Irlande : Demande publique de pardon aux victimes d’abus

Réflexion de Mgr Diarmuid Martin, archevêque de Dublin, le 20 février

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 ROME, Vendredi 25 février 2011 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous la réflexion adressée aux victimes d’abus, le dimanche 20 février par l’archevêque de Dublin, Mgr Diarmuid Martin, lors d’une liturgie du repentir dans la pro-cathédrale Sainte-Marie (cf. archidiocèse de Dublin).

« Certains d’entre vous, dans votre douleur et votre écœurement, aurez rejeté l’Eglise que vous aimiez tant jadis ; mais, paradoxalement, votre abandon de cette Eglise a peut-être contribué à la purifier, en la défiant d’affronter la vérité, de dépasser le déni, de reconnaître le mal qui a été fait et la souffrance causée aux enfants, affirme-t-il. « Le premier pas vers une forme de guérison est de permettre à la vérité d’être révélée au grand jour. La vérité nous rend libres, mais pas de façon simpliste. La vérité fait mal. La vérité ne lave pas avec du prêchi-prêcha, mais avec un feu qui brûle, qui fait mal, un feu pénétrant ».

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Il y a des moments où le silence et l’écoute sont plus importants que les mots et les paroles.

Que pourrais-je vous dire, à vous qui êtes les victimes d’abus sexuels perpétrés par des prêtres de l’archidiocèse de Dublin, ou par des religieux ? Je ne serais ni honnête ni sincère si je vous disais que je sais ce que vous avez souffert. Je peux essayer de comprendre, mais cette souffrance est la vôtre. Vous seuls savez ce que signifie d’avoir été abusés, sexuellement ou d’une autre manière. Je peux essayer d’imaginer l’horreur d’être violenté quand on n’est qu’un enfant, sans défense, innocent. Je peux essayer d’imaginer comment cette violence a hanté votre vie jusqu’à aujourd’hui, et continuera peut-être, hélas, de le faire pour le restant de votre vie.

Je peux reconnaître l’humiliation que vous avez subie, l’atteinte à votre dignité et à votre amour-propre, la peur et l’angoisse, l’isolement et l’abandon que vous avez éprouvés. Je peux vous écouter me raconter vos cauchemars, vos frustrations et votre aspiration à une conclusion, qui peut-être n’arrivera jamais. Je peux imaginer votre colère lorsqu’on ne vous croyait pas et que vous pouviez voir d’autres enfants pris en charge tandis que vous restiez seuls.

Je peux essayer d’imaginer toutes ces expériences, mais je sais que c’est vous, et vous seuls, qui les avez connues. Je peux tout imaginer, mais ce que vous avez vécu doit être mille fois pire. Je peux exprimer mon chagrin, mon sentiment du mal qui vous a été fait. Je pense à votre souffrance, à chacun, de ne pas être entendu ni cru, ni réconforté ni soutenu.

Je peux me demander comment cela a pu se passer dans l’Eglise de Jésus-Christ où, comme nous l’avons entendu dans l’évangile, les enfants sont présentés comme des signes du royaume. Comment avons-nous pu ne pas vous voir dans votre souffrance et votre abandon ?

L’Eglise de Jésus-Christ dans cet archidiocèse de Dublin a été blessée par les péchés des auteurs de ces abus et par la réponse qui vous a été faite, pour laquelle nous avons tous une part de responsabilité.

Quelqu’un un jour m’a rappelé la différence qui existe entre s’excuser ou dire « je suis désolé, je regrette », et d’autre part demander pardon. Je peux heurter une personne dans la rue et lui dire que je suis « désolé». Une phrase qui peut être significative, ou une simple formule vide. Quand je dis que je regrette, cela dépend de moi. Mais quand je demande pardon, cela ne dépend plus de moi, je m’en remets aux autres. Vous seuls pouvez me pardonner ; seul Dieu peut me pardonner.

Moi, en tant qu’archevêque de Dublin et en tant que Diarmuid Martin, je reste en silence et je demande le pardon de Dieu et un premier pas vers le pardon de tous les survivants d’abus.

Il y a un temps pour le silence. Mais il y a aussi un autre silence : le silence qui peut signifier faire la sourde oreille, le silence qui est un manque de courage et de vérité.

Dans notre cathédrale aujourd’hui, il y a des hommes et femmes à qui nous tenons à exprimer notre immense gratitude, car ils ont eu le courage de ne pas se taire. Malgré ce qui leur en a coûté, ils ont eu le courage de parler publiquement, de parler, parler, parler, encore et encore, avec courage et détermination, bravant même l’incrédulité et le refus.

Toutes les victimes sont redevables à ceux qui ont eu le courage de parler, pour que l’on sache ce qui s’est passé et comment ils ont été traités. L’Eglise de Dublin et du monde entier, et chacun ici présent aujourd’hui, leur sont redevables. Certains d’entre vous, dans votre douleur et votre écœurement, aurez rejeté l’Eglise que vous aimiez tant jadis ; mais, paradoxalement, votre abandon de cette Eglise a peut-être contribué à la purifier, en la défiant d’affronter la vérité, de dépasser le déni, de reconnaître le mal qui a été fait et la souffrance causée aux enfants.

Le premier pas vers une forme de guérison est de permettre à la vérité d’être révélée au grand jour. La vérité nous rend libres, mais pas de façon simpliste. La vérité fait mal. La vérité ne lave pas avec du prêchi-prêcha, mais avec un feu qui brûle, qui fait mal, un feu pénétrant.

Encore une fois, l’Eglise dans cet archidiocèse vous remercie pour votre courage. En mon nom propre, je vous présente des excuses pour l’indifférence, voire les réactions blessantes et désobligeantes que vous avez pu rencontrer. Je vous appelle à continuer à parler. Il reste un long chemin à parcourir sur la voie de l’honnêteté avant de pouvoir vraiment mériter le pardon.

Il y a un troisième niveau de silence au milieu de nous, cet après-midi. C’est le silence de la croix. On m’a demandé qui devait présider cette liturgie. Ma réponse a été : ni un archevêque ni un cardinal, mais la Croix de Jésus-Christ. Nous nous sommes rassemblés devant la croix de Jésus qui préside et nous juge. C’est la Croix de Jésus qui juge de la sincérité de nos paroles et de nos cœurs.

Les derniers moments de la mort de Jésus ont été marqués par l’obscurité et le silence. Ce silence est brisé par les paroles de Jésus : il pardonne à ceux qui vont le tuer. Il adresse le pardon et une vie nouvelle à l’un des deux larrons crucifiés avec lui. Mais ce n’est pas un pardon bon marché. Un des larrons s’est moqué de Jésus ; il n’a pas reconnu cet acte d’injustice qui a été perpétré. L’autre larron reconnaît sa propre faute, ouvrant ainsi la porte au pardon. Aucun de ceux qui ont eu une quelconque responsabilité dans ce qui s’est passé dans l’Eglise de Jésus-Christ dans cet archidiocèse ne saurait demander le pardon à ceux qui ont été abusés sans avoir d’abord reconnu l’injustice commise et sa propre défaillance dans ce qui s’est passé.

Le silence de Jésus sur la croix est de nouveau interrompu par sa prière d’abandon : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Cette prière, beaucoup de victimes d’abus ont dû se l’approprier tandis qu’elles avançaient dans la vie, tourmentées par cette souffrance que, pendant de nombreuses années, elles n’ont pu partager et qui les a hantées jour après jour, depuis leur enfance et jusqu’à l’âge adulte.

Mais Jésus fait face à cet abandon et pour finir s’en remet au Père, portant son amour désintéressé jusqu’au moment suprême de donner sa propre vie par amour. Cela a ouvert la porte à une vie nouvelle.

Nous nous rassemblons sous le signe de la croix qui nous juge mais qui, en définitive, nous libère.

Cet après-midi n’est qu’une première étape. Il serait facile pour nous tous de partir d’une certaine manière en se sentant bien, mais aussi avec le sentiment que maintenant « eh bien voilà  » « c’est fini  », « maintenant nous pouvons revenir à la normale ».

L’archidiocèse de Dublin ne sera jamais plus le même. Il portera toujours cette blessure en lui. L’archidiocèse de Dublin ne trouvera le repos que lorsque la dernière victime aura trouvé la paix et pourra se réjouir d’être pleinement la personne que Dieu, dans son projet, veut qu’elle soit.

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ZENIT Staff

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