L’Eglise d’Afrique est-elle l’avenir du catholicisme ?

Entretien avec l’ancien supérieur-général des Missions africaines

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ROME, Dimanche 13 décembre 2011 (ZENIT.org) – Le continent africain a souvent été appelé le continent oublié. Toutefois, avec les visites des papes Jean-Paul II et Benoît XVI, l’Afrique s’est révélée aux fidèles comme abritant l’une des populations catholiques dont la croissance est la plus rapide au monde.

Pour la Société des missions africaines (SMA), l’Afrique est loin d’être tombée dans l’oubli. Cette organisation est présente sur le continent africain depuis plus de 150 ans.

Pour en savoir plus sur ces missionnaires et leur travail en Afrique, l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » a interviewé Mgr Kieran O’Reilly. 

Mgr O’Reilly a été consacré évêque de Killaloe, en Irlande, en août dernier ; avant cette nomination, il a été près de 10 ans supérieur général de la Société des missions africaines. 

Q : L’Afrique a connu une explosion du catholicisme, passant de 1,2 million de fidèles en 1900 à plus de 140 millions aujourd’hui. A quoi attribuez-vous cette explosion de foi en Afrique ? 

Mgr O’Reilly : Comme diraient beaucoup de mes amis évêques en Afrique, « c’est avant tout une bénédiction de Dieu et une grande grâce » de voir le nombre de baptêmes, d’adultes comme de jeunes, de voir le nombre de personnes qui s’approchent des autres sacrements. 

Mais je pense que la réalité principale de l’Afrique est que, depuis son indépendance il y a entre 40 et 50 ans, nous avons assisté à un énorme développement de l’urbanisation dans ce pays. Avec la croissance des villes, beaucoup ont quitté les zones rurales pour se retrouver dans des villes, qui leur sont en grande partie inconnues, jusqu’à pouvoir intégrer les communautés déjà présentes. Très souvent, ces communautés maintiennent des liens avec les Eglises, ce qui explique que les gens déplacés des zones rurales intègrent immédiatement les structures de la vie de l’Eglise dans les zones urbaines. 

Et sans doute le font-ils parce qu’il s’agit d’une réalité qu’ils connaissent dans cet environnement auquel ils ne sont pas du tout habitués

Oui, mais il existe aussi en Afrique un sens très fort des liens unissant les villages et les villageois qui sont déjà établis dans les villes. Les contacts sont immédiats. Vous vous déplacez peut-être géographiquement, mais pour vous retrouver avec des gens de votre région et de même origine.

Le travail missionnaire a-t-il changé à cause de l’urbanisation ? 

Si je parle pour nous, pour notre institution missionnaire – puisque l’une de nos principales œuvres est l’évangélisation – ce travail a changé. Il évolue constamment en fonction de la réalité du nombre de personnes à qui nous avons à faire aujourd’hui. Et si on parle de chiffres, ceux-ci correspondent à la croissance démographique, considérable surtout dans l’Afrique sub-saharienne au cours des 30 dernières années et qui continuera de l’être : bonne santé, eau potable, autant de facteurs qui ont contribué à cette croissance. La réalité de l’expansion de l’Eglise est étroitement liée à la croissance de l’Afrique. 

En effet, 90% de la population, dit-on, a moins de 24 ans. C’est donc un défi aussi pour l’Eglise. Comment envisagez-vous la pastorale des jeunes à présent ? 

C’est un défi énorme. Une des choses qui m’a frappé quand je me suis rendu dans les grandes villes comme Kinshasa, Lagos, Abidjan, Nairobi, ou autres villes d’Afrique, est le nombre incalculable de jeunes – surtout ceux des écoles secondaires – et ensuite le nombre de personnes diplômées de l’université, mais qui se trouvent sans travail. On assiste à un formidable mouvement chaque jour. Il suffit de se rendre à Lagos pour voir ces foules de gens et la difficulté même pour l’Etat de fournir les services de base pour une population dont la croissance est aussi rapide. 

L’infrastructure nécessaire est énorme. Donc pour nous en tant qu’Eglise, quand nous avons démarré, une des principales choses que nous avons faites a été de créer des écoles. Nous avons construit l’église et, tout de suite après, une école à côté – ou, comme cela arrive souvent dans les premières missions – l’église était l’école. Mais aujourd’hui, vu le grand nombre d’enfants qui doivent aller à l’école, l’Eglise n’est plus en mesure de le faire toute seule, et souvent l’Etat ne dispose pas des ressources suffisantes. Aussi nous devons apporter cette contribution spéciale parce que l’éducation est toujours et encore l’espoir. 

Quelle est la solution ? 

La solution est de ne pas perdre espoir. La solution est de s’engager. La solution est de continuer à travailler avec l’Eglise locale, travailler avec les groupes locaux, demander l’aide d’organisations comme l’Aide à l’Eglise en détresse, de généreux donateurs à l’étranger. Les gens pourraient dire : « Nous sommes fatigués de donner ». Non, on n’est jamais fatigué de donner ; c’est pour les enfants, pour leur avenir, c’est pour l’espérance. On ne peut jamais être fatigué de cela. Le défi est énorme, parce que la population continue de croître. 

En 2050, dit-on, trois pays africains se classeront parmi les dix plus grands pays catholiques du monde : l’Ouganda, le Congo et le Nigeria. L’Eglise en Afrique est-elle l’avenir du catholicisme ? 

C’est une question difficile. Je répondrais qu’une grande partie, mais pas tout, du catholicisme futur se trouve en Afrique et, par conséquent, il devrait y avoir, selon moi, une prise de conscience plus grande de la réalité africaine au sein de notre Eglise. Elle n’est pas très loin de Rome. Il suffit de traverser la Méditerranée, mais parfois cela peut paraître très loin. Ainsi est et sera la réalité démographique. Je pense donc qu’à tous les niveaux dans l’Eglise, il doit y avoir une réelle prise de conscience de ce fait et une planification dynamique en ce qui concerne cette réalité. 

Quelle est la force de la foi africaine ? 

Je pense que la force de la foi africaine vient des gens eux-mêmes, de la façon dont ils se sentent concernés par l’existence de Dieu, par la réalité de Jésus-Christ dans leur vie, et de la façon dont le christianisme est capable de puiser dans un riche contexte au sein de leurs cultures caractérisées par l’entraide, la générosité. Il y a un grand sens du partage – « ce qui est à nous appartient à tous » – alors que, peut-être, dans d’autres cultures nous sommes plus égocentriques. Là où cela est le plus visible, c’est à table. Il y a toujours de quoi manger pour tout le monde, ce n’est pas un problème, on mettra davantage de riz. Personne ne partira en ayant faim. Ils ont ce sens, si vous voulez, qui est le cœur de l’hospitalité et de l’accueil chrétiens. C’est très frappant quand vous parcourez l’Afrique. Il est toujours présent. 

Quelle est la faiblesse de la foi catholique ? 

Une de ses faiblesses est, je crois, de n’avoir pas su affronter assez vite certaines des réalités de l’environnement. 

Par exemple ? 

Un des phénomènes qui constituera toujours un problème est celui de la corruption. La corruption dans la société est une maladie terrible, qui provoque de terribles dommages à l’ensemble du tissu social. Des gens bien, qualifiés, ne réussissent pas à trouver du travail parce qu’ils ne donnent pas de dessous de table. Toute la structure du pouvoir peut être ainsi centrée sur des pratiques de corruption et de pots de vin. L’Eglise tente d’y remédier, mais c’est très difficile, parce que cette pratique est aujourd’hui tellement enracinée dans de nombreuses cultures et très souvent due, il faut le dire, aux dirigeants et aux étrangers, qui sont venus pour tirer profit de tout, notamment de l’extraction des ressources naturelles. Pour obtenir les meilleures conditions, ils n’hésitent pas à payer, et s’i
l n’y a pas de contrôles et de comptes dans le pays, tout s’écroule. 

Passons à un autre sujet : nous avons parlé jusqu’ici de la croissance du catholicisme, mais l’islam aussi a connu une croissance. Un Africain sur trois se considère musulman. Quel défi cela pose-t-il à l’Eglise catholique en Afrique ? 

Le plus grand défi est celui de réussir à travailler avec nos frères et sœurs qui vivent à la porte d’à côté. Notre église s’élève près d’une mosquée. Ils travaillent dans le même champ, prennent les mêmes bus. Par conséquent, une des choses les plus importantes est le respect mutuel. Ce respect doit être développé et s’accompagner d’une compréhension de notre part, et de leur part, des valeurs qui sont les nôtres et, ce faisant, on commence bien sûr à découvrir que nos valeurs sont communes, et qu’il existe une commune recherche de ce qui est bon et juste. 

Le risque est – et l’a toujours été en Afrique avec ces deux grandes religions que vous avez mentionnées – que les éléments extrémistes des deux côtés cherchent à les exploiter à des fins politiques, sociales ou économiques pour tenter de déstabiliser une région, un gouvernement ou un ministère. Mais, selon moi, un des faits les plus importants survenus au cours des 30 dernières années est la grande avancée dans le processus de rapprochement et comment nous travaillons ensemble aux différents niveaux du gouvernement. Je sais qu’au Nigeria, lors des récentes émeutes dans l’Etat de Bauchi, le chef de l’Eglise catholique et l’imam se sont rencontrés immédiatement pour s’entretenir des évènements et trouver une solution. Il y a donc, de façon certaine, un grand mouvement vers une meilleure entente et un plus grand respect des positions réciproques, et vers la prise en considération de leurs modes et de nos modes respectifs de vivre et de travailler ensemble. 

Le pape Benoît lui-même a évoqué avec force cette question du dialogue avec l’islam comme étant la solution à nombre des conflits qui semblent se déchaîner ? 

Effectivement. Malheureusement, beaucoup de ces conflits sont « instrumentalisés », comme on dit, au profit de quelques politiciens ou de quelques personnes  ; alors, tout le travail qui a été effectué sur le terrain est très rapidement réduit à néant, et il faut tout recommencer. Comme nous essayons de bâtir une société juste et que les valeurs de l’islam sur ce point sont les mêmes que les nôtres, nous y travaillons ensemble. 

Le christianisme comme l’islam ont incorporé de nombreuses croyances traditionnelles africaines. Peut-on parler ici de syncrétisme ? On observe aussi un renouveau de ces croyances traditionnelles. Qu’en pensez-vous ? 

C’est très intéressant. Il y a un renouveau, probablement en lien avec le Brésil et les divers cultes qui se sont développés dans ce pays. En lien aussi, je pense, avec les médias. Il existe un énorme marché de récits et de spectacles dans lesquels la sorcellerie a le beau rôle. Un phénomène aujourd’hui largement répandu en Afrique. Je le constate dans tout le pays. Il s’agit vraiment d’un énorme défi. A maints égards, cela peut venir d’une situation de grande pauvreté et chômage. Même les meilleures personnes, dans l’intérêt de leurs enfants, chercheront dans n’importe quelle direction. Ils iront n’importe où si leur enfant est malade. Qui ne le ferait ? 

Par conséquent, la réponse, une fois encore, doit être l’éducation, une compréhension correcte de ce que l’Eglise catholique fait. C’est quelque chose dont nous sommes conscients  : une formation approfondie de nos ministres, religieux et laïcs, sur les aspects de cette question. Et cette situation ne devrait pas nous ramener en arrière au temps où régnait la peur et où ces forces exerçaient un pouvoir démesuré sur la vie des personnes. Il ne doit pas en être ainsi. Ce risque est toujours présent dans les sociétés où dominent la pauvreté, la misère, le chômage. 

Dans le document « Ecclesiae in Africa », Jean-Paul II affirme que l’heure de l’Afrique a sonné. Le croyez-vous ? 

Oui, à certains égards. Au sein de l’Eglise, assurément l’heure est venue, à en juger par les statistiques que vous avez citées et le fait qu’elles devraient croître dans les 10, 20, 30 prochaines années. L’Afrique, malheureusement, avec le monde économique tel qu’il est – est de plus en plus marginalisée et exploitée dans une grande mesure uniquement pour ses ressources, comme on peut le voir avec ce que font les grandes puissances. Mais en ce qui concerne l’Eglise, je dirais que son heure est arrivée, et je crois que le pape Jean-Paul II avait compris que, dans l’avenir, l’Afrique sera un continent de plus en plus central – peut-être pas dominant, mais central pour la vie et la mission de l’Eglise. 

Comment cela changera-t-il l’Eglise universelle ? 

Pour le meilleur, je l’espère, parce que je suppose que la richesse de toutes nos églises, d’où qu’elles viennent, est la richesse de quelqu’un comme Paul qui a des racines quasi gréco-juives, les amène à Rome et introduit l’Evangile. C’est pourquoi, si nous pouvons inculturer intégralement l’Evangile en Afrique, l’Afrique redonnera à l’Eglise universelle une richesse que nous ne pouvons même pas imaginer. Et si nous pouvons voir le visage du Christ tel qu’il se manifeste dans leurs cultures, alors nous aurons une richesse que l’Esprit veut que nous ayons. 

Que vous a apporté l’Afrique ? 

Elle m’a donné le sens de la présence de l’esprit dans ses communautés. Les communautés que j’ai rencontrées sont les plus exaltantes et les plus humbles. Cette façon dont les gens peuvent s’entraider, partager sans compter. Ils se donneront avec la même générosité au service de l’Eglise. Ils sont incroyables. Ils aiment l’Eglise. 

Propos recueillis par Mark Riedermann pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse
www.aide-eglise-en-detresse.ch

Traduit de l’anglais par E. de Lavigne

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ZENIT Staff

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