Europe: l'importance de la visite du pape François, par Mgr Grallet

Une parole forte pour réveiller les consciences

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La visite du pape François aux institutions européennes sera une visite éclair, mais, dépouillée de tout autre rendez-vous, la visite aura un impact d’autant plus fort, estime Mgr Jean-Pierre Grallet, archevêque de Strasbourg qui accueillera le pape a l’aéroport d’Entzheim demain, mardi 25 novembre, à 10 h. Le pape se rendra ensuite à 10 h 35 au Parlement européen où il prononcera un discours, puis à 12 h 05 au Conseil de l’Europe, pour un second discours. C’est la deuxième fois qu’un pape vient Parlement européen: le 8 octobre 1988, le pape Jean-Paul II y avait prononcé un discours historique sur « l’âme de l’Europe« . Mgr Grallet confie aux lecteurs de Zenit ses sentiments et ses espérances à la veille de la venue du pape François.

Zenit – Comment va se dérouler cette visite du pape François aux institutions européennes?

Mgr Jean-Pierre Grallet – L’évêque du lieu accueille toujours l’évêque de Rome, c’est ce que je fais avec joie, même si le Saint-Père ne visitera pas stricto sensu le diocèse de Strasbourg.

Le trajet de l’aéroport d’Entzheim ne se fera pas en papamobile, mais dans une voiture banalisée: ce sera un passage diplomatique très rapide, très sécurisé, dans un itinéraire qui n’est pas connu à l’avance. Tout se joue en trois heures: le pape arrive à dix heures moins dix et il repart à 13 h 50: il déjeunera dans l’avion. A défaut de pain, nous partagerons son espérance. Ce sera un passage d’une très grande sobriété du point de vue de la visibilité du pape en Alsace: pas de bain de foule. Mais cela met d’autant plus en valeur sa volonté de dire une parole forte aux institutions européennes et à l’Europe, et de ne pas mélanger ce message avec les autres réalités de la vie pastorale. Et la salle de presse du Saint-Siège a tenu à annoncer le détail de la visite aux institutions en même temps qu’ils annonçaient officiellement une visite pastorale en France en 2015. Mais tout n’est pas à jouer en même temps. Je suis très heureux de la venue du pape et je me réjouis du bien que cette visite fera

Les Strasbourgeois ne sont pas trop déçus?

L’annonce de la venue du pape a suscité un engouement gigantesque qui manifeste sa très grande popularité même dans des milieux non-chrétiens. Les gens pensaient que le pape pourrait aussi effectuer un passage à la cathédrale dont nous fêtons le millénaire cette année. Les gens ont offert qui un hôtel, qui un restaurant, on a reçu des demandes de réservation. Puis le pape a confirmé qu’il ne ferait qu’une visite aux institutions européennes au Parlement et au Conseil de l’Europe et qu’il réservait la visite pastorale pour plus tard. Les Strasbourgeois se sentent honorés et confortés dans le rôle de Strasbourg comme capitale européenne. La chaîne publique France 3 Alsace retransmettra  en direct la visite du pape de 9h30 à 12h, c’est dire son importance. KTO retransmet aussi à partir de 10h30 les deux discours du pape François en direct. Tous les chrétiens et tous ceux qui le désirent sont invités à se rassembler à la cathédrale pour vivre cet événement, suivre en direct sur écrans géants cette courte visite et écouter l’intégralité des discours. Mais aussi pour prier dès 9h30. La cathédrale sera ouverte en permanence de 9h à 14h. 

Qu’est-ce qu’il faut attendre de la visite sur pape?

Si le pape vient à Strasbourg, il ne vient pas que voir des fonctionnaires: il est clair que cela va relancer l’attention à la vie de la jeune Europe qui n’a que quelques décennies. Cela fera du bien à l’Europe, cela fera du bien aux chrétiens, je pense aussi que cela fera du bien  à toutes les personnes de bonne volonté qui vont entendre le message. Je ne suis pas dans le secret de ses écrits et nous nous laisserons surprendre. Je ne doute pas qu’il aura une parole libre et forte, qu’il va puiser son inspiration naturellement dans l’Evangile et dans la pensée sociale de l’Eglise, et qu’il ne se gênera pas pour dénoncer les frilosités dU monde occidental. Je me souviens de ce qu’il a pu dire à Lampedusa.

Je pense aussi qu’il a une expérience internationale: il est allé en Asie, en Corée, il a vu un pays très pauvre comme l’Albanie, il connaît les drames de l’Orient et la guerre terrible, il vient d’Amérique latine, il n’est pas insensible à ce qui se vit en Afrique. Donc il a une vision mondiale, planétaire, et je pense qu’il va situer les Européens dans le concert des nations, face au développement de toute la planète.

Ce sont certainement des choses comme cela qui nourriront sa parole, sans compter les grandes questions morales, les questions sociétales, ce n’est pas impossible qu’il en parle. Je ne pense pas qu’il va flatter les Européens. Il va plutôt leur dire: « Attention! Vous avez la sécurité, mais ce n’est pas pour vous replier sur vous mêmes ». Je crois qu’il’ va réveiller les consciences sur notre responsabilité dans le concert des nations: je m’attends à cela. J’espère que l’on comprendra bien ses paroles. J’ai des signes avant-coureurs qui sont tout à fait positifs: son autorité morale est incontestée et tout le monde se sent honoré d’avoir à l’accueillir.

La visite du pape François s’accorde bien avec le sens de votre devise épiscopale… 

Ma devise épiscopale, « duc in altum », veut en effet dire: écoute, avance au large, ne te replie pas, ne gémis pas, ne te recroqueville pas … avance au large!

L’Eglise qui est en Alsace a un visage spécifique du fait de sa place en Europe, mais aussi de son statut spécifique en France?

Le Saint Père a nommé comme observateur permanent du Saint-Siège au Conseil de l’Europe Mgr Paolo Rudelli, et un nonce est aussi envoyé auprès de l’Union européenne, Mgr Alain Lebeaupin.

On peut dire que nous avons une pastorale européenne aussi, avec plusieurs prêtres en mission auprès des institutions européennes, notamment pour aider les parlementaires dans leur vie chrétienne, réfléchir aux grands enjeux. Dans le diocèse, nous avons beaucoup de bilinguisme, une majorité de gens connaissant l’allemand, et le dialecte alsacien est encore bien pratiqué.

Pour ce qui est du concordat (napoléonien, ndlr), il permet aussi cette vie ensemble de protestants et catholiques et juifs : les trois cultes concordataires ont été ainsi préparés à travailler en tenant compte les uns des autres. Et lorsqu’il y a des questions à réfléchir avec les musulmans, on est peut être davantage prêts qu’ailleurs. Et s’il y a un Conseil d’Eglises au niveau chrétien il y a aussi des rencontres interreligieuses bénéfiques.

Autre particularité: l’université de Strasbourg, université d’Etat, a une faculté de théologie catholique et faculté de théologie protestante. Je suis chancelier de la faculté de théologie catholique: j’ai mon mot à dire et à relier cette faculté avec l’autorité romaine compétente qui est la Congrégation pour l’éducation catholique. Mais l’Etat prend sa part de responsabilité en rémunérant les professeurs: nous avons des moyens particuliers pour « fonctionner » en Eglise. Le concordat nous rassure – nous avons des moyens matériels convenables – mais cela nous oblige aussi, nous oblige à être des citoyens solidaires, à veiller au bien commun à ne pas nous replier sur nous-mêmes, à rester en dialogue avec les gens.

L’événement important spécifiquement diocésain cette année ce sont les mille ans de la cathédrale, mais n’est-ce pas aussi en quelque sorte un « lieu européen »?

Oui, la cathédrale est un lieu d’Europe, il y a une messe chaque année, avec l’observateur permanent Saint-Siège. Mais, on le sait moins, le grand vitrail du choeur de la cathédrale a été offert par le Conseil de l’Europe en 1958: en quelque sorte, l’Europe se retrouve au coeur de la cathédrale!

On espère un message du pape François pour le millénaire de cette cathédrale: les célébrations ont commencé jour anniversaire de la dédicace, le 7 septembre 2014, et elles se termineront le dimanche 6 septembre 2015. Le diocèse compte 14 zones pastorales  – pour 1 850 000 habitants, dont 1 350 000 catholiques. Les Strasbourgeois sont très attachés à la cathédrale: chaque zone pastorale viendra y passer une journée, voire deux, pendant l’année. Le 15 août sera un temps fort. J’ai demandé pour le 15 août un envoyé du pape, qui soit porteur d’une parole du pape. 

La visite du pape met en évidence une vocation spéciale de l’Eglise en Alsace de témoigner de la réconciliation?

C’est vrai, l’Alsace plus que d’autres régions de France, a souffert dans sa chair et dans l’histoire de ses membres du conflit des nations et des deux peuples naguère ennemis. En 70 ans, les Alsaciens ont changé cinq fois de nationalité: avant 1870, ils étaient français, en 1870 ils deviennent allemands, en 1918 ils redeviennent français, en 1939 ils redeviennent allemands, et en 1945 ils redeviennent français. Je crois que même si leur coeur n’a jamais hésité, était français, en même temps il y avait un secret respect pour la grande culture germanique, le sens de l’organisation, de ce peuple créatif. Ils mesurent les deux très vastes traditions que représentent la culture française et la culture allemande :  ils portaient les deux dans leur esprit et dans leur coeur.

Leclerc avec fait le serment devant ses hommes, en Afrique, de ne s’arrêter que lorsque les couleurs de la France flotteraient au sommet de la cathédrale de Strasbourg. C’était il y a 70 ans. On a fêté, ce 23 novembre les 70 ans de l’arrivée de la 2e DB du général Leclerc à Strasbourg et le fait qu’un soldat soit monté tout en haut de cette immense et superbe flèche pour y accrocher les couleurs de la France. Comme les autres Européens lassés de la guerre, les Alsaciens ont désiré la réconciliation et ils ont sans doute été mieux avertis et mieux préparés pour travailler à la réconciliation franco-allemande. C’est un bonheur de voir les gens se saluer en Alsace: on voit une amitié entre Français et Allemands. Ce n’est pas pour rien que l’on a choisi Strasbourg comme ville des institutions européennes.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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