La « culture du don de soi » pour surmonter la crise (II/II)

Réflexion de Carmine Tabarro

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Carmine Tabarro, experte en doctrine sociale de l’Église et en économie publique et de marché, poursuit sa réflexion sur le don : « que veut dire se donner ? Cela signifie faire don de sa présence, de son temps, de ses talents, les mettre au service de l’autre, quel qu’il soit ».

Pour la première partie de la réflexion cf. Zenit du 18 février 2013.

« Donner la vie est le plus beau des dons. Donner jusqu’à sacrifier sa vie est la plus difficile des oeuvres, et elle va contre les modèle de la vie contemporaine fondée sur l’utilitarisme et sur le sens (génétique) de l’autoconservation. La pulsion biologique qui nous habite nous pousse à vivre, à tout prix, même sans les autres, voire même contre les autres… Au lieu de donner de lui-même, l’homme contemporain est tenté de donner d’autres choses qui lui sont étrangères, je pense à la philanthropie, à la logique des sacrifices offerts aux idoles.

Ce type de don n’est pas le don au sens chrétien, et il est significatif que dans le christianisme la seule offrande possible soit celle du don de soi, de son propre corps, de sa propre vie pour les autres.

Il ne s’agit pas de sacrifier ni les autres ni quelque chose, mais de se consacrer, de se mettre au service des autres en affirmant la liberté, la justice, la vie totale.

Mais que veut dire se donner ? Cela signifie faire don de sa présence, de son temps, de ses talents, les mettre au service de l’autre, quel qu’il soit, tout simplement parce qu’il est un homme comme moi, un frère, une sœur en humanité. Donner sa présence : son visage près du visage de l’autre, ses yeux près des siens, sa main dans la sienne, dans une proximité où le langage vit le don d’autrui.

Mais ce don à l’autre ne devient chair que lorsqu’on décide qu’il y ait une proximité, d’être proche de l’autre, de s’impliquer dans sa vie, d’assumer une relation avec l’autre. Alors ce qui était presque impossible et de toute façon difficile, fatiguant, devient presque naturel car habite en nous, au plus profond de nous, la capacité du bien: celle-ci est réveillée, si ce n’est engendrée, précisément par cet état de proximité, quand cesse l’abstraction, la distance, et que nait la relation.

Une parole de Jésus, que l’apôtre Paul rapporte dans son discours à Milet dans les Actes des apôtres, est très explicite: « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ».

Ceci est l’expérience concrète de celui qui sait se faire proche de l’autre en allant vers lui, car l’autre, même si son visage est celui d’un lépreux, s’il est regardé en face, appelle notre cœur à souffrir avec lui, réclame compassion, réclame notre présence et notre temps, demande qu’on se donne à lui.

Donner est un geste qui procure de la joie parce que c’est un acte concret qui nous met en communion avec Dieu. Alors que la culture de l’accumulation ne connaît pas la logique du don, elle est soumise à la dépendance des choses et sépare l’homme de l’homme, l’homme des autres.

Il n’y a pas de vraie joie sans les autres, comme il est vrai qu’il n’y a pas d’espérance sans espérance commune. Mais l’espérance est fruit du don que l’on fait, du partage, de la fraternité.

Je voudrais clore cette réflexion en citant l’hymne à la charité (écrit par saint Paul entre 54/55 ap. JC à la communauté grecque de Corinthe – 1Cor 13, 4-13) et en vous invitant à remplacer le mot « charité » par le mot « don » :

« Frères, le don (la charité) est longanime ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; le don (la charité) ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; il ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. Le don (la charité) ne passe jamais. … Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est le don (la charité). »

Dans ce geste du don, c’est précisément parce que l’action va au-delà de la justice qui se nourrit des règles de la parité, que l’amour trouve sa place, un amour qui s’inspire de la surabondance.

Donner confiance, donner les choses en les expropriant de soi, donner de sa présence, de son temps, est un geste qui n’attend pas de retour, mais qui demande une suite, d’être continué.

Ce geste ne saurait être soumis à la condition d’un rendu, d’une obligation qui nait du geste même,  il est porteur d’une bonne nouvelle, réveille une responsabilité, inspire le lien social fondé sur la civilisation de l’amour.

La dette d’amour sous-tend la logique du don qui est gratuité et absence de réciprocité, ses deux caractéristiques essentielles. »

Traduction d’Océane Le Gall

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Carmine Tabarro

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