Paul, le révolutionnaire (II)

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Entretien avec Mgr Penna, expert du Nouveau Testament à l’université du Latran

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ROME, Lundi 1er décembre 2008 (ZENIT.org) – Depuis le 29 juin 2008, manifestations, conférences, congrès et célébrations liturgiques se succèdent dans toutes les églises du monde pour commémorer les 2000 ans de la naissance de l’apôtre Paul, le plus grand missionnaire de tous les temps. 

ZENIT s’est entretenu avec Mgr Romano Penna, professeur à l’Université du Latran à Rome, l’un des plus grands experts de la vie et des œuvres de Paul de Tarse.

Nous publions ci-dessous la deuxième partie de cet entretien. Pour la première partie, cf. Zenit du 30 novembre.

ZENIT – Qu’a fait Paul après sa conversion sur la route de Damas ?

R. Penna – Il a passé trois ans de sa vie à méditer dans le désert, puis il est allé à Jérusalem pour rencontrer les apôtres et la communauté chrétienne, puis à Antioche, où il a reçu officiellement l’ordre de diffuser l’Evangile. Antioche de Syrie a été une ville très importante dans l’histoire du christianisme, car c’est dans cette ville que l’Evangile a été annoncé pour la première fois aux païens. Jésus n’a jamais prêché aux païens. Il a prêché uniquement aux juifs, de même que les apôtres au début. C’est à Antioche qu’a eu lieu le grand tournant. Et c’est de là que Paul est parti pour son premier voyage apostolique. 

ZENIT – On dit que, pendant ce premier voyage, il s’était disputé avec les autres apôtres … est-ce exact ? 

R. Penna – Il y avait eu des divergences. Paul avait une très forte personnalité. Et Jésus lui avait confié une mission spéciale, celle d’annoncer l’Evangile aux païens. C’était un projet impensable pour les juifs de l’époque. Et pour les apôtres aussi. Ils estimaient que Jésus était venu pour le peuple d’Israël. Alors que Paul voulait prêcher aux païens.

Par ailleurs, Paul se trouvait dans une position délicate. Les chrétiens le regardaient avec méfiance, se souvenant de l’acharnement qu’il avait mis à les persécuter ; les juifs le considéraient comme un traître, qui avait abandonné la religion des pères. Il a eu beaucoup de mal à faire accepter ses idées par les premiers chrétiens.  

Surtout sa conviction que le Christ était venu non pour les juifs mais pour tous. Et que les païens, pour devenir des disciples de Jésus ne devaient pas se plier à toutes les dispositions de la loi de Moïse. Même parmi les apôtres, tout le monde ne partageait pas ses idées. Alors il se mettait en colère et les appelaient « faux frères ». Il a même eu maille à partir avec saint Pierre qui, dans un premier temps avait adhéré à ses idées, mais s’était ensuite rétracté, Paul le réprimandant alors  publiquement. 

Quoiqu’il en soit, il a continué à croire aux intuitions qu’il avait eues durant sa mystérieuse rencontre avec le Christ sur la route de Damas. Il sentait très fort en lui l’urgence d’évangéliser les païens. Après son premier voyage, il en a entrepris deux autres, fondant beaucoup d’Eglises. Tous les apôtres ont fini par adhérer à ses intuitions, comprenant que Jésus était venu pour sauver tous les hommes et pas seulement les juifs. 

ZENIT – Quels sont les éléments-clefs de l’enseignement de saint Paul ? 

R. Penna – Dit en termes essentiels, la liberté de la loi se trouve au cœur de Paul et du courant paulinien. Paul enseigne que ce qui compte d’abord dans notre rapport avec Dieu, ce n’est pas la morale,  mais la grâce de Dieu lui-même, en Jésus Christ. Je deviens juste devant Dieu non pour ce que je fais « moi », mais pour ce que Dieu a fait pour moi en Jésus Christ. Et la foi est l’acceptation de ce don de grâce qui m’est offert.  

Cet enseignement de saint Paul s’oppose à la conception selon laquelle c’est « moi » qui construit ma justice, ma sainteté devant Dieu. Je la construis à travers ma morale, mon comportement, mon éthique et en observant les commandements. Cette conception est une position très répandue qui met en première place la morale. Mais, prise à la lettre, ce n’est pas la bonne.

Une phrase de Luther, que nous pouvons partager, explique bien ce concept : « Ce n’est pas en faisant des choses justes que nous devenons justes. Mais si nous sommes justes nous faisons les choses justes ». Le trait moral, opérationnel, de l’action, est donc secondaire par rapport à la dimension du fait d’ « être », qui le précède et qui est fondamental.  

« Etre en Jésus Christ » et recevoir la bienveillance de Dieu à travers Jésus Christ, est indépendant de ma moralité qui, justement parce que « je vis » « l’être en Jésus Christ », sera certainement en phase avec cette merveilleuse réalité.  Voilà le point essentiel. L’élément phare du courant paulinien. 

Le deuxième élément important de la pensée de Paul touche « l’identité chrétienne », qui est définie non seulement par des catégories « juridiques » telles que la justice, le juste, la justification, mais également par des catégories « mystiques » ou « participatives ». Autrement dit, le chrétien est quelqu’un qui est devant Jésus Christ avec foi, mais qui « participe » au Christ lui-même et vit « en » Jésus Christ.   

Entre le chrétien et Jésus se réalise une véritable participation interpersonnelle. Le chrétien « vit » en Jésus Christ et Jésus Christ vit dans le chrétien.  

Et cette manière d’être nous amène au troisième point fondamental de l’enseignement de saint Paul, la « dimension communautaire », ce que Paul lui-même appelle l’Eglise. Pour lui, le terme « Eglise » n’a pas une signification abstraite, mais concerne toujours une communauté concrète, qui se trouve dans un lieu déterminé. Il y a l’Eglise de Corinthe, celle de Thessalonique, de Philippes etc. Nous, aujourd’hui, nous donnons au mot « Eglise » un sens « catholique », c’est-à-dire universel. Mais la formation de ce concept est postérieure à Paul.  

Paul utilisait le mot Eglise pour désigner chaque communauté. Et il donnait à ce terme une connotation de « partage communautaire » extraordinaire. Le lieu de rencontre des chrétiens était la maison, la maison d’un particulier, où ils se rassemblaient pour le dîner, pour la lecture et l’explication des textes sacrés. Ainsi, la communauté ecclésiale avait un cadre domestique. Et c’est dans le contexte de cette manière de vivre que s’est formée et développée la définition de l’Eglise selon saint Paul : l’Eglise « corps du Christ ». Cet extraordinaire concept n’appartient qu’à Paul. On peut débattre ensuite du sens de la phrase selon laquelle « l’Eglise est le corps du Christ ». 

On se demande s’il veut dire par là que l’Eglise est un corps dans le sens social du terme, qui appartient au Christ, ou si c’est le Christ lui-même présent dans son corps, dans une forme de corps, dans une dimension non sociale, mais individuelle, mystique. Je pense que c’est plutôt le deuxième concept qui est le bon.  Et toujours dans cette optique de partage commun, l’Eglise pour Paul était totalement « égalitaire ». Il enseignait qu’en Jésus Christ il n’y avait plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. A l’intérieur de cette communauté il y avait aussi de véritables fonctions ministérielles, mais qui n’étaient pas des fonctions sacerdotales dans le sens hiérarchique qu’on a connu par la suite. Il y avait des présidents, des personnes chargées de guider, d’organiser l’assemblée et rien d’autre. 

Propos recueillis par Renzo Allegri 

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ZENIT Staff

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