Propos recueillis par Anita Bourdin
ROME, vendredi 27 avril 2012 (ZENIT.org) – « Faut-il encore se soucier du salut des âmes? L’urgence de l’évangélisation » : ce livre du P. Deni Biju-Duval arrive à point dans la dernière ligne droite de la préparation au synode sur la Nouvelle évangélisation.
Il est publié aux Editions de l’Emmanuel (collection IUPG). Le P. Biju-Duval, est professeur de théologie d el’évangélisation à l’Institut pontifical Redemptor Hominis de l’Université pontificale du Latran, et consulteur au nouveau dicastère pour la promotion de la nouvelle évangélisation. Il livre ici aux lecteurs de Zenit quelques clefs de la nouvelle évangélisation.
Zenit – Père Denis Biju-Duval, l’évangélisation c’est votre « spécialité »?
P. Denis Biju-Duval – Tout dépend de ce qu’on appelle « spécialité ». L’évangélisation est mission de toute l’Eglise. Tout chrétien baptisé et confirmé, personnellement ou en communauté, est appelé à témoigner de l’amour du Christ, en actes d’abord, et en paroles chaque fois que des opportunités se présentent. En ce sens, l’évangélisation n’est pas l’apanage de spécialistes, moyennant quoi les autres pourraient se contenter de mener une petite vie chrétienne tranquille. En fait, si vraiment nous prenons conscience de l’extraordinaire surabondance de l’amour de Dieu à notre endroit, nous ne pourrons pas l’empêcher de rejaillir, de déborder de nos coeurs.
Ma « spécialité » n’est donc pas l’évangélisation en soi, mais la réflexion théologique sur l’évangélisation: comprendre pourquoi l’Eglise est évangélisatrice par définition, apporter des éléments de discernement théologique sur la forme qu’est appelée à prendre l’évangélisation dans les temps que nous vivons.
Comment avez-vous eu l’idée de ce livre? Que voulez-vous dire dans le contexte de la préparation au synode sur la Nouvelle évangélisation?
Mon livre part d’une interrogation. Depuis tout jeune, on m’avait expliqué, exemples de nombreux saints à l’appui, que je pouvais contribuer au salut éternel des hommes par la charité, le témoignage, la prière, l’offrande de mes petits sacrifices, la participation à l’eucharistie… Or force m’a été de constater par la suite la disparition quasi totale de ce thème dans la prédication et la catéchèse. Devais-je donc le considérer dépassé?
En même temps, nos derniers Papes ont constaté une crise de motivation dans de nombreux milieux missionnaires catholiques. Lorsqu’il a appelé à une nouvelle évangélisation, Jean Paul II a dit bien sûr qu’elle devait trouver de « nouvelles formes » et de « nouvelles méthodes », en consonance avec la situation présente. Mais ce qu’il considérait comme premier, c’était la « nouvelle ardeur » qui doit soutenir les témoins du Christ. Dans cette perspective, il m’a semblé nécessaire de faire le point sur cette question du salut éternel des âmes. Au fond, le silence dont il fait l’objet n’est-il pas lié à la crise de motivation missionnaire actuelle? Ré-exprimer ce thème en intégrant les approfondissements théologiques de Vatican II ne serait-il pas une manière d’en sortir, et d’aider à la naissance de cette « nouvelle ardeur »?
A côté du « relativisme » vous réfutez la conception du « christianisme anonyme »: quel en est le danger?
Cette théorie a été soutenue par un grand théologien du XXème siècle, Karl Rahner, et fortement critiquée par d’autres grands théologiens comme Hans-Urs von Balthasar et Henri de Lubac. Elle soutient que le salut du Christ est offert partout et toujours à tout homme quelle que soit son appartenance religieuse, dans les plus grandes profondeurs de sa conscience, même s’il n’a pas les mots pour le dire. Ainsi, ceux qui y acquiescent par rectitude du coeur sont pour lui des chrétiens qui s’ignorent, des « chrétiens anonymes ».
Par là, Rahner cherchait à dépasser une difficulté. D’un côté, le Christ a donné sa vie pour le salut de tous les hommes. Il ne saurait donc être question que beaucoup soient exclus du salut du simple fait que sans aucune faute de leur part, ils n’auraient pas été rejoints par l’annonce de l’Evangile. Mais d’un autre côté, il faut bien constater que depuis 2.000 ans, seule une minorité a pu connaître explicitement le Christ et l’accueillir par la foi. Selon les statistiques mondiales actuelles, un tiers de l’humanité seulement est chrétienne. La question se pose donc vraiment: de quelle manière les autres peuvent-ils être sauvés eux aussi?
Dans sa tentative de réponse, la théorie dite du Christianisme anonyme conduit cependant à de grosses difficultés. En particulier, elle signifie que les missionnaires n’apporteraient pas le salut lui-même aux hommes qui l’ignorent: ils ne feraient que leur faire prendre conscience qu’ils étaient déjà sauvés sans le savoir. C’est déjà certes un grand bien. En ce sens, l’évangélisation reste utile, mais elle perd des enjeux d’éternité, et donc son caractère d’urgence absolue. On ne saurait donc nier qu’en privant l’évangélisation de ce qui depuis les origines était sa motivation centrale, cette théorie a alimenté la crise de la spiritualité missionnaire que l’on observe encore actuellement dans de larges secteurs de l’Eglise catholique.
Ce dont Rahner a du mal à rendre compte, c’est que le salut n’arrive pas aux hommes « partout et toujours », d’une manière globale et indifférenciée, mais dans une histoire concrète marquée par des événements. L’événement source, c’est la mort et la résurrection du Christ. De là procèdent tous les événements à travers lesquels de manière claire ou mystérieuse, l’homme est mis en situation d’accueillir le salut. On peut donc dire d’un côté que nul homme n’est privé de l’offre du salut, sous une forme ou sous une autre. Mais d’une part cette offre ne déploie toute sa lumière et sa puissance que lorsqu’elle consiste en l’annonce explicite du Christ. Et d’autre part, en matière d’événements concrets, toutes les initiatives chrétiennes ont leur importance, qu’elles soient de l’ordre de la prière, de l’exercice de la charité ou du témoignage. Toutes peuvent donc être à leur manière porteuses d’enjeux d’éternité pour les hommes qu’elles rejoignent.
« On ira tous au paradis », comme dit la chanson?
Jésus s’est toujours refusé à donner des statistiques des sauvés et des damnés. Il dit que tous sont appelés à la vie éternelle, mais que l’enfer est une possibilité réelle liée au fait toujours possible de se soustraire à l’offre du salut. Par là, il nous dit que Dieu prend vraiment au sérieux la liberté qu’il nous a donnée. C’est beaucoup plus grand, comme amour et comme respect de sa part à notre endroit, que si le salut était automatique.
Et le « Bouddhiste au coeur droit »?
La formule est lapidaire, mais elle peut cacher des situations spirituelles plus complexes que nous le croyons.