent clairement des origines sociales, des âges, et des niveaux d’éducation très variés. La chorale diocésaine était aussi à son grand complet (soit plus de 60 personnes) et leur interprétation de l’Alléluia de Haendel fut impressionnante. Une fois encore, malgré la foule envahissante, la liturgie était particulièrement soignée, reflétant la vitalité de l’Eglise locale. A la sortie de la messe, des œufs durs décorés par des bénévoles depuis le matin furent distribués à toute l’assistance, chacun étant invité à en remporter chez soi pour les partager.

Le dimanche de Pâques, les messes s’enchainèrent toute la journée. A la fin de chacune, on distribua des œufs durs décorés à tous ceux qui étaient là. Vers 10 h le matin, une fête fut organisée dans la grande salle polyvalente pour les nouveaux baptisés de la veille. A 16 h, il y eut la messe en anglais dite par un prêtre du diocèse. Il y avait tellement de monde (dont pas mal de Chinois ne parlant pas vraiment anglais) que les étrangers arrivés juste à l’heure durent suivre la messe depuis l’extérieur de la cathédrale. Le service d’ordre n’accepte pas en effet que les allées de la cathédrale soient obstruées durant les messes.

Enfin, il faut mentionner que ce 5 avril était aussi la fête chinoise de Qingming qui oblige chacun à aller se recueillir sur sa tombe familiale. Il est de coutume que la famille se rassemble pour entre autres choses nettoyer la tombe familiale, offrir des offrandes en papier et brûler de l’encens. Les catholiques ne se soustraient pas à leurs obligations familiales et participent à cette fête, tout en se refusant généralement à certains gestes symbol
iques pour montrer leur appartenance religieuse spécifique. La majorité des catholiques se débrouillent donc pour venir à la messe tôt le matin ou plus tard dans l’après-midi afin de marquer dans une même et seule journée leur attachement au Christ ressuscité et à leur famille.

Toutes ces cérémonies de Pâques peuvent au final apparaitre bien simples et banales, mais elles en disent beaucoup sur l’Eglise locale. Il serait surtout bien dommage d’ignorer la Bonne Nouvelle ainsi reflétée et partagée en Chine d’aujourd’hui.

(eda/ra)
 

© Les dépêches d’Eglises d’Asie peuvent être reproduites, intégralement comme partiellement, à la seule condition de citer la source. 

* Michel Chambon est un théologien catholique laïc qui réside actuellement en Chine populaire pour ses recherches doctorales, recherches en anthropologie menées à Boston University (Etats-Unis). Son travail porte sur la rencontre et l’hybridation actuelle entre culture chinoise et foi chrétienne. Après un master sur la croyance parmi les catholiques de Taipei dans les esprits-fantômes, sa recherche doctorale porte sur les pratiques de guérison parmi les protestants en Chine continentale. On pourra lire ses précédentes contributions dans les colonnes d’Eglises d’Asie ici : « Peut-on vraiment parler de pentecôtisme en Chine ? », 18 mars 2014, ici : « Qui persécute l’Eglise en Chine ? », 20 octobre 2014, et ici : « Faut-il parler d’inculturation du christianisme en Asie ? », 18 mars 2015).

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