ROME, Dimanche 27 septembre 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte du discours que le pape Benoît XVI a prononcé le samedi 26 septembre, lors de sa rencontre avec les autorités politiques et civiles ainsi qu’avec le Corps diplomatique, qui s’est déroulée dans le palais présidentiel de Prague.
* * *
Excellences, Mesdames et Messieurs
Je suis heureux de l’opportunité qui m’est donnée de rencontrer, dans un cadre si remarquable, les autorités politiques et civiles de la République tchèque, ainsi que les membres du Corps diplomatique. Je remercie chaleureusement le Président Klaus pour les aimables mots d’accueil qu’il m’a adressé en votre nom. J’exprime aussi ma reconnaissance à l’Orchestre philharmonique tchèque pour la prestation musicale qui a ouvert notre rencontre, et qui a illustré de façon éloquente à la fois les racines de la culture tchèque et l’apport d’envergure que cette nation a offert à la culture européenne.
Ma visite pastorale en République tchèque coïncide avec le 20e anniversaire de la chute des régimes totalitaires de l’Europe centrale et de l’Est, et de la « Révolution de velours » qui a restauré la démocratie dans ce pays. L’euphorie qui s’est ensuivie s’est exprimée en termes de liberté. Deux décennies après les profonds changements politiques qui ont balayé ce continent, le processus de guérison et de reconstruction se poursuit, dans le contexte plus large de l’unification européenne et d’un monde toujours plus globalisé. Les aspirations des citoyens et les attentes placées dans les gouvernements appellent de nouveaux modèles de vie citoyenne et de solidarité entre les nations et les peuples sans lesquels l’avenir si longtemps désiré de justice, de paix et de prospérité restera illusoire. Ces aspirations continuent à évoluer. Aujourd’hui, tout particulièrement chez les jeunes, la question de la nature de la liberté qui a été gagnée refait surface également. Dans quel but cette liberté est-elle exercée ? Quelles sont ses véritables critères d’authenticité ?
Chaque génération a le devoir de s’engager à nouveau dans la difficile tâche d’ordonner de façon juste les affaires humaines, cherchant à comprendre le juste usage de la liberté humaine (cf. Spe Salvi, n.25). Alors que le devoir de renforcer « les structures de liberté » s’avère vital, ce n’est pourtant pas suffisant : les aspirations humaines s’élèvent au-delà du quant-à-soi, au-delà de ce qu’aucune autorité politique ou économique peut offrir, vers une espérance rayonnante (cf. ibid., n.35) qui a son origine au-delà de nous-mêmes même si nous la rencontrons en nous, en tant que vérité, beauté et bonté. La liberté est en quête d’un but : cela requiert une conviction. La vraie liberté présuppose la recherche de la vérité – du vrai bien – et, de là, trouve précisément son accomplissement en connaissant et en faisant ce qui est opportun et juste. Aristote définit le bien comme « ce vers quoi toute chose tend » et il poursuit en suggérant que « s’il est bon qu’un seul homme atteigne sa fin, il est plus excellent et plus divin que l’atteigne une nation ou les États-cités » (Éthique à Nicomaque, 1 ; cf. Caritas in Veritate, n. 2). En effet, la haute responsabilité d’éveiller la réceptivité à la vérité et à la bonté incombe à tous les responsables – religieux, politique et culturel, chacun dans son domaine. Conjointement, nous devons nous engager dans la lutte pour la liberté et la recherche de la vérité, qui soit vont ensemble main dans la main, soit périssent ensemble misérablement (cf. Fides et Ratio, n. 90).
Pour les chrétiens, la vérité a un nom : Dieu. Et la bonté a son visage : Jésus Christ. Depuis le temps des saints Cyrille et Méthode et des premiers missionnaires, la foi des chrétiens a, dans les faits, joué un rôle décisif dans la formation de l’héritage spirituel et culturel de ce pays. Cela doit être encore le cas pour le présent et dans le futur. Le riche patrimoine de valeurs spirituelles et culturelles, chacune trouvant son expression dans l’autre, n’a pas seulement forgé l’identité nationale, mais lui a aussi fourni la vision nécessaire pour exercer un rôle de cohésion au cœur de l’Europe. Pendant des siècles, ce territoire a été un lieu de rencontre entre différents peuples, traditions et cultures. Comme nous en avons tous conscience, il a connu dans son histoire des chapitres douloureux, et il porte les cicatrices d’événements tragiques nés de l’incompréhension, de la guerre et de la persécution. Mais il est aussi vrai, que ses racines chrétiennes ont alimenté un remarquable esprit de pardon, de réconciliation et de coopération qui a rendu capable le peuple de cette terre de trouver la liberté et d’inaugurer un nouveau commencement, une nouvelle synthèse, un renouveau d’espérance. N’est-ce pas de cet esprit dont l’Europe contemporaine a besoin ?
L’Europe est plus qu’un continent. C’est une maison ! Et la liberté trouve son sens le plus profond dans une patrie spirituelle. Avec un respect entier pour la distinction entre le domaine politique et celui de la religion – qui garantit la liberté des citoyens d’exprimer leur croyance religieuse et de vivre conformité avec elle – je souhaite souligner le rôle irremplaçable du Christianisme pour la formation de la conscience de chaque génération et la promotion d’un consensus éthique de base qui est utile à toute personne qui appelle ce continent « ma maison » ! Dans cet esprit, je souhaite reconnaître la voix de ceux qui aujourd’hui, à travers ce pays et ce continent, cherchent à vivre, dans la vie publique, leur foi de façon aussi déterminée que sereine, dans l’attente que les normes sociales soient informées par le désir de vivre dans la vérité qui nous rend libres (cf. Caritas in Veritate, n. 9).
La fidélité aux peuples que vous servez et que vous représentez exige une fidélité à la vérité qui, seule, est la garantie de la liberté et du développement humain intégral (cf. ibid., n.9). Le courage d’affirmer la vérité sert, en fait, tous les membres de la société en jetant une lumière sur les avancées du progrès humain, en indiquant ses fondements éthiques et moraux, et en garantissant que la politique publique s’appuie sur le trésor de la sagesse humaine. La sensibilité à la vérité universelle ne devrait jamais être éclipsée par des intérêts particuliers, aussi importants qu’ils puissent être ; cela ne conduirait qu’à de nouveaux exemples d’éclatement ou de discrimination social dont ces mêmes intérêts ou des groupes de pression seraient disposés à profiter. En fait, loin de menacer l’acceptation des différences et la pluralité culturelle, la recherche de la vérité rend possible un consensus, elle permet au débat publique de demeurer rationnel, honnête et responsable, et elle assure une unité que les vagues notions d’intégration ne peuvent tout simplement pas offrir.
A la lumière de la Tradition de l’Église où la charité imprègne les domaines temporel, intellectuel, spirituel, je suis certain que les membres de la Communauté catholique, avec les membres des autres Églises, des communautés ecclésiales et des autres religions, vont continuer à poursuivre les objectifs de développement qui possèdent une valeur plus humaine et plus humanisante, à la fois dans ce pays et ailleurs (cf. ibid., n.9).
Chers amis, notre présence dans cette magnifique capitale, qui est souvent présentée comme le cœur de l’Europe, nous pousse à nous demander ce que signifie un « cœur ». Bien qu’il n’y ait pas de réponse simple à cette question, une piste peut certainement être trouvée dans les joyaux architecturaux qui ornent cette cité. La beauté frappante de ses églises, du château, des places et des ponts ne peuvent pas ne pas tourner nos esprits vers Dieu. Le
ur beauté exprime la foi ; ils sont une épiphanie de Dieu qui, justement, nous laisse méditer les glorieuses merveilles auxquelles nous, créatures, pouvons aspirer quand nous donnons forme aux aspirations esthétiques et noétiques de notre être le plus intime. Comme cela serait tragique si quelqu’un devait voir de telles beautés, tout en ignorant le mystère transcendant qu’elles indiquent. La rencontre créatrice entre la tradition classique et l’Évangile a donné naissance à une vision de l’homme et de la société attentive à la présence de Dieu parmi nous. En formant le patrimoine culturel de ce continent, celle-ci a montré que la raison ne finit pas avec ce que voient les yeux, mais qu’elle est plutôt tournée vers ce qui se trouve au-delà, ce à quoi nous aspirons profondément : l’Esprit, pourrions-nous dire, de la Création.
À la présente croisée des chemins de la civilisation, si souvent marquée par une division troublante de l’unité de la bonté, de la vérité et de la beauté et la difficulté conséquente à s’accorder sur les mêmes valeurs communes, tout effort en vue du progrès humain doit puiser son inspiration dans cet héritage vivant. L’Europe, dans la fidélité à ses racines chrétiennes, possède une vocation particulière à confirmer cette vision transcendante à travers ses initiatives pour servir le bien commun des personnes, des communautés et des nations. Il est particulièrement important que les jeunes européens soient encouragés par une formation qui respecte et nourrisse les capacités que Dieu leur a données de transcender les limites dans lesquelles on voudrait parfois les enfermer. Dans le sport, dans les arts et dans les études, les jeunes ont l’occasion d’exceller. N’est-il pas tout aussi vrai qu’en présence de grands idéaux, ceux-ci aspireront aussi à la vertu morale et à une vie de compassion et de bonté ? J’encourage chaleureusement les parents et les responsables de communauté qui attendent des autorités qu’elles promeuvent les valeurs qui intègrent les dimensions intellectuelle, humaine et spirituelle d’une éducation profonde digne des aspirations de notre jeunesse.
« Veritas vincit ». Telle est la devise inscrite sur le drapeau du Président de la République tchèque : en définitive, la vérité l’emporte, non par la force, mais par la persuasion, par l’héroïque témoignage d’hommes et de femmes dont les principes sont fermes, par le dialogue sincère qui dépasse l’intérêt propre pour considérer les exigences du bien commun. La soif de vérité, de beauté et de bonté, enracinée en tout homme et en toute femme par le Créateur, est destinée à les réunir dans leur quête de la justice, de la liberté et de la paix. L’histoire a amplement montré que la vérité peut être trahie et manipulée au service d’idéologies fausses, de l’oppression et de l’injustice. Mais les défis auxquels l’humanité fait face ne nous appellent-ils pas à regarder au-delà de ces dangers ? En définitive, qu’y a-t-il de plus inhumain, et de plus destructeur, que le cynisme qui voudrait dénier la grandeur de notre quête de vérité, et le relativisme qui corrode les vraies valeurs qui inspire la construction d’un monde uni et fraternel ? Au contraire, nous devons reprendre confiance dans la noblesse et l’ampleur de l’esprit humain, dans ses capacités à atteindre la vérité, et laisser cette confiance nous guider dans le patient travail de la politique et de la diplomatie.
Mesdames et messieurs, avec ces sentiments, je vous offre mes vœux priants afin que votre service soit inspiré et soutenu par la lumière de cette vérité qui est un reflet de l’éternelle Sagesse du Dieu créateur. Sur vous et sur vos familles, j’invoque cordialement l’abondance des grâces divines.
© Copyright 2009 – Libreria Editrice Vaticana