L'Eglise prie pour les pécheurs, mais peut refuser les funérailles

L’Eglise et l’Etat italiens salués par la communauté juive

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Le droit de l’Eglise catholique prévoit que l’on puisse – et même que l’on « doive » – refuser des funérailles religieuses à un criminel jamais repenti. Cela ne veut pas dire refuser de prier. Or, dans le cas du criminel nazi et négationniste Erich Priebke, mort à Rome, à l’âge de cent ans, il y a une semaine, vendredi 11 octobre, c’est son avocat qui a refusé la forme de prière proposée par le diocèse. L’Etat italien a refusé les célébrations publiques. La  communauté juive a salué l’attitude de l’Eglise et de l’Etat.

Le Code de droit canon dit en effet, au canon 1184 – § 1 : « Doivent être privés des funérailles ecclésiastiques, à moins qu’ils n’aient donné quelque signe de pénitence avant leur mort (…) les autres pécheurs manifestes, auxquels les funérailles ecclésiastiques ne peuvent être accordées sans scandale public des fidèles. »

Le capitaine des SS (Hauptsturmführer) était le second d’Herbert Kappler, pendant l’Occupation nazie de Rome. Il s’est réfugié en Argentine pendant 50 ans, avant d’être extradé en 1995 vers l’Italie, où il a été traduit devant les tribunaux pour le massacre de 335 civils aux Fosses ardéatines, le 24 mars 1943, en représailles pour un attentat qui avait tué la veille 33 soldats allemands, Via Rasella.

Il a prétendu ne pas être responsable, sous le prétexte qu’il avait obéi à des ordres. Le massacre a été organisé et exécuté par Herbert Kappler, alors commandant de la police militaire allemande à Rome, assisté de son adjoint, le capitaine Erich Priebke, et du commandant Karl Hass. Mais on a exécuté plus d’otages que le nombre exigé : 33 soldats allemands cela signifiait 330 otages et non pas 335… On y a vu une faille dans sa prétention de n’avoir fait qu’obéir. Condamné à la prison vie en 1998, il était en résidence surveillée en raison de son grand âge, chez son avocat, avec possibilité de sorties sous escorte. Kappler est mort en 1978, à 70 ans, Hass en 2004, à 91 ans.

Le droit et la décision du cardinal Vallini

Le paragraphe 2 du même canon 1184 précise : « Si quelque doute surgit, l’Ordinaire du lieu, au jugement duquel il faudra s’en tenir, sera consulté », autrement dit, c’est l’évêque local qui tranche. Ici, l’évêque étant le pape, le diocèse est confié à un « vicaire », le cardinal Agostino Vallini.

Le canon suivant (1185) ajoute : « Toute  messe d’obsèques doit être aussi refusée à la personne exclue des funérailles ecclésiastiques. »

L’Eglise n’a pas refusé de prier pour que le criminel nazi Erich Priebke se repente et reçoive miséricorde, mais les funérailles ecclésiastiques lui ont été refusées même s’il se prétendait catholique, explique le cardinal Vallini.

Le cardinal Vallini a exposé les faits à la presse, lundi, 14 octobre : « Précisons les faits, les fait ont été les suivants : samedi matin, 12 octobre, la nouvelle est parvenue par une dame, au nom de l’avocat du monsieur Priebke (M. Paolo Giachini, ndlr), avec une demande d’obsèques religieuses, après sa mort. Nous avons tout considéré, toutes les circonstances et les éléments de cette affaire et l’on a décidé d’assurer la prière de demande de miséricorde du Seigneur, comme pour tout homme qui demande, au moment suprême de la vie, la miséricorde de Dieu, même monsieur Priebke. »

Mais voilà, la modalité proposée par l’Eglise a été refusée par son avocat : « Nous avons décidé de la modalité : voilà le point. Une modalité différente pour des raisons évidentes. Notre proposition a été refusée par l’avocat. Voilà le fait. Et à cela nous nous tenons. Mais à personne on ne refuse la prière de demande de miséricorde. »

En quoi consistait cette « modalité différente » ? Le cardinal Vallini répond : « De pouvoir célébrer la prière de demande de miséricorde de Dieu dans la maison du défunt, comme c’est prévu par le rituel romain universel. »

Et « pourquoi pas des funérailles » ? a insisté un journaliste qui s’est entendu répondre : « Vous le comprenez vous-même… » Donc aucune célébration dans aucune église de Rome, et la proposition de prière auprès du défunt a été repoussée.

L’Eglise et l’Etat

Le théologien italien Mgr Bruno Forte, évêque de Chieti, fait observer ceci : « L’Eglise annonce le primat de la miséricorde de Dieu à laquelle tous sont confiés », mais « célébrer les funérailles voudrait dire que cet homme, bien qu’étant un pécheur, était en communion avec l’Eglise. Et cela n’aurait pas de sens, ce serait une ambiguïté inadmissible : comment pourrait-on considérer en communion avec l’Eglise quelqu’un qui jusqu’au bout a nié la Shoah obstinément ? Priebke ne voulait pas être en communion dans la condamnation sans appel, répétée dans l’enseignement catholique, de la Shoah comme mal absolu, radical ».

Les autorités romaines ont également refusé toute manifestation publique.

Des funérailles religieuses prévues par des disciples de Mgr Marcel Lefebvre, à Albano, près de Rome, mardi, 15 octobre, ont été annulées en raison de la présence de néo-nazis : le cortège funèbre venu de l’hôpital Gemelli, avait dû affronter la colère des habitants pour parvenir jusqu’à la chapelle de la Fraternité Saint-Pie X.

Le corps du défunt est actuellement conservé à l’aéroport militaire de Pratica di Mare, mais ni en Argentine ni en Allemagne, on ne veut l’accueillir.

Le ministre des Affaires étrangères d’Argentine, Hector Timerman, a déclaré que l’on interdirait le territoire à sa dépouille.

Le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Martin Schaefer, a rappelé qu’un citoyen allemand pouvait être enterré en Allemagne mais que personne de la famille Priebke n’avait fait une telle demande. Il est né à Hennigsdorf, au nord Berlin où aucun non résident n’est accepté sauf en cas de caveau de famille, ce n’est pas celui de Priebke.

La police de Rome et le préfet de la capitale, M. Giuseppe Pecoraro, ont pour leur part interdit « toute forme de célébration solennelle ou publique », et le maire de Rome, M. Ignazio Marino, a dit ne pas accepter ni funérailles dans une église ni enterrement.

La communauté juive d’Italie a dit apprécier l’attitude de l’Eglise et de l’Etat : « Toute manifestation d’honneur – civile ou religieux – serait un affront intolérable à la mémoire de ceux qui sont tombés au combat pour la liberté contre le nazisme et le fascisme », a déclaré le chef des communautés juives d’Italie, M. Renzo Gattegna.

Le chef de la communauté juive de Rome, Riccardo Pacifici a suggéré que ses cendres soient dispersées.

Quant à la rédaction en français de Zenit, nous avons décidé, à l’occasion du 70e anniversaire de la tragique rafle des juifs de Rome, du 16 octobre 1943, qui a fait 1024 déportés, dont 200 enfants, et seulement 16 survivants (une seule femme) que les seuls noms qui pouvaient être prononcés cette semaine étaient celui des victimes de la barbarie nazie. Nous avons donc laissé passer la commémoration et une journée avant d’évoquer la mort du criminel nazi et la bataille autour de sa sépulture.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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