Indonésie : Les Indonésiens s’interrogent sur les responsables des violences

Le président choqué par les attaques contre les chrétiens

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ROME, Vendredi 11 février 2011 (ZENIT.org) – Après les attaques de ces derniers jours, les Indonésiens s’interrogent sur les véritables responsables de l’augmentation des violences, rapporte aujorud’hui « Eglises d’Asie » (EDA), l’agence des Missions étrangères de Paris.

Après les attaques de ces derniers jours qui ont pris pour cible des communautés ahmadis et chrétiennes (1), des arrestations ont eu lieu et le chef de l’Etat s’est engagé publiquement à défendre la liberté religieuse. Toutefois, certains secteurs de la société civile, qui ne cachent pas leur inquiétude quant à la possibilité de maintenir l’harmonie entre les communautés religieuses, s’interrogent sur les responsables de ces accès de violence. Ils dénoncent le comportement de certains croyants, qui par leurs actes ou leurs déclarations attisent les tensions et estiment que le gouvernement, notamment le ministre des Affaires religieuses, doit répondre de la situation présente.

Le 8 février, dès l’annonce des attaques contre trois églises chrétiennes de la province de Java-Centre, le président Susilo Bambang Yudhoyono s’est déclaré choqué par la gravité des faits et a appelé à la défense de la liberté religieuse dans le pays. Critiqué dans la presse et les réseaux sociaux pour l’inaction des forces de l’ordre lors des attaques contre les Ahmadis et les chrétiens, le président en a rejeté la responsabilité sur les pouvoirs locaux. Il a ordonné à la police et à l’armée de se mobiliser contre les groupuscules radicaux qui mènent des actions violentes et des raids d’intimidation au nom de l’islam.

Le 11 février, la police faisait savoir que treize personnes avaient été arrêtées, cinq d’entre elles dans le cadre de l’enquête sur l’attaque qui a coûté la vie à trois Ahmadis le 6 février à Cikeusik (Java-Ouest), et huit autres en lien avec la profanation de trois églises le 8 février à Temanggung (Java-Centre) par une foule réclamant la peine de mort pour un chrétien jugé pour blasphème.

Concernant le déchaînement de violence contre les Ahmadis, des éditorialistes dans la presse indonésienne écrivent que les groupes islamiste violents, tel le Front des défenseurs de l’islam, ne sont pas les seuls responsables ; le pouvoir en place l’est aussi, notamment parce qu’en juin 2008, un décret, signé des trois ministres des Affaires religieuses, de l’Intérieur et de la Justice, a interdit tout prosélytisme aux Ahmadis (2). Ainsi que l’explique Ismail Hasani, chercheur à l’Institut Setara pour la paix et la démocratie, le nombre des attaques contre les Ahmadis n’a fait que croître depuis la publication de ce décret : 15 actions violentes contre les Ahmadis ont été recensées en 2008, 33 en 2009 et 50 en 2010. A chaque fois, souligne le chercheur, « le décret a été cité pour légitimer les attaques » et la responsabilité de l’actuel titulaire du portefeuille des Affaires religieuses, Suryadharma Ali, est pleinement engagée. « Je suis convaincu que les violences mises en œuvre contre les Ahmadis n’atteindraient pas ce niveau si le ministre des Affaires religieuses s’abstenait de provoquer l’opinion publique en réclamant l’interdiction pure et simple des Ahmadiyah », analyse-t-il.

L’attitude du gouvernement face aux manifestations de violence des islamistes a été aussi critiquée. Selon Lutfi Assyaukanie, co-fondateur du Réseau pour un islam libéral, « à la racine du problème, on trouve le gouvernement et les autorités religieuses. Nous formons une grande nation mais nous n’avons pas de grand leader. SBY (Susilo Bambang Yudhoyono) parle, parle, mais ne fait rien ». Quant aux directions des deux grandes organisations musulmanes de masse, la Nadhlatul Ulama et la Muhammadiyah, « elles sont si faibles et tellement politiques ! », dénonce-t-il, en ajoutant que le Conseil des oulémas d’Indonésie (MUI, Majelis Ulama Indonesia) est lui aussi responsable, notamment parce qu’en 2005, il a renouvelé une fatwa dénonçant les Ahmadis comme « hérétiques » (3).

Au sujet des attaques des églises chrétiennes à Temanggung, les sources ecclésiales locales indiquent que les violences étaient prévisibles et que les autorités n’ont rien fait pour les prévenir. L’évêque du lieu, Mgr Pujasumarta, souligne que Temanggung est une localité habituellement calme et que la foule de 1 500 islamistes venus pour l’annonce du verdit prononcé contre le chrétien Antonius Bawengan, accusé de blasphème, était très majoritairement composée d’éléments étrangers à la ville. Selon le P. Ignazio Ismartono, ancien coordinateur du Centre de crise et de réconciliation des évêques catholiques, c’est l’attitude des autorités qui est ici en cause. Une demande de réforme de la loi sur le blasphème, accusée d’être détournée par certains groupes pour exercer des violences sur d’autres communautés, avait été formulée par un comité conduit par l’ancien président de la République Abdurrahman Wahid, mais en février 2010, la Cour constitutionnelle avait rejeté la requête. Pour le P. Ismartono, les incidents de ces derniers jours montrent que « la loi sur le blasphème est utilisée comme une arme pour frapper les minorités telles que les Ahmadis et les chrétiens » (4). Une analyse partagée en filigrane par le chef de la police nationale, le général Timur Pradopo. Le 9 février, il a déclaré qu’avec l’aide de l’armée et des autorités locales, ses hommes allaient faire le maximum pour sécuriser les lieux de culte chrétiens à Java-Centre, mais il a ajouté qu’un vrai retour au calme nécessitait que « le problème soit d’abord résolu à la racine » (5).

Des responsables de l’Eglise catholique mettent aussi en lumière les risques induits par le comportement de certains chrétiens. A l’agence Fides (6), le P. Benny Susetyo, secrétaire exécutif de la Commission pour le dialogue interreligieux de la Conférence épiscopale indonésienne, indique que « la violence verbale » dont font preuve certains prédicateurs chrétiens fondamentalistes attise les tensions. « Il s’agit de prédicateurs protestants, souvent improvisés, de dénominations évangéliques ou pentecôtistes, qui n’ont aucun respect pour les autres religions. Leur prédication et leur langage sont typiques des sectes : ‘l’islam est le mal’, ‘convertissez-vous ou vous irez en enfer’. Cela provoque parmi la population fureur et haine qui explosent ensuite en violences antichrétiennes », explique-t-il. Ainsi, le chrétien à l’origine de l’émeute du 8 février à Temanggung était un ancien catholique devenu protestant, connu pour son aversion à la fois de l’Eglise catholique et de l’islam. Il avait été arrêté un an auparavant pour avoir distribué de la littérature tournant en ridicule des symboles parmi les plus sacrés de l’islam.

(1)           Voir dépêche diffusée par Eglises d’Asie le 9 février 2011

(2)           Au sujet du décret de 2008 concernant les Ahmadis, voir EDA 485, 487. Le décret, qui a mécontenté à la fois les défenseurs des libertés et les islamistes, interdit notamment à la communauté des Ahmadis « de diffuser des interprétations et de se livrer à des activités qui dévient des principaux enseignements de l’islam ».

Fondé en 1889 à Qadian, au Pendjab (dans l’actuel Pakistan) par Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908), le mouvement Ahmadi est considéré comme une secte déviante de l’islam par les musulmans orthodoxes. Au Pakistan ou au Bangladesh, ils font l’objet de brimades ou de persécutions ouvertes (voir EDA 218, 265, 296, 329, 407). Les Ahmadiyas (ou Ahmadiyah, Ahmadi) tiennent leur fondateur pour le mahdi, celui que certains musulmans attendent et qui apparaîtra à la fin des temps. Présent en Indonésie depuis 1925, le mouvement y est divisé en deux branches : le Jamaah Ahmadiyah Indonesia (JAI), connu aussi sous le nom d’Ahmadiyah Qodiyani, et
le Mouvement indonésien des Ahmadiyah (GAI), également désigné sous le vocable Ahmadiyah Lahore. Pour le JAI, Mirza Ghulam Ahmad est le dernier prophète après Mahomet ; pour le GAI, Mirza Ghulam est seulement un réformateur de l’islam. Le nombre des Ahmadis indonésiens est estimé aujourd’hui entre 200 000 et 500 000.

(3)           Voir EDA 426

(4)           Fides, 8 février 2011.

(5)           Jakarta Post, 9 février 2011.

(6)           Fides, 9 février 2011.

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ZENIT Staff

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