ROME, Lundi 28 septembre 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte des questions que les journalistes ont adressées à Benoît XVI, à travers le P. Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, dans l’avion qui les conduisait de Rome à Prague pour le 13e voyage apostolique hors de l’Italie de Benoît XVI, ainsi que les réponses du pape.
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Père Lombardi : Votre Sainteté, nous sommes très reconnaissants que cette fois-ci également, vous ayez voulu nous accorder quelques minutes et répondre aux questions que nous avons élaborées en préparation à ce voyage, et d’avoir ainsi également l’occasion de vous souhaiter un bon voyage.
Q : Comme vous l’avez dit au cours de l’Angelus dimanche dernier, la République tchèque se trouve, non seulement sur le plan géographique, mais également historique, au cœur de l’Europe. Voulez-vous nous expliquer plus en détails cette place « historique » et nous dire dans quelles mesures et pourquoi vous pensez que cette visite peut être significative pour le continent dans son ensemble, dans son parcours culturel et éventuellement également politique, de construction de l’Union européenne ?
Benoît XVI : Pendant tous les siècles, la République tchèque, le territoire de la République tchèque, a été un lieu de rencontre des cultures. Commençons par le IXe siècle : d’une part, en Moravie, nous avons la grande mission des frères Cyrille et Méthode, qui de Byzance, ont apporté la culture byzantine, mais ont également créé une culture slave, avec les caractères cyrilliques et une liturgie en langue slave ; d’autre part, en Bohème, ce sont les diocèses limitrophes de Ratisbonne et de Passau qui ont apporté l’Evangile en langue latine, et, dans le lien avec la culture romano-latine, se rencontrent ainsi les deux cultures. Chaque rencontre est difficile, mais également féconde. Cela pourrait facilement se démontrer par cet exemple. Je fais un saut en avant : au XIVe siècle, c’est Charles IV qui crée ici, à Prague, la première Université d’Europe centrale. L’Université est en soi un lieu de rencontre de cultures ; dans ce cas, elle devient en outre un lieu de rencontre entre cultures slave et germanophone. Comme au siècle et aux temps de la Réforme, précisément dans ce territoire, les rencontres et les oppositions deviennent décisives et fortes, nous le savons tous. Je fais à présent un saut dans notre époque actuelle. Au cours du siècle dernier, la République tchèque a souffert sous une dictature communiste particulièrement rigoureuse, mais elle a également connu une résistance de très haut niveau tant de la part des catholiques que des laïcs. Je pense aux textes de Václav Havel, du cardinal Vlk, à des personnalités comme le cardinal Tomášek, qui ont réellement donné à l’Europe un message de ce qu’est la liberté et de la façon dont nous devons vivre et travailler dans la liberté. Et je pense qu’à partir de cette rencontre de cultures au cours des siècles, et précisément à partir de cette dernière phase de réflexion et également de souffrance en raison d’un concept nouveau de liberté et de société libre, naissent pour nous de nombreux messages importants, qui peuvent et doivent être féconds pour la construction de l’Europe. Nous devons être très attentifs précisément au message de ce pays.
Q : Vingt ans se sont écoulés depuis la chute des régimes communistes en Europe de l’Est ; en visitant divers pays ayant survécu au communisme, Jean-Paul II les encourageait à utiliser avec responsabilité la liberté recouvrée. Quel est aujourd’hui votre message pour les peuples de l’Europe de l’Est dans cette nouvelle étape historique ?
Benoît XVI : Comme je l’ai dit, ces pays ont souffert particulièrement sous la dictature, mais dans la souffrance, ils ont également développé des concepts de liberté qui sont actuels et qui doivent à présent être ultérieurement élaborés et réalisés. Je pense, par exemple, à un texte de Václav Havel qui dit : « La dictature est fondée sur le mensonge et si le mensonge était dépassé, si personne ne mentait plus, et si la vérité venait à la lumière, il y aurait également la liberté ». Il a ainsi développé ce lien ente vérité et liberté, où la liberté n’est pas libertinage, arbitraire, mais liée et conditionnée par les grandes valeurs de la vérité et de l’amour et de la solidarité et du bien en général. Ainsi, je pense que ces concepts, ces idées mûries à l’époque de la dictature ne doivent pas être perdues ; nous devons à présent précisément y revenir ! Et dans la liberté parfois un peu vide et sans valeurs, il faut reconnaître à nouveau que liberté et valeur, liberté et bien, liberté et vérité vont de pair, sinon, on détruit également la liberté. Cela me semble être le message qui provient de ces pays et qui doit être actualisé en ce moment.
Q : Votre Sainteté, la République tchèque est un pays très sécularisé dans lequel l’Eglise catholique représente une minorité. Dans cette situation, comment l’Eglise peut-elle contribuer effectivement au bien commun du pays ?
Benoît XVI : Je dirais que normalement ce sont les minorités créatives qui déterminent l’avenir, et en ce sens l’Eglise catholique doit se sentir comme une minorité créative qui possède un héritage de valeurs qui ne sont pas des choses du passé, mais qui sont une réalité très vivante et actuelle. L’Eglise doit actualiser, être présente dans le débat public, dans notre lutte pour un concept véritable de liberté et de paix. Ainsi, elle peut apporter sa contribution dans différents domaines. Je dirais que le premier est précisément le dialogue intellectuel entre agnostiques et croyants. Tous les deux ont besoin de l’autre : l’agnostique ne peut pas être content de ne pas savoir si Dieu existe ou non, mais il doit être en quête et percevoir le grand héritage de la foi ; le catholique ne peut pas se contenter d’avoir la foi, mais il doit être à la recherche de Dieu, encore davantage, et dans le dialogue avec les autres ré-apprendre Dieu de manière plus profonde. C’est le premier niveau : le grand dialogue intellectuel, éthique et humain. Ensuite, dans le domaine éducatif, l’Eglise a beaucoup à faire et à donner, en ce qui concerne la formation. En Italie, nous parlons du problème de l’urgence éducative. C’est un problème commun à tout l’Occident : ici, l’Eglise doit de nouveau actualiser, concrétiser, ouvrir son grand héritage à l’avenir. Un troisième domaine est la « Caritas ». L’Eglise a toujours ce signe comme signe caractéristique de son identité : celui de venir en aide aux pauvres, d’être l’instrument de la charité. La Caritas dans la République tchèque accomplit beaucoup dans les différentes communautés, dans les situations de besoin, et elle offre également beaucoup à l’humanité qui souffre dans les divers continents, donnant ainsi un exemple de responsabilité envers les autres, de solidarité internationale, qui est également la condition de la paix.
Q : Votre Sainteté, votre dernière encyclique, « Caritas in veritate » a eu un large écho dans le monde. Comment évaluez-vous cet écho ? En êtes-vous satisfait ? Pensez-vous qu’effectivement la récente crise mondiale représente une occasion où l’humanité est plus prête à réfléchir sur l’importance des valeurs morales et spirituelles, pour affronter les grands problèmes de son avenir ? Et l’Eglise continuera-t-elle à offrir des orientations dans cette direction ?
Benoît XVI : Je suis très heureux de ce grand débat. C’était précisément le but : encourager et motiver un débat sur ces problèmes, ne pas laisser aller les choses telles qu’elles sont, mais trouver de nouveaux modèles pour une économie responsable, que ce soit dans chaque pays, ou pour la totalité de l’humanité unifiée. Il me s
emble réellement visible, aujourd’hui, que l’éthique n’est pas quelque chose d’extérieur à l’économie, qui pourrait fonctionner toute seule comme une technique, mais qu’elle est un principe intérieur de l’économie, qui ne fonctionne pas si elle ne tient pas compte des valeurs humaines de la solidarité, des responsabilités réciproques et si elle n’intègre pas l’éthique dans la construction de l’économie elle-même : c’est le grand défi de ce moment. J’espère avoir contribué à ce défi avec l’encyclique. Le débat en cours me semble encourageant. Nous voulons certainement continuer à répondre aux défis du moment et aider afin le sens de la responsabilité soit plus fort que la volonté du profit, que la responsabilité à l’égard des autres soit plus forte que l’égoïsme ; c’est dans ce sens que nous voulons contribuer à une économie humaine également à l’avenir.
Q : Et pour conclure une question un peu plus personnelle : au cours de l’été, vous avez eu votre petit accident au poignet. Le considérez-vous comme pleinement résolu ? Avez-vous pu reprendre pleinement votre activité et avez-vous pu également travailler à la deuxième partie de votre livre sur Jésus, comme vous le désiriez ?
Benoît XVI : Il n’est pas encore pleinement résolu, mais vous voyez que ma main droite fonctionne et que je peux faire l’essentiel : je peux manger et, surtout, je peux écrire. Ma pensée se développe surtout en écrivant ; c’est pourquoi cela a été vraiment pénible pour moi, une école de patience, de ne pas pouvoir écrire pendant six semaines. Toutefois, j’ai pu travailler, lire, faire d’autres choses et j’ai également un peu avancé mon livre. Mais j’ai encore beaucoup à faire. Je pense que, avec la bibliographie et tout ce qui suit encore, « Deo adiuvante », il pourrait être terminé au printemps prochain. Mais il s’agit d’une espérance !
P. Lombardi : Votre Sainteté, merci mille fois et encore une fois je vous présente mes meilleurs vœux pour ce voyage qui est bref, mais très intense et qui, comme vous nous l’avez expliqué, est également très significatif.
© Copyright 2009 – Libreria Editrice Vaticana
Traduit de l’italien par ZENIT