Résumé des épisodes précédents : Dès avant l’an 180, Saint Irénée avait compris que Dieu ne fait pas l’Homme achevé, parfait, d’un seul coup, comme un magicien, mais par étapes, avec notre participation. Le pape François, près de 2 000 ans plus tard, aborde ces questions dans la même optique…
Dans son message du 27 octobre dernier à l’Académie des sciences, le pape a déclaré :
« Dieu n’est pas un magicien avec une baguette magique. Il a créé les êtres et les a laissés se développer selon les lois internes qu’il a données à chacun, pour qu’ils parviennent à leur plénitude ».
Ce terme de plénitude dont parle le pape, nous rappelle les mots de saint Irénée, « l’Homme achevé, accompli, divinisé ». C’est bel et bien la foi de l’Eglise et son enseignement depuis les tout premiers siècles, avec ce mot grec théiosis qui est traduit par divinisation (1). Quel est le projet de Dieu pour tout homme et femme (?), se sont demandés les Pères de l’Eglise. Pour répondre, ils ont enquêté dans toute l’Ecriture, et en particulier sur certaines énigmes qui nous questionnent dans la Bible. Comme celle-ci :
On peut lire dans le livre de la Genèse : Dieu dit : « Faisons l’Homme à notre image comme notre ressemblance », puis au verset suivant : « Dieu créa l’Homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn. 2, 26 et 27).
La question est : pourquoi Dieu les a-t-il créés seulement à son image ? Pourquoi n’est-il plus question qu’ils soient créés « à sa ressemblance » comme prévu initialement ? Où est passée la ressemblance originelle ? Et cette ressemblance, c’est quoi ?
Il y a débat, mais plusieurs Pères répondent : cette ressemblance n’est autre que l’achèvement, la perfection (perfectum) dont parle Irénée. Elle n’est pas « au commencement », elle est la prochaine étape, l’objectif à atteindre, c’est la vocation de tout être humain. Ce sera à l’Homme et la Femme de la trouver et de la vivre, cette ressemblance avec Dieu.
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ! » nous dit le Christ (Mat 5,48), dans la lignée de ce passage de l’Ecriture : « Parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël, et tu leur diras: Soyez saints, car je suis saint, moi, l’Eternel, votre Dieu. »(Lévitique 19:2)
Cette ressemblance, s’agit-il de la trouver… seuls ? Non, répondent les Pères : pas seuls mais avec l’aide du Créateur, bien sûr. Pourquoi : bien sûr ? Parce que la réponse est dans le même verset, il y a cet énigmatique pluriel : « Faisons »… Les pères l’ont compris ainsi : Faisons ensemble. C’est-à-dire que Dieu, avec chacun de nous, souhaite FAIRE cet Homme achevé qui va enfin ressembler au Créateur. C’est une alliance : Faisons ensemble.
Les Pères des premiers siècles ont pensé que l’Homme et la Femme, créés à l’image de Dieu selon l’Ecriture, avaient pour objectif de toute une vie : retrouver cette ressemblance, avec l’aide de Dieu que l’on appelle la grâce.
C’est ce que nous avons pu lire chez saint Irénée, les semaines précédentes. « Si quelqu’un dit ceci : Quoi donc ? Dieu ne pouvait-il, dès le début, avoir fait l’Homme achevé (perfectum) ?
Qu’il sache qu’en ce qui concerne Dieu, tout lui est possible. Mais les êtres qui ont été créés, (…) parce que récents, ils sont aussi enfants. (…) De même que la mère n’est pas impuissante pour donner à son nourrisson une nourriture adulte et parfaite, mais le bébé ne le supporterait pas… » (2)
Il est magnifique de constater que saint Irénée, « le premier grand théologien de l’Eglise », comme l’a nommé le Pape Benoit XVI, insiste dans son enseignement sur cette dimension de progression, et sur le respect des étapes nécessaires à toute croissance.
Un monde fait par étapes… Cette façon de le comprendre, énoncée depuis près de 2 000 ans, reste conforme au réel qu’étudient nos chimistes, biologistes, physiciens, astrophysiciens. C’est pourquoi, abordant le registre des faits scientifiques, le Pape François a pu déclarer également : « L’évolution dans la nature ne s’oppose pas à la notion de Création… » On pouvait prévoir qu’une telle déclaration allait surprendre bon nombre de commentateurs habitués à opposer ces deux termes, création et évolution, comme s’ils étaient absolument incompatibles, alors qu’au contraire, nous verrons qu’ils n’ont pas de raison de l’être. Ce qu’avait déjà exprimé le Pape Benoit XVI, le 31 octobre 2008 : « Il n’existe aucune incompatibilité entre création et évolution ».
Alors ? Peut-on reconnaitre une évolution tout en étant chrétien ? Peut-on reconnaitre une évolution et croire à la création ? C’est ce que les papes osent affirmer. Essayons de comprendre pourquoi.
Pour bien poser le problème, partons du réel. Qu’apprenons-nous ? La grande découverte des XIX et XX° siècle, c’est que ce monde n’est pas fixe, mais en progression par étapes. Nous ne naissons pas dans un cosmos tout fait, mais dans une cosmogénèse, c’est à dire un Univers en cours de création. C’est cette progression, lorsqu‘elle est observée au niveau des espèces animales, que l’on appelle depuis Darwin « évolution » (3). C’est un fait scientifique (nous y reviendrons) dont il faut tenir compte si l’on veut réfléchir avec intelligence…
Mais attention ! Ce fait scientifique ne nous dit pas si cette évolution se fait TOUTE SEULE, sans intelligence organisatrice, ou si elle se fait grâce à une intelligence organisatrice. C’est là qu’il y a un débat philosophique, car personne ne peut le savoir. En effet, cette question n’est pas du domaine du vérifiable par les sciences. C’est une question qui est d’un tout autre domaine : celui de l’interprétation philosophique. Chaque philosophie va pouvoir interpréter ce fait indiscutable d’une progression-évolution. Et chaque interprétation philosophique sera discutable, par définition.
Donc, comprenons bien la situation : En tenant compte du fait indiscutable d’une progression-évolution, les sciences ne peuvent pas nous dire : « j’ai vu une intelligence divine à l’œuvre. » Parce que même s’il y a une présence divine, elle est invisible par définition. L’outil scientifique ne peut pas saisir Dieu pour le peser, le mesurer, l’échographier, le scanner, l’analyser.
De même, et pour les mêmes raisons, les sciences ne peuvent pas non plus dire le contraire : « J’ai vu qu’il n’y a pas de dieu organisateur, j’ai la preuve que Dieu n’existe pas ».Car c’est impossible : la question de d’un créateur n’est pas du domaine scientifique. Les sciences expérimentales sont radicalement incompétentes sur ce sujet qui n’est pas de leur domaine « physique » mais du domaine « métaphysique » qui échappe à l’expérience scientifique.
Donc les sciences ont fait un remarquable travail pour nous aider à lire cet Univers (comme disait saint Augustin : « lire ce grand livre de la Nature ») mais elles ne peuvent pas PROUVER scientifiquement s’il y a une intelligence organisatrice ou pas. C’est le travail des différentes philosophies et religions qui, par définition ne peuvent qu’interpréter, mais rien PROUVER.
Donc ni les sciences, ni les interprétations philosophiques ne peuvent prouver que Dieu n’existe pas, ou qu’il existe (4).
Autrement dit le fameux débat « évolution-création » ne veut rien dire. Contrairement à ce qu’on entend partout,
ce n’est pas un débat sciences contre religion(5), mais un débat entre des interprétations philosophiques ou religieuses d’un fait. La question est mal posée.
Le vrai débat est : à partir du fait d’une progression-évolution, les uns pensent qu’il y a une intelligence créatrice et les autres pensent que non.
Voilà pourquoi le Pape François a pu déclarer « L’évolution dans la nature ne s’oppose pas à la notion de création… »
(A suivre…) La semaine prochaine, la suite de la déclaration du pape, à propos du Big Bang.
Brunor
(1) Voir les épisodes précédents 41 et 42 sur www.brunor.fr ou sur le site de Zénit http://www.zenit.org/fr/googlesearch?q=les%20indices%20pensables
(2)Saint Irénée, Aversus Haeresis, IV, 38 dont le titre français est : « Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur » (livre IV).
(3) Au temps de Lamarck on l’appelait « transformisme ».
(4) Tout au plus, Parménide a prouvé intelligemment que quelque Être Absolu a toujours existé mais on ne sait pas si c’est quelque chose ou quelqu’un. Voir l’album : L’Être et le néant sont dans un bateau. Brunor éditions 2014.
(5) Néanmoins les fondamentalistes « créationnistes », parce qu’ils nient le fait scientifique d’une progression-évolution, escamotent le vrai débat et engagent un dialogue de sourds, partant de l’idée que si les sciences ne disent pas comme leur propre interprétation fixiste de la Bible, c’est la preuve que« les sciences mentent ». Heureusement, il est devenu possible de les rassurer en les aidants à voir que ce fait d’une progression-évolution, n’est pas du tout incompatible avec la Bible et la foi chrétienne. C’est ce que les papes essayent de faire…