Le président de la Commission pour les Affaires constitutionnelles au Parlement européen, Carlo Casini, explique ce qu’il appelle la « preuve anthropologique » de la vie dès la conception. Contemplant l’infiniment grand et l’infiniment petit, il conclut: « Si bien que l’homme, au-delà de toute considération d’ordre métaphysique et religieuse, indépendamment de cela, apparaît comme le fils de « l’immense ». »
Voici la première partie de notre traduction de cette réflexion.La « preuve anthropologique » de la vie dès la conception
S’interroger sur le sens de notre vie est tout ce qu’il y a de plus rationnel à se dire. C’est une question qui touche aussi tout l’univers. Une question, certes, à saveur religieuse, mais que tous les hommes en tant qu’hommes se posent parce qu’ils sont dotés de raison, c’est-à-dire capables mais surtout désireux de connaître les causes, les buts, la signification de ce qui existe et des événements qui se succèdent dans le temps. La réponse peut être religieuse, si elle repose sur une explication qui suppose l’existence d’un Dieu créateur, ou alors ne pas l’être du tout dans le cas où, au plus fort du désespoir, on estime qu’il n’existe aucune réponse possible au-delà de ce dont on peut faire l’expérience avec les sens de son propre corps.
On pourrait voir aux deux extrêmes, la réponse du psalmiste de la Bible et celle du grand poète Giacomo Leopardi dans « le Chant nocturne d’un berger errant de l’Asie ». Le premier exulte, heureux de saisir la signification extraordinairement positive du « vivre » humain : « A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts; / la lune et les étoiles que tu fixas, / qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? / Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu; / le couronnant de gloire et d’honneur; / tu l’établis sur les œuvres de tes mains, / tu mets toute chose à ses pieds » (Psaume 8); « Je reconnais devant toi le prodige l’être étonnant que je suis / étonnantes sont tes œuvres » (Psaume 138).
Leopardi, lui aussi, contemple la lune et les étoiles avec cette poignante aptitude à la contemplation qu’ont les grands poètes, mais il ne reçoit aucune réponse à ses pressantes questions: « Dis-moi, lune: à quoi sert au berger sa propre vie. Et votre vie à vous ? Dis-moi : où tendent mon errance éphémère, ton parcours immortel ? » Dans le silence de l’univers, le manque de réponse à la demande de sens porte au désespoir : « Peut-être en toute forme, dans tout être, dans le terrier ou le berceau, jour funèbre est pour qui naît le jour natal ».
« Prouver l’existence de l’homme » est le but de ces pages. La thèse est double : d’un côté prouver l’individualité humaine de l’être conçu, de l’autre prouver le saut de qualité qui sépare l’humanum de ce qui n’est pas humanum. Deux aspects que l’on ne saurait d’ailleurs séparer. Si le sens d’une vie humaine est le même que celui de la vie d’un insecte ou d’une plante, on ne voit pas pour quelle raison il y a des droits humains inviolables dont on affirme que la protection revient à tous, même à ceux qui, apparemment, semblent n’avoir aucune valeur, comme les malades mentaux, les mourants, les nouveaux nés, etc.
De toute évidence ce n’est pas l’apparence de la forme ou de la fonction qui fait la différence entre l’homme et tout le reste de la création. Si nous disons que la valeur d’un malade mental est supérieure à celle d’un chat c’est, de toute évidence, parce que nous estimons qu’il y en lui quelque chose d’assurément important, qui est diffèrent de l’aspect et des capacités de penser et de faire. Cette diversité touche au sens de la vie humaine. Naturellement la vision religieuse, la vision chrétienne en particulier, sait donner des réponses.
On peut discuter de savoir s’il existe une réponse pleinement convaincante quand on fait abstraction de la dimension religieuse. Mais il est un fait qui mérite considération : comme on l’a vu en exposant la preuve juridique, tous les peuples de la terre, dans les plus grandes déclarations solennelles de notre temps, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l’homme, affirment que la dignité humaine est la même pour tous, indépendamment de la diversité des conditions de vie, par le simple fait même d’exister en tant qu’être individuel de l’espèce humaine. Cette parité de dignité suppose que celle-ci doit être maximale, c’est-à-dire la plus grande possible, si grande à ne pouvoir permettre de graduation, c’est-à-dire permettre que l’existence d’un homme puisse être plus ou moins digne que celle d’un autre. Il ne s’agit pas de proposer des dissertations philosophiques ou théologiques. Il s’agit seulement de constater un fait établi: la reconnaissance d’une même dignité pour chaque être humain comme trait caractéristique de la culture moderne.
Les thèses de certains bioéthiciens et de certains animalistes sont isolées et ont un parfum d’originalité. Maintenant une dignité qui ne tient pas compte de la forme (morphologique) et de la capacité (fonctionnalité) de l’homme ne peut qu’être reliée au sens de la vie. Chaque vie humaine a un sens qui ne connaît pas de graduation. C’est une autre façon d’affirmer ce concept que la dignité est la même pour tous.
L’homme dans le mystère de l’univers
Le psalmiste et Leopardi, pour connaître le sens de la vie, placent l’homme à l’intérieur de l’univers. Nous vivons en effet plongés dans le mystère. Les choses que nous ne savons pas sont bien plus nombreuses que celles que nous connaissons. Cela dit, nous avons acquis aujourd’hui des notions qui, comparé au passé, sont considérables. Il n’y a pas si longtemps encore, on connaissait peu de chose au-delà de notre système solaire, peu de chose de la structure de la matière. Thalès de Milet, 600 ans avant Jésus-Christ, croyait que la terre était un disque flottant au-dessus de la mer et que la voûte céleste était une espèce de coupe appuyée contre la terre. Jusqu’à Copernic, vers la fin du Moyen-Age, dominait la vision géocentrique de Claude Ptolémée. La terre immobile au milieu des cieux et le soleil tournant autour d’elle.
Le système copernicien et galiléen montra la diversité des mouvements planétaires autour du soleil, mais n’alla pas beaucoup plus loin dans sa réflexion sur l’univers. C’est depuis peu seulement que nos puissants télescopes, de complexes calculs mathématiques et les explorations des missiles et des satellites artificiels on fait découvrir l’incroyable complexité et les dimensions immenses de l’univers, mais dont les limites restent encore insondables. Nous sommes stupéfaits et presque dans le désarroi quand nous tentons d’appliquer à l’univers notre manière de penser l’espace et le temps. La circonférence de notre terre est de 40 000 kilomètres. La lumière court à 300 000 Km à la seconde. Au moment où je dis « un » celle-ci a déjà fait sept fois le tour du monde. Mais l’unité de mesure utilisée par les astronomes est l’année lumière, soit l’espace parcouru par la lumière en un an. Et comme une journée est faite de 86.400 secondes, et une année de 31.536.000 seconde, une année lumière correspond à presque 76 000 milliards de kilomètres. L’esprit s’égare. Il nous est impossible de recourir à l’imagination. Pourtant, l’espace jusqu’ici scruté couvre la distance d’un milliard d’années lumière! La terre se trouve à l’intérieur de l’amas de la Vierge dans lequel sont réunies 2500 galaxies, chacune d’elles formée de milliards d’étoiles. Notre galaxie, en forme de spirale, a un diamètre de 100 000 années lumière ; 100 milliards de kilomètres mesurent l’axe de notre sy
stème solaire et 100 millions de kilomètres mesurent six semaines depuis l’orbite terrestre autour du soleil. Il faut quatre jours à la terre pour parcourir 10 millions de kilomètres.
La réflexion sur l’origine de l’univers nous laisse elle aussi sans voix. La théorie la plus plausible est aujourd’hui celle du Big Bang. Il y a 13, 8 milliards d’années, toute la matière aujourd’hui perdue dans l’immensité de l’univers, se serait concentrée dans un espace très limité : selon certains, du néant serait même sorti un point où l’énergie et la matière auraient eu une densité inimaginable. Ce point aurait explosé avec un tel fracas qu’encore aujourd’hui, si loin dans le temps, résonnerait son écho dans les espaces intergalactiques et interstellaires. En effet, les scientifiques ont constaté que les corps stellaires sont en expansion, s’éloignent les uns des autres. La vitesse d’expansion est calculable et, en allant en arrière dans le temps, on arriverait à ce Big Bang en question. Les ondes sonores s’atténueraient elles aussi au fil du temps, devenant alors de plus en forte au fur et à mesure que l’on reculerait jusqu’à cet extraordinaire Big Bang survenu il y 13, 8 milliards d’années.
L’étonnement et le sens de mystère ne diminuent pas si de l’incroyablement grand on passe à l’incroyablement petit: du macrocosme au microcosme. La structure interne de la matière, elle aussi, on ne la connaît que depuis assez peu de temps. Un atome de carbone mesure dix milliardièmes de mètres. Il est fait d’un noyau et de six électrons et, ici, les mesures deviennent encore plus inquiétantes tellement il est difficile de les imaginer. Nous sommes dans la sphère du « micromètre », c’est-à-dire d’un millième du milliardième de quand on veut mesurer le noyau. Et le noyau comprend 6 protons et 6 neutrons. Dimension: un millionième du milliardième de mètre. Chaque proton et chaque neutron est formé de trois quark, dont on ne sait néanmoins presque rien.
Dans l’immensité de l’espace et du temps l’homme demande à son esprit surtout des informations sur lui-même. Qui suis-je ? D’où je viens ? Quel est le sens de ma vie ? La science enquête dans le domaine de l’archéologie et de la biologie. Même si la théorie de l’évolution était vraie la vie humaine n’en serait pas moins une merveille de la nature. L’espace et le temps auraient concouru à l’apparition de l’homme. De la matière inanimée, aux premiers végétaux puis aux bactéries, aux mollusques et plus tard, sur des millions d’années, aux poissons, aux reptiles et aux oiseaux, et enfin aux mammifères et enfin, … enfin à l’homme, où la matière s’organise jusqu’au point de permettre pensée, liberté, amour. Tout dans l’univers semble tendre vers lui. Quelle signification aurait une immensité de matière inconsciente de son existence ? Même ceux qui ne croient pas en Dieu ou titubent, tâtonnent, dans l’obscurité du doute, ne peut pas ne pas sentir la force de l’hypothèse que, si dans le tout il y a un sens, celui-ci doit être trouvé en lui, dans l’homme.
S’il y a eu une évolution de la matière inanimée à la complexité encore largement inexplorée de notre cerveau il doit y avoir aussi un plan qui tende à aller vers un but et l’atteindre. Le temps et l’espace sont en fonction de ce but à atteindre. La théorie de la relativité montre que le temps et l’espace sont en fonction l’un de l’autre. Il ne peut y avoir de temps qui soit grand sans qu’il y ait aussi un grand espace. C’est pourquoi la très longue évolution qui a conduit à l’homme avait besoin d’un espace considérable. Et cet espace c’est donc l’univers. Si bien que l’homme, au-delà de toute considération d’ordre métaphysique et religieuse, indépendamment de cela, apparaît comme le fils de « l’immense ».
(à suivre)
Traduction d’Océane Le Gall