ROME, lundi 21 octobre 2002 (ZENIT.org) – Guy Marchessault, professeur Directeur du Programme de communications sociales à l’Université Saint-Paul, Ottawa, vient de publier un nouveau livre sur le rapport médias-foi : « Médias et foi chrétienne : deux univers à concilier » (Éditions Fides, 2002).
Il a accepté de répondre aux questions de Zenit.
ZENIT: La réconciliation médias/Église a-t-elle un prix?
GUY MARCHESSAULT: Je répondrais oui et non. Oui, elle a un prix, si l’on conçoit que la relation entre l’Église et la société signifie une perte de pouvoir sur le droit pour les hiérarchies de distribuer la parole publique: c’est dorénavant le privilège des médias, selon leurs intérêts propres (qui sont de plus en plus pécuniaires).
Ce qui ne correspond pas toujours aux intérêts de l’Église. On peut le regretter, mais c’est un fait.
Le défi, ici, m’apparaît plutôt d’un autre ordre. Les médias étant ce qu’ils sont, quoi faire pour y être présent comme foi chrétienne, alors qu’on sait pertinemment que la culture médiatique – qui survole maintenant toutes les cultures et sous-cultures du monde – fait ou défait des réputations, crée une visibilité essentielle à tout acteur social sérieux, est devenu l’agora de toutes les discussions et de tous les échanges d’idées?
Ne pas y être, c’est disparaître de la carte, disparaître de la culture, disparaître derrière les portes closes des presbytères ou des sacristies. La loi du « tel que perçu » est fondamentale en culture médiatique.
Mais, alors, comment y être? Le pape Jean-Paul II nous ouvre une porte lorsqu’il reconnaît aux médias la qualité d’être une nouvelle culture. Cela implique des mouvements d’acculturation et d’inculturation. C’est un processus » missionnaire » obligé face aux médias, auquel dorénavant personne n’échappera.
ZENIT: On comprend ici l’importance du langage…
GUY MARCHESSAULT: Exactement. Un des premiers gestes à faire pour s’acculturer à toute culture, c’est de se donner la peine d’en comprendre les langages persuasifs et symboliques.
C’est ce que je recommande de faire: apprendre quels sont les langages privilégiés par les médias, puis les comparer aux langages privilégiés depuis quelques siècles par l’Église.
Cette comparaison est instructive, en ce sens qu’elle permet de réaliser comment – pour lutter contre la Réforme, puis contre la Modernité – les efforts consentis vers l’éducation de la foi l’ont été dans une ligne d’apologétique, de démonstration, d’explications notionnelles (catéchismes, etc.). Alors qu’au même moment l’expression populaire de la foi en termes symboliques et artistiques s’enlisait ou perdait son sens pour le commun des mortels.
Les médias – qui sont par nature des milieux de communication « populaires » – exigent des langages appropriés en termes d’expression de foi. Pas de la doctrine théologique ou dogmatique, pas tellement des rituels, mais surtout des témoins, des témoignages personnels et collectifs.
ZENIT: Pourquoi encore cette peur ecclésiale face aux médias ?
GUY MARCHESSAULT: L’Église a eu peur – et certains de ses adeptes continuent à avoir peur – des médias, fondamentalement pour trois raisons:
1) La raison la plus souvent mentionnée tient à l’ »immoralité » des médias. On sait l’importance de la moralisation, surtout sexuelle, au cours des deux ou trois derniers siècles. Les médias sont venus appuyer une certaine liberté de moeurs qui a joué contre eux au niveau de la morale: tenues vestimentaires, salles obscures de cinéma, etc. Cela a toujours fait peur.
2) Une raison moins souvent évoquée a été rappelée plus haut: l’Église a perdu le droit de distribuer la parole publique, donc elle a perdu le monopole interprétatif du sens du monde, puisque sa vision du monde est devenue une approche parmi d’autres seulement; ce qui la met en concurrence avec toutes les idéologies imaginables, sur un même palier, dans la foire mondiale des visions du monde.
3) La troisième raison n’arrive que péniblement encore à se formuler: la nécessité d’une toute nouvelle inculturation de la foi pour aujourd’hui.
En perdant son monopole sur la parole symbolique publique, l’Église s’est soudain sentie sans outil pour dire la foi. À nouvelles cultures, vins nouveaux. Les merveilleux termes théologiques et catéchétiques reçus des générations antérieures ne servent soudain plus à rien. Or, on a défendu trop longtemps ces anciennes expressions venues de la culture humaniste chrétienne (originaires du Moyen âge).
Faire face à de nouvelles cultures, c’est une démarche toute neuve (en Occident, du moins, contrairement à l’expérience qui s’est vécue en pays dits « de mission »).
Redire en mots et gestes pertinents la foi pour les jeunes d’aujourd’hui, en Occident, constitue une gageure incroyablement difficile: les grands-parents utilisent des mots refusés par leurs propres enfants et totalement incompris par leurs petits-enfants; les parents n’osent même plus parler de foi à leurs enfants, ne disposant d’aucuns outils adéquats de langage avec lesquels ils se sentiraient à l’aise; les enfants sont élevés de plus en plus comme de purs « incroyants ».
De là leurs recherches effrénées de sens à la vie, à travers toutes leurs expériences corporelles: sexualité, drogues, sensations fortes, etc.
Ici, tout me semble encore à bâtir; un langage notionnel/symbolique neuf reste à créer, grâce auquel la foi trouvera pour aujourd’hui les mots pour se dire. Alors, les médias pourront relayer ces messages à saveur inédite.
ZENIT: Le conflit signera-t-il toujours le rapport entre foi et médias?
GUY MARCHESSAULT: Il y aura toujours conflit entre foi et médias. Mais, à mon avis, ce conflit ne s’exprime pas d’abord dans les situations auxquelles on pense spontanément: immoralité, traitement agressif des institutions religieuses, déformations des contenus d’interventions des autorités, etc.
Il réside bien plutôt dans ce que j’appellerais: la peur du dérangement prophétique. Qu’est-ce à dire? Les médias, pour faire plus d’argent, travaillent selon les procédés du marketing, ajustant sans cesse leurs produits aux attentes (conscientes ou inconscientes, vraies ou supposées) des publics qu’ils ciblent. Ainsi, ils sont amenés à ne jamais contredire leurs publics, sous peine de peine de perdre leur cote… et donc leurs revenus.
L’Église ne peut jouer sans danger ce jeu du marketing. D’abord parce qu’elle tient à certains principes. Mais, plus encore, parce qu’au nom même de la foi chrétienne elle se doit de remettre en question et de dénoncer les attitudes non acceptables, même si répandues. C’est le premier pas du prophétisme.
Le deuxième, c’est de nommer les forces vives qui peuvent apporter sens positif à la vie.
Et le troisième pas, c’est – à partir de ces dénonciations et de ces forces vives – de passer à une action de transformation.
Or, ce type de message, la plupart des gens ne sont pas prêts à le recevoir (y compris les chrétiens « tranquilles » dans leur foi). Donc, il passera plus difficilement dans les médias, même si les médias recherchent l’affrontement.
Quand les publics sont en dissonance, ils se désabonnent… ou changent de canal. Une présence contestatrice et prophétique de l’Église est à la fois source de surprise, mais aussi de crainte dans le public populaire, qui est celui des médias.
C’est pourquoi les rapports entre médias et foi demeureront toujours problématiques, d’une façon ou de l’autre.