Une vie toute livrée « à l'oeuvre de Dieu »

La paternité spirituelle de Benoît XVI

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« Benedetto, Benedetto », « Grazie Papa » « Nous sommes avec toi » : une foule colorée et émue s’est serrée autour de Benoît XVI, ce mercredi 27 février, comme l’ont manifesté de grands applaudissements qui ont scandé ses confidences, par lesquelles il communique à tous ses fils spirituels un enseignement remarquable. Sa vie « appartient totalement à l’œuvre de Dieu ». Et en tant que « père », il livre quelques clefs de sa vie en Dieu.

Le pape Benoît XVI a présidé la dernière audience générale de son pontificat, enveloppé de son grand manteau croisé blanc, ce mercredi matin, place Saint-Pierre, sous un ciel limpide et un soleil éclatant: au moins 150 000 personnes étaient présentes, jusque dans la rue de la Conciliation, et environ 70 cardinaux.

C’était le dernier « discours public » de Benoît XVI, même s’il adressera quelques mots demain, 28 février, aux cardinaux déjà présents à Rome, et il prononcera une allocution pour saluer les habitants de Castelgandolfo qui l’accueilleront vers 17 h 15.

Le pape a ensuite rencontré des personnalités présentes à l’audience, comme le président de Slovaquie, le président du Land de Bavière, les Capitaines régents de Saint-Marin, le maire de Rome.

L’émotion de Benoît XVI

« Je vous remercie d’être venus si nombreux à cette dernière audience générale de mon pontificat », a dit le pape d’emblée, interrompu par des applaudissements qui lui ont fait ajouter cette petite phrase spontanée : « Merci de tout coeur, je suis vraiment ému. Et je vois l’Eglise vivante! Et je pense que nous devons dire aussi merci au Créateur pour le beau temps qu’il nous offre maintenant, encore en hiver ».

Le pape, plein de gratitude pour ces huit années, pensait à l’Eglise mais aussi au monde entier.

Emu et en même temps « confiant » et il a dit sa « joie »: « J’ai en moi une grande confiance, parce que je sais, nous savons tous, que la Parole de vérité de l’Evangile est la force de l’Eglise, c’est sa vie. L’Evangile purifie et renouvelle, porte du fruit, partout la communauté des croyants l’écoute et accueille la grâce de Dieu dans la vérité et vit dans la charité. Telle est ma confiance, telle est ma joie ».

Il est plusieurs fois revenu, sur le ton de la confidence, au 19 avril 2005 : « Comme je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises, les paroles qui ont résonné en mon cœur ont été : « Seigneur, que me demandes-tu ? C’est un grand poids que tu mets sur mes épaules, mais si Tu me le demandes, sur ta parole, je jetterai les filets, sûr que Tu me guideras, même avec toutes mes faiblesses ». »

La mer de Galilée

Dieu l’a accompagné, a confié le pape, dans les «  moments de joie et de lumière » ou les « moments pas faciles », et confie avec l’image de la barque de Pierre sur le Lac de Galilée : « J’ai toujours su que dans cette barque il y avait le Seigneur et j’ai toujours su que la barque de l’Eglise n’est pas à moi, n’est pas la nôtre (applaudissements) mais est la sienne et qu’il ne la laisse pas couler ; c’est Lui qui la conduit, certainement aussi à travers les hommes qu’il a choisis, parce qu’il l’a voulu ainsi. Telle a été la certitude que personne ne peut troubler. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui mon cœur est rempli de gratitude envers Dieu parce qu’il n’a jamais fait manquer ni l’Eglise ni à moi sa consolation, sa lumière, son amour ».

Evoquant l’Année de la foi, il a invité à la confiance des petits enfants : « Je voudrais tous vous inviter à renouveler votre ferme confiance dans le Seigneur, à vous confier comme des enfants dans les bras de Dieu, certains que ces bras nous soutiennent toujours et sont ce qui nous permet de marcher chaque jour dans les fatigues ».

Surtout, le pape a rappelé le cœur de l’Evangile : « Je voudrais que chacun se sente aimé de ce Dieu qui a donné son Fils pour nous et qui nous a montré son amour sans frontières. Je voudrais que chacun sente la joie d’être chrétien ».

Il a même proposé cette prière du matin « Je t’adore, mon Dieu, et je t’aime de tout mon coeur. Je te remercie de m’avoir créé, fait chrétien… »

Le don de la foi, a affirmé le pape, « c’est le bien le plus précieux que personne ne peut nous enlever ! »

Un coeur de père

Et il faut répondre à ce don : « Remercions le Seigneur de cela chaque jour, par la prière et par une vie chrétienne cohérente. Dieu nous aime mais il attend aussi que nous l’aimions ! »

Le pape a ensuite adressé des remerciements appuyés à son Secrétaire d’Etat et à la curie romaine, tous ceux qui ont été proches de lui et ont travaillé, même dans l’ombre avec un grand « dévouement », et son diocèse : « Chaque jour j’ai porté chacun de vous dans ma prière, avec un cœur de père ».

Le pape ne voulait pas oublier qui que ce soit dans ses remerciements : le Corps diplomatique près le Saint-Siège, « qui rend présente la grande famille des Nations » et les « tous ceux qui travaillent pour une bonne communication » – un « service important » – et « les nombreuses personnes dans le monde entier qui, ces dernières semaines, m’ont envoyé des signes émouvants d’attention, d’amitié et de prière ».

Et voilà une affirmation qui démentait beaucoup de commentaires : « Oui, le Pape n’est jamais seul, aujourd’hui j’en fais l’expérience encore une fois d’une façon si grande qu’elle touche mon cœur ».

L’Eglise vivante se manifeste

L’abondant courrier reçu a manifesté la réalité de l’Eglise, « vivante » : les « très nombreuses lettres de personnes simples qui m’écrivent simplement avec leur cœur et me font sentir leur affection, qui naît de l’appartenance au Christ Jésus, dans l’Eglise » : « Ils m’écrivent comme frères et sœurs ou comme fils et filles, avec le sens d’un lien familier très affectueux. Ici, on peut toucher du doigt ce qu’est l’Eglise – non pas une organisation, non pas une association à fins religieuses ou humanitaires, mais un corps vivant, une communion de frères et soeurs dans le Corps de Jésus-Christ, qui nous unit tous. Faire l’expérience de l’Eglise de cette façon et pouvoir toucher quasi physiquement la force de sa vérité et de son amour, est motif de joie, en un temps où tant parlent de son déclin. Mais nous voyons combien l’Eglise est vivante aujourd’hui ! »

Puis le pape est revenu sur la genèse de sa décision, avec ce réalisme spirituel qui le caractérise, et le critère qui éclaire sa décision, l’amour de l’Eglise : « Ces derniers mois, j’ai senti que mes forces avaient diminué, et j’ai demandé à Dieu avec insistance, dans la prière, de m’éclairer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste, non pour mon bien, mais pour le bien de l’Eglise. J’ai fait ce pas avec la pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. Aimer l’Eglise signifie aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, soufferts, en ayant toujours devant [soi] le bien de l’Eglise et non de soi-même ».

Mais surtout, le pape affirmait qu’il renonce pas à la « Croix » : il a dit « oui », comme il le disait le jour des funérailles de Jean-Paul II, comme il l’a dit en acceptant la charge de Successeur de Pierre. De fait, il a évoqué – au lendemain de l’inauguration de son pontificat – le message d’un cardinal qui lui suggérait de faire ce qu’il avait dit dans son homélie quelques jours auparavant.

Et sa décision – il l’a dit aussi à l’angélus de dimanche dernier, 24 février – est un nouveau « oui », n’est pas un « non », n’est
pas refuser l’obstacle, ou se reprendre. C’est se déprendre encore davantage sous le signe du « pour toujours » de son « oui », du don de soi : «  « Toujours » : celui qui assume le ministère pétrinien n’a plus aucune vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l’Eglise. Sa vie est dépouillée en quelque sorte de toute dimension privée. J’ai pu faire l’expérience et je fais précisément maintenant l’expérience du fait qu’on reçoit la vie justement lorsqu’on la donne. J’ai déjà dit que beaucoup de personnes qui aiment le Seigneur aiment aussi le Successeur de saint Pierre et sont attachées à lui; que le pape a vraiment des frères et soeurs, des fils et des filles dans le monde entier, et qu’il se sent entouré dans l’embrassement de leur communion; car il ne s’appartient plus, il appartient à tous et tous lui appartiennent ».

La mystique de l’oeuvre de Dieu

Pas de retour sur ses pas, mais un don encore plus grand : «  Ma décision de renoncer à l’exercice actif du ministère, ne révoque pas cela. Je ne retourne pas à la vie privée, à une vie de voyages, de rencontres, de réceptions, de conférences, etc. Je n’abandonne pas la Croix, mais je reste de façon nouvelle auprès du Seigneur Crucifié. Je ne porte plus le pouvoir de la charge du gouvernement de l’Eglise, mais dans le service de la prière je reste, pour ainsi dire, dans l’enclos de saint Pierre ».

Et voilà une confidence qui en dit long sur ce qui apparaît comme un confidence spirituelle décisive : « Saint Benoît, dont je porte le nom comme pape, me sera d’un grand exemple en cela. Il nous a montré le chemin d’une vie, qui, active ou passive, appartient totalement à l’œuvre de Dieu ».

L’oeuvre de Dieu, dans l’action de l’homme : il s’agit en quelque sorte d’une mystique de l’action, de l’union à Dieu dans les actes de l’homme, les décisions humaines. Il ne s’agit plus d’agir et de vivre en présence de Dieu, pas même avec Dieu, mais d’épouser la volonté de Dieu au point que toute décision humaine, toute action soit action de Dieu dans ce monde, c’est à ce prix que l’action humaine peut transformer le monde, parce qu’elle est action de Dieu, œuvre de Dieu. Une mystique des épousailles, un thème cher à Benoît XVI qui ce matin encore évoquait l’Eglise par son nom d’Epouse du Christ.

Dieu conduit l’Eglise

La décision du pape a suscité un grand respect et il le sait : « Je remercie tous et chacun aussi pour le respect et la compréhension avec lesquels vous avez accueilli cette décision si importante. Je continuerai à accompagner le chemin de l’Eglise par la prière et la réflexion, avec ce dévouement au Seigneur et à son Epouse que j’ai cherché à vivre chaque jour jusqu’à présent et que je veux vivre toujours ».

Il invite à une confiance « profonde » dans l’intercession de la Vierge Marie, et termine sur cette nouvelle invitation à la foi : « Dieu guide l’Eglise, il la soutient toujours, même et surtout dans les moments difficiles. Ne perdons jamais cette vision de foi, qui est l’unique vraie vision du chemin de l’Eglise et du monde. Dans notre coeur, dans le coeur de chacun de vous, qu’il y ait toujours la joyeuse certitude que le Seigneur est auprès de nous, qu’il ne nous abandonne pas, qu’il est proche de nous, qu’il nous enveloppe de son amour. Merci ! »

Presque deux minutes d’applaudissements ont salué l’invitation du pape et les vivat l’ont accompagné pour son dernier tour de la Place Saint-Pierre, debout à l’arrière de la voiture découverte, dans ce grand manteau blanc qui renvoyait les rayons du soleil, illuminant son visage souriant. Douce fermeté de Benoît XVI.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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