Erythrée : Croyants en péril

Interview sur la persécution religieuse dans le pays

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 ROME, Dimanche 20 février 2011 (ZENIT.org) – Selon un professeur africain vivant à Cincinnati, la situation désastreuse de l’Erythrée ne retient guère l’attention internationale parce qu’il s’agit d’un petit pays, pauvre, avec une population relativement faible. Mais l’Erythrée, selon Habtu Ghebre-Ab, est l’un des pires endroits sur la planète où être croyant – musulman ou chrétien. 

Ghebre-Ab est né de parents érythréens et a été élevé en Ethiopie, où il a vécu jusqu’à 18 ans. Aujourd’hui aux Etats-Unis, il a fondé l’organisation à but non lucratif « In Chains for Christ » (Enchaîné pour le Christ). Il enseigne l’histoire à l’université de Cincinnati.

A l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », il révèle la dureté de la politique antireligieuse de l’Erythrée.

Q : De quand date votre première rencontre avec le Christ ?

Ghebre-Ab : J’ai connu le Christ quand j’étais enfant. Je suis né et j’ai été élevé dans la religion orthodoxe, par des parents très religieux, aussi mes premiers contacts avec le christianisme et l’Evangile remontent aux premières années de ma vie […] Vers l’âge de huit ou neuf ans, je suis revenu à la foi de mes pères, dans l’Eglise orthodoxe, que je sers aujourd’hui en tant que diacre.

Bien qu’il soit difficile d’établir des estimations fiables, pouvez-vous nous dire quelques mots du panorama religieux actuel en Erythrée ?

Le peuple érythréen est très religieux. La religion fait partie intégrante de la vie des gens, et le christianisme et l’islam ont coexisté librement pendant des siècles. Aujourd’hui, sur une population de 4 millions d’habitants, environ 50% sont chrétiens, et l’autre moitié appartient à l’islam. L’Eglise orthodoxe, bien entendu la confession chrétienne majoritaire en Erythrée et en Ethiopie, représente près de 95% de la population chrétienne.

Selon un rapport de Freedom House Report « l’Erythrée est un pays en état d’urgence perpétuel, assiégé par ses propres leader, avec une population qui se voit privée des libertés fondamentales d’expression, d’association, de presse et de religion ». Qu’est-ce que cela signifie pour les chrétiens aujourd’hui en Erythrée ?

Pour les chrétiens, cela signifie que les Eglises dites minoritaires, proscrites, depuis le début de mai 2002, sont traitées littéralement comme des criminelles, leurs membres et responsables jetés en prison, et il n’y a aucune liberté de culte en Erythrée. Au début des années 1990, on entrevoyait déjà les premiers signaux de la politique antireligieuse du gouvernement, envers les Témoins de Jéhovah et aussi la communauté musulmane en Erythrée. En ce qui concerne les Eglises orthodoxes, déjà en 1995 et 1996, les Bibles étaient brûlées. Cependant, ce n’est qu’en mai 2002 que le gouvernement érythréen a véritablement mis en place son implacable politique antireligieuse. 

Aujourd’hui il y a encore des confiscations de bibles au sein des forces armées, et les gens qui sont surpris en prière sont punis. Depuis 2005, l’Eglise orthodoxe érythréenne a été particulièrement visée ; son patriarche, sa Sainteté Abune Antonios, a été placé en résidence surveillée. Bien que le patriarche Antonios souffre du diabète et de problèmes de tension, il n’a pas été autorisé à recevoir le traitement médical dont il avait besoin, ni aucune visite. C’est ainsi que les autorités religieuses des Eglises orthodoxes, comme protestantes, ont fini en prison, certains depuis 2004.

Avant de parler de la persécution de la hiérarchie orthodoxe, j’aimerais savoir à quoi est due cette persécution de la part du gouvernement ?

Derrière cette politique antireligieuse, il y a bien entendu toute une idéologie marxiste que le gouvernement érythréen a adoptée durant la lutte armée pour l’indépendance. Si vous jetez un coup d’œil sur la littérature des années 1970, vous trouverez une liste des religions répertoriées, avec leurs noms, qui devaient être éliminées une fois acquise l’indépendance de l’Erythrée.

C’était donc planifié ?

C’était planifié dès le début  ; mais, après l’indépendance, une tendance s’est dessinée chez le peuple d’Erythrée à revenir à la foi. Leurs années de souffrances étaient terminées  ; l’Erythrée avait obtenu son indépendance, et beaucoup, beaucoup de jeunes devenaient plus religieux, plus spirituels. Je crois que le gouvernement, fondamentalement marxiste, a toujours vu d’un mauvais œil ces jeunes qui, indépendamment du niveau de politisation en cours, revenaient toujours à la foi.

Ils n’ont pas osé alors attaquer les chrétiens, et ont dû attendre jusqu’à récemment ?

Exactement. En ce qui concerne l’Eglise orthodoxe érythréenne, ils ont été jusqu’à la nationaliser, parce qu’elle est la plus grande et la plus ancienne institution religieuse. Selon moi, ils croyaient qu’en la nationalisant et en ayant le contrôle de l’ensemble de l’Eglise, ils contrôleraient par là même une large partie de la population de l’Erythrée.

Un peu comme l’Eglise patriotique chinoise, qui tente de créer une Eglise d’Etat ?

Exactement, ou mieux comme durant la révolution bolchévique en Union soviétique, où le parti bolchévique cherchait à contrôler les Eglises qui étaient autorisées à cette époque. Telle est la situation de l’Eglise chrétienne aujourd’hui en Erythrée  : on élimine les religions plus petites et on contrôle celles qui restent. Certains ont beaucoup fait pour résister.

[…]

Quel est le programme du gouvernement ?

J’aimerais pouvoir dire qu’ils ont un programme. Le monde semble complètement ébahi du fait que ce gouvernement ne semble pas connaître ses propres intérêts ; il ne semble pas savoir où il va, ses actions sont en grande partie tellement arbitraires. Ceux d’entre nous qui connaissent ce régime d’avant l’indépendance, savent au moins une chose : qu’il n’est pas favorable à la religion.

En mai 2002 une autre vague de persécutions plus cruelles encore a commencé contre les chrétiens. Qu’est-ce qui l’a provoquée et de quelle persécution parlons-nous ?

A cette époque, le gouvernement a convoqué les responsables des Eglises pour leur dire que leurs églises seraient fermées. Le prétexte utilisé par le gouvernement est qu’ils n’avaient pas présenté correctement la demande d’enregistrement. Il vous faut vous enregistrer pour devenir une religion reconnue officiellement ; c’était le prétexte, c’était le rideau de fumée. Certaines de ces églises ont cherché vraiment à répondre même aux requêtes les plus scandaleuses du gouvernement  : donner les noms des membres de l’Eglise, indiquer où ils travaillaient, ce qu’ils faisaient, leur situation financière, le fonctionnement interne de l’Eglise en quelque sorte  ; si on sait ce qui se passe à l’intérieur, ce sera plus facile de les éliminer. Le gouvernement cherche l’élimination progressive de la foi en général en Erythrée, et l’évolution de ces dernières années le confirme amplement.

Quelle est la réponse de la part des chrétiens ? La clandestinité ? L’émigration ?

Les Eglises évangéliques, bien entendu, ont été les premières à passer dans la clandestinité, même si le gouvernement leur a rendu la vie impossible, les traquaient à travers leurs services secrets. Par conséquent, la seule chose qui leur restait à faire, était de fuir le pays. C’est ainsi que des milliers de jeunes, pas seulement croyants, fuient actuellement le pays et demandent l’asile politique dans d’autres pays. Il y a des camps de réfugiés dans le nord de l’Ethiopie ainsi qu’au Soudan, qui accueillent le nombre croissant de réfugiés qui fuient en masse l’Erythrée.

Malgré l’ordre de tirer à vue sur quiconque est pris en train de
passer la frontière de l’Erythrée ?

Précisément. Cela ne semble pas avoir influé sur le nombre, notamment des jeunes Erythréens qui fuient le pays.

[…]

Comment cela se passe avec les institutions et traditions officiellement reconnues : l’islam, l’Eglise catholique romaine, et l’Eglise orthodoxe  ? Comment le gouvernement s’y prend-il pour limiter l’activité religieuse de ces grandes traditions ?

Je ne prétends pas parler pour les musulmans, mais je peux dire qu’ils ont souffert, eux aussi, sous ce régime. A cet égard, le gouvernement érythréen se montre vraiment égalitaire quand il s’agit de persécution. Concernant les autres Eglises soi-disant reconnues, même si les médias indépendants ont été abolis en 2001, bien avant cette date les principaux organes de presse des organisations reconnues, c’est-à-dire les journaux de l’Eglise catholique, de l’Eglise orthodoxe et des autres organisations chrétiennes censées être reconnues, tous ces journaux ont dû cesser leurs activités, même avant la fermeture des médias laïcs indépendants. 

Une autre chose qu’exige le gouvernement, en particulier des Eglises orthodoxe et catholique, est que les prêtres d’un certain âge se présentent pour leur service militaire. J’applaudis l’éparchie catholique d’avoir adopté une position ferme à ce sujet, en déclarant qu’il n’était absolument pas question que leurs prêtres fassent le service militaire ; mais l’Eglise orthodoxe érythréenne, qui est contrôlée par une personne politique spécialement mandatée, n’a pas pu s’y opposer, et ses prêtres sont contraints aujourd’hui de s’enrôler dans l’armée.

Le Département d’Etat américain a inscrit l’Erythrée parmi les « pays particulièrement préoccupants ». Pourquoi n’en entendons-nous pas parler ? Pourquoi la communauté internationale est-elle muette sur la question ?

C’est une très bonne question. L’Erythrée est un très petit pays, avec une population de moins de 4 millions d’habitants (d’autres rapports parlent de 5,7 millions). Autant que je me souvienne, une grande partie de la population a fui. L’Erythrée a connu des vagues d’exode pour une raison ou une autre  ; mais, contrairement à beaucoup de ses voisins, ce pays n’a pas de pétrole, ni une grande population. De ce fait, alors que les souffrances d’autres pays autour de l’Erythrée bénéficient d’une large couverture médiatique, les Erythréens n’ont jamais reçu ce type de couverture, même du temps où ils luttaient pour leur indépendance contre l’Union soviétique. Aussi, tant que le pays sera considéré insignifiant par le reste du monde, je crois qu’il sera laissé de côté.

Que pouvons-nous faire ?

D’abord et avant tout, je dirais que nous devons prier pour le peuple érythréen ; mais je dirais aussi que toutes les personnes croyantes devraient contacter leurs représentants élus pour s’assurer que les souffrances du peuple d’Erythrée reçoivent toute l’attention voulue.

Comme je l’ai dit, ce sont actuellement des dizaines de milliers de jeunes qui quittent le pays. Ils souffrent terriblement. Ces réfugiés qui sont dans les camps au nord de l’Ethiopie et au Soudan, devraient se voir accorder les droits de réfugiés et le droit d’asile dans ces pays. Un rapport récent fait état du grand nombre d’Erythréens qui se noient dans la Méditerranée en tentant de passer de la Libye en Italie ou à Malte, et beaucoup de ces pays les rapatrient. En Egypte, on compte actuellement des centaines de réfugiés, sans aucune reconnaissance ni aide de personne.

Qu’arrive-t-il à ceux qui sont rapatriés ?

Les récits de ceux qui ont fui une deuxième fois après leur rapatriement … le type de torture est inimaginable. Le gouvernement a tenté de faire bonne impression en déclarant qu’il prendrait soin d’eux. Cependant, les récits révèlent une réalité bien différente ; ils ont subi des tortures effroyables et, à ce jour, personne ne sait où ils sont.

Quelles sont les restrictions imposées aux Eglises reconnues, en ce qui concerne les publications et les permis de construire ?

Les Eglises reconnues ne peuvent plus opérer comme elles l’ont toujours fait. Les permis de construire ou autres sont devenus quelque chose d’inimaginable ; ils ont déjà du mal à maintenir les édifices existants. Par exemple, l’Eglise catholique dirigeait plusieurs bonnes écoles, mais durant le régime précédent, avant l’indépendance de l’Erythrée, les écoles ont été nationalisées. Je crois que la majorité des catholiques érythréens et des personnes de bonne volonté avait espéré que ces écoles seraient restituées à l’Eglise catholique  ; c’était ce que l’Eglise catholique attendait, mais elle attend toujours…

[…]

J’ai lu que plus de 3 200 chrétiens sont actuellement en prison en raison de leurs diverses activités religieuses. Quel est le statut de ces chrétiens ?

Personne ne sait. En fait, nous disons 3 200, parce qu’il s’agit d’une estimation fournie par le département d’Etat américain. Mon estimation personnelle est supérieure, car chaque camp militaire possède son propre centre de détention. Il existe des prisons non officielles où ont été placés en détention des gens, sans inculpation ni jugement devant un tribunal légalement constitué. Aussi nous pouvons au mieux évaluer le nombre de personnes détenues en prison. En comptant les prisonniers de conscience, on arrive à bien plus de 3 200 et, si on y ajoute les chrétiens, le chiffre est encore beaucoup plus élevé. Je tiens à le dire : beaucoup de gens sont morts en prison pour leur foi.

Comment sont ces prisons ?

Ces prisons, conçues pour punir, sont sadiques. Selon certains rapports, des personnes ont été emprisonnées dans des cellules souterraines, sans voir la lumière pendant des années. Elles ont été sous-alimentées. Elles ont été enfermées dans des conteneurs en métal  : avec la chaleur qui règne dans cette région du monde, et le froid la nuit, vous imaginez dans des containers… Si le gouvernement d’Erythrée autorisait les organisations humanitaires internationales ou la Croix-Rouge à visiter ces centres de détention, le monde pourrait constater la dureté des conditions carcérales en Erythrée. Mais personne n’a pu les voir.

Gardez-vous espoir ?

J’ai de l’espoir. Le peuple érythréen est plein de ressources. Ils ne vont pas tolérer longtemps encore cette situation d’injustice. Ils ont payé cher leur liberté. J’ai perdu deux frères et 12 membres de ma famille dans la guerre d’indépendance de l’Erythrée. On pourrait penser que mon histoire est unique, mais elle ne l’est pas  : chaque Erythréen vous raconterait une histoire semblable. Le peuple érythréen n’a pas fait tous ces sacrifices et subi toutes ces indignités pour se voir dénier les droits pour lesquels il a combattu et qu’il mérite.

Propos recueillis par Mark Riedermann pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse
www.aide-eglise-en-detresse.ch

Traduit de l’anglais par E. de Lavigne

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ZENIT Staff

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