« Ecclesia de eucharistia vivit »
La XIVe encyclique de Jean-Paul II est un beau cadeau, fait pour ce Jeudi saint, qui pourra nous aider à vivre le temps pascal comme celui d’une familiarité très douce avec Jésus présent dans l’eucharistie.
L’encyclique « Ecclesia de eucharistia vivit » fait partie, comme la lettre apostolique « Rosarium Virginis Mariae », de tout un groupe de documents qui se présentent comme des prolongements du Jubilé. On se souvient que dans sa lettre sur le nouveau millénaire, le Pape avait clairement voulu réorienter toute la prière de l’Eglise dans un sens plus contemplatif et plus
« christocentrique ». Dans la lettre sur le Rosaire, il avait clairement été dit que les catholiques devaient réinvestir leur héritage pour proposer comme un nouvel « art de la prière ». Avec la présente encyclique (et cette fois-ci il s’agit d’un document de plus de poids encore), il s’agit de réaffirmer la place de l’eucharistie dans la piété et d’abord dans la foi des chrétiens, secoués par trente ans de contestation, qui n’ont pas épargné la dévotion eucharistique.
Le texte se signale d’abord par une saveur de piété extraordinaire : les confidences fusent (la messe au Cénacle à Jérusalem en 2000, la première messe au Wawel à Cracovie, le 2 novembre 1946, les moments d’adoration devant Jésus exposé etc.) On sent que le vieux Pape, qui n’a rien à épargner, se livre tranquillement à l’évocation de son amour tendre pour Jésus présent dans l’hostie, sûr par là d’entraîner à sa suite une bonne partie de
l’Eglise. « L’Eucharistie est vraiment un coin du ciel qui s’ouvre sur la terre » (19). Il rappelle à cette occasion son usage constant depuis le début de son pontificat d’envoyer aux prêtres une lettre à l’approche du Jeudi saint pour les inviter à méditer avec lui à nouveau frais sur le don
incandescent du Christ dans l’eucharistie et le sacerdoce.
Pourtant ce long texte ne se limite pas à une évocation purement sentimentale, il se veut un exposé nourri qui aide à percevoir toutes les dimensions du mystère eucharistique, en rectifiant au passage les dérives qui n’ont pas manqué de se produire dans la mise en application du concile Vatican II. Car les mises en garde ne manquent pas dans ce texte si serein par ailleurs. Il fustige « l’abandon presque complet du culte de l’adoration eucharistique » en certains endroits (10), il rappelle que c’est au prêtre seul de prononcer les paroles sacrées de la Prière eucharistique « pendant que le peuple s’y associe dans la foi et en silence » (28), il insiste sur le fait que pour recevoir dignement le Corps du Christ « la foi ne suffit pas », qu’il y a un « passage obligé par le sacrement de la réconciliation », il envisage même les cas où le célébrant doit refuser la communion (37). Il redit « l’importance de la messe dominicale », qui est une « obligation » (41). Il écarte toute forme de concélébration avec les ministres de confessions séparées de l’Eglise (44) et rappelle les règles d’admission de non-catholiques à la communion eucharistique dans certains cas spéciaux, règles qu’il n’est pas possible d’enfreindre ou d’élargir (45-46). Mais surtout, il s’en prend dans le chapitre V (« dignité de la célébration eucharistique ») à toutes les formes de banalisation de l’eucharistie : « il n’est permis à personne de sous-évaluer le mystère remis entre nos mains » (52), le danger des « innovations non autorisées et souvent de mauvais goût » est clairement dénoncé.
Les mises en garde elles-mêmes ne sont là que pour faire ressortir la grandeur du mystère (mot très employé dans l’encyclique). Le Pape habite sans complexe toute la tradition de l’Eglise (qui inclut celle de l’Orient chrétien), il n’a pas peur de citer plusieurs fois les paroles de « l’Adoro te » attribué à saint Thomas d’Aquin, il assume sans hésiter l’héritage du concile de Trente jusque dans ses précisions de vocabulaire, il ne voit aucune contradiction entre l’insistance sur la dimension sacrificielle du sacerdoce catholique et les ouvertures de Vatican II sur le côté missionnaire du ministère presbytéral. Il convie toute la culture des contrées pétries de christianisme pour attester la grandeur de ce qui se déploie dans le mystère eucharistique : peinture, musique architecture peuvent ainsi contribuer à la mise en valeur de ce don infiniment précieux. Ce qui nous vaut le constat suivant : « l’Eglise n’a jamais cédé à la tentation de banaliser cette familiarité avec son Epoux, en oubliant qu’il est son Seigneur » (48).
Finalement, c’est la Vierge Marie qui représente le modèle achevé de l’âme « eucharistique ». Même si elle était absente de l’institution, elle représente le meilleur regard sur Jésus-hostie, regard fait d’une foi profonde, d’une adhésion sans limite à sa volonté de salut, portant la mémoire des hauts faits de Dieu et attendant son retour glorieux.
Père Michel GITTON
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