ROME, Jeudi 25 décembre 2008 (ZENIT.org) – Partis de Paris le 17 juin 2007, Edouard et Mathilde Cortès sont arrivés à Jérusalem le 3 février dernier, au terme d’une marche de 5788 kilomètres, vécue dans un esprit de dépouillement total, sans argent. Ils viennent de publier « Un chemin de promesses », aux Editions XO, dans lequel ils racontent leur aventure unique « à la rencontre des autres, d’eux-mêmes et de Dieu ».
« Nous voulions vivre une expérience d’abandon et de confiance, laissant résonner cette phrase de l’évangile : ‘Hors de moi, vous ne pouvez rien faire’ », expliquent-ils dans cet entretien à Zenit.
Zenit – Pouvez-vous nous rappeler pourquoi vous avez décidé de faire ce voyage. Qu’est-ce que vous en attendiez ?
E. et M. Cortès – Ce voyage était notre voyage de noces. C’était un projet de couple. C’est un rêve qu’on aurait pu avoir chacun de notre côté mais il était fortement lié à la construction de notre amour. Nous avions tous les deux quelques expériences d’aventure, de voyages et de rencontres. Edouard avait déjà réalisé des voyages d’aventure (Paris à Saigon en 2CV, traversée du Caucase à pied, expédition en Afghanistan, marche vers Saint Jacques de Compostelle). Mathilde avait eu des expériences humanitaires en Inde et en Afrique, dont deux ans au Cameroun avec Fidesco. Avec ce projet, nous avons concilié nos attentes et nos désirs personnels. Un voyage de noces unique et sur mesure. Nous voulions commencer notre vie de couple par une expérience forte à deux. Partir c’était surtout aller à la rencontre des autres et de nous-mêmes, à la rencontre de Dieu.
Ce rêve était aussi une sorte de défi : rallier Jérusalem depuis Paris, à pied et sans argent, avec un équipement rudimentaire, en ne comptant que sur l’hospitalité offerte en chemin et sur la Providence. Nous avons choisi de nous mettre volontairement dans une situation de dénuement pour lâcher nos sécurités, faire tomber les masques et nos préjugés sur nous-mêmes et sur le monde.
Nous voulions vivre une expérience d’abandon et de confiance, laissant résonner cette phrase de l’évangile : « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire ».
Zenit – Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?
E. et M. Cortès – Cette aventure est allée au-delà de nos espérances. Pour le meilleur… et pour le pire ! Nous cherchions à plonger dans nos cœurs et dans celui des hommes. Nous voulions une expérience radicale, nous l’avons eue ! Ce que ce voyage nous a appris, c’est à « être » avant d’« avoir ».
Quand on est très vulnérable, les peurs aussi sont exacerbées. Nous avons été confrontés à nos limites : nous voulions aller à la rencontre des autres, mais parfois la peur des autres, nos peurs intérieures nous ont bloqués. Ce voyage n’était pas un exploit sportif. Là où il a été extrême c’est par la plongée dans nos émotions et dans le cœur des hommes, aussi bien dans les phases de confiance que dans la peur. Mais notre force a été d’être à deux. Rarement le découragement est venu ensemble. Il y en avait toujours un pour porter l’autre. Les sceptiques chuchotaient à notre départ : « Ils vont se séparer avant d’arriver », « il fallait partir avant le mariage, pour voir si le couple résiste ». Ce qui nous a fait marcher c’est de nous être engagés l’un envers l’autre. Nous avions un projet commun, celui d’atteindre Jérusalem. Ce qui nous fait progresser, c’est que nous voulons nous aimer.
Nous partions à la rencontre des hommes. Nous avons rencontré des hommes extraordinaires, des hommes bons. Des personnes qui sans nous connaître nous ouvraient leur porte et leur cœur. Comme cette famille en France qui nous a laissé les clés de la maison alors qu’ils devaient partir. Comme ce diamantaire turc richissime ou cette bergère du Monténégro. Avec eux, une vraie rencontre qui se moquait des rapports marchands, des conventions et du donnant-donnant a été possible. Le meilleur de nos souvenirs reste celui de cette main tendue, de cette porte ouverte, parfois sans que nous n’ayons rien demandé.
Nous partions en quête de Dieu. Nous avons vu des signes concrets de Sa délicatesse et de Son amour dans nos vies. Comme quand nous avons perdu deux fois de suite notre unique couteau suisse qui nous servait à tout, même de stylo, et que par deux fois nous en avons retrouvé un. Jamais notre prière n’a été si crue, si nue, si simple. Elle a été celle du petit enfant qui sait qu’il peut compter sur son Père.
Zenit – Une telle expérience laisse-t-elle des « séquelles » ?
E. et M. Cortès – Nous avions peut-être une vision très idéalisée de l’homme, forgée par une bienveillance chrétienne, un certain « optimisme »… Du fait de notre très grande vulnérabilité de marcheurs, cette vision s’est effondrée. Nous avons aussi vu le mal dans le monde, des hommes qui nous paraissaient méchants : la face noire de l’humanité en quelque sorte. Par cette expérience parfois douloureuse, Dieu nous a « nettoyés » d’une certaine naïveté. Du coup, notre Espérance n’est plus un vague optimisme ou un espoir teinté de bons sentiments : c’est un regard de Foi qui affirme, parfois dans les larmes, que Dieu est à l’œuvre malgré l’échec et les ténèbres apparents. Maintenant, nous espérons en l’homme parce que nous espérons en Dieu.
Pas à pas, nous avons expérimenté que nous ne vivons pas seulement de pain, que nous ne sommes pas que des êtres de chair. Cette marche a réveillé en nous une musique intérieure, le chant de l’âme. Le plus beau de cette marche fut d’essayer d’avancer dans la confiance et l’abandon. En ce domaine, rien n’est jamais acquis. C’est chaque jour, à chaque instant qu’il faut renouveler sa confiance à son conjoint, aux autres, à Dieu. Cette marche était nos premiers pas, des petit pas car comme le disait sainte Thérèse « les petits font des petits pas ».
Zenit – Vous avez vécu quelque chose d’unique. Avez-vous l’impression que le monde comprend ce que vous avez vécu, qu’il est ouvert à votre témoignage, à votre expérience de Dieu ?
E. et M. Cortès – D’après les réactions autour de nous, d’abord dans nos familles et chez nos amis, il y a bien sûr des incompréhensions de notre démarche ou du moins un fort étonnement et questionnement. C’était pour nous un appel très personnel à expérimenter la radicalité de l’Evangile. Et en aucun cas, nous ne dirions que tout le monde devrait faire cette expérience. C’était un appel.
En nos cœurs, résonnaient ces phrases que nous voulions vivre: « Ne vous inquiétez donc pas en disant qu’allons-nous manger, qu’allons-nous boire, de quoi allons-nous nous vêtir ? Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord le Royaume et sa Justice et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » (Matthieu 6, 31-34).
Nous venions de nous engager tous les deux pour la vie avec le Seigneur, nous voulions dès nos premiers pas de couple marié marcher avec Lui dans la confiance. Peut-être est-ce aussi notre manque de foi, notre orgueil, qui nous a fait formuler ce vœu de pauvreté vagabonde, comme une sorte de défi lancé au Seigneur. Mais sur 6000 km, c’est Lui qui nous a mis au défi de l’abandon à Sa Providence.
La plupart des personnes autour de nous sont interpellées et ouvertes à notre témoignage. Il y a dans notre monde une soif de radicalité, une quête de sens, une soif de spiritualité qui offre une ouverture à toute réponse, même la plus étonnante. Sur un plan humain nous
avons ainsi poussé nos limites pour tenter de répondre à cette question : qui es-tu quand tu n’as plus tes sécurités matérielles ? Où est ta force ? Qui est ton roc ? Nous avons aimé vivre cette expérience qui fait que nous pouvons mieux distinguer ce que l’on est et ce que l’on a.
Zenit – Au début de votre pèlerinage vous avez mis une adresse e-mail à la disposition des lecteurs de Zenit qui souhaitaient vous confier des intentions de prière. Avez-vous reçu beaucoup de messages ?
E. et M. Cortès – Nous avons reçu des centaines de messages (400 environ) des lecteurs de Zenit. Pour nous encourager et aussi pour nous confier des intentions de prière. Elles ont nourri le chapelet que nous récitions en route. A chaque dizaine, une intention. Cela nous a permis de vivre de manière très forte la communion des saints. Nous savions que nous ne marchions pas seuls, ni en vain. Nous étions portés autant que nous essayions de porter aussi. Dieu nous porte tous.
Zenit – Cette expérience a-t-elle changé le court de votre vie ? Croyez-vous que sans ce voyage, vous prendriez les mêmes décisions aujourd’hui ?
E. et M. Cortès – Très concrètement, on ne se lasse pas de prendre une douche chaude, d’avoir un toit et un lit ! Nous avons le sentiment d’avoir vécu quelque chose de très précieux dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences et nous demeurons dans l’action de grâce. Au long de la route, nous avons tenté d’apprendre à grandir dans la confiance et l’abandon. Nous espérons que cela restera inscrit dans nos coeurs comme un réflexe de vie. Nous appréhendons l’avenir avec sérénité et paix, laissant vivre en nous le chapitre 6 de Matthieu : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur ».
Zenit – Votre famille s’agrandit… Avez-vous des projets pour l’avenir, « en famille » ?
E. et M. Cortès – Oui, nous attendons notre premier enfant pour début janvier. Une aventure qui durera plus de 8 mois ! Nous avons des projets toujours, la base de notre couple. Pourquoi pas un départ « en famille » ? Mais pour l’instant nous vivons la vie de « Nazareth », tout aussi exaltante que la vie de nomades.
Pour lire un extrait de leur livre « Un chemin de promesses » qui vient de paraître chez XO Editions, cf. http://my.wobook.com
Voir une vidéo ou leur écrire : http://www.enchemin.org/
Propos recueillis par Gisèle Plantec