Discours du patriarche Théoctiste au pape

Texte intégral

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CITE DU VATICAN, dimanche 13 octobre 2002 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le patriarche Théoctiste a prononcé lors de sa rencontre avec le pape Jean-Paul II, samedi dernier, dans la bibliothèque privée du Saint Père.

Sainteté,
Éminences,
«Les flots de l’abîme s’appellent l’un l’autre» (Ps 42 [41], 8); ainsi s’exprime le roi et poète David, en proclamant la sagesse divine, lui qui est comblé de la sagesse de l’Esprit Saint. Pénétrés de cette vérité et cherchant à la mettre en valeur, nous constatons que l’amour que Dieu a semé en nous, nous qui sommes ses ministres, produit l’amour; cela nous rapproche les uns des autres et nous dévoile le mystère de notre service et de notre croissance commune dans le Christ notre Seigneur. Nous avons également été comblés des richesses de cette source d’amour quand nous nous sommes rencontrés à Bucarest, et encore maintenant, entourés que nous sommes de nos collaborateurs dans le service quotidien de l’Église du Christ.

En puisant à cette même source d’amour, je vous exprime mes remerciements pour votre invitation qui m’offre l’occasion de vous partager nos préoccupations concernant le service permanent auquel l’Esprit Saint nous a appelés, alors même que nous sommes au début du troisième millénaire.
Sainteté,

La période du totalitarisme athée étant terminée, l’une des préoccupations principales de notre Église est de redécouvrir et de mettre en pratique la mission chrétienne dans la société actuelle, et spécialement la catéchèse des fidèles, par une éducation et une participation active et consciente à la vie liturgique et sociale de l’Église. Après la longue période de stricte limitation, de répression et de contrôle de chaque activité de profession de la foi chrétienne à l’extérieur des Églises et d’implication dans la vie sociale, entreprendre n’est pas chose facile. Mais, avec l’aide de Dieu, les efforts faits en cette période de renaissance ont commencé à produire des fruits.

L’Église est confrontée aujourd’hui à des problèmes nouveaux, en rapport avec ceux du passé, ce qui suppose de trouver de nouvelles formes de témoignage pour que le message de l’Évangile du Christ soit entendu, suivi et vécu dans le monde contemporain. Les valeurs morales chrétiennes traditionnelles doivent faire face à la promotion de pseudo-valeurs, souvent contraires à l’Évangile; l’indifférence religieuse et la tentative de chasser la foi religieuse de la sphère publique et de la transformer en une question privée et individuelle gagnent toujours plus de terrain; ce sont des phénomènes de dilution et de relativisation de la foi apostolique dans le Christ, qui est «le même hier, aujourd’hui et toujours» (He 13, 8), phénomènes qui deviennent de plus en plus présents dans la vie de l’homme moderne. La foi religieuse est, le plus souvent, remplacée par d’autres systèmes de croyance essentiellement syncrétistes, qui cherchent à satisfaire les besoins particuliers de certains individus ou groupes. Sur le plan social, le phénomène de la mondialisation se fait sentir d’une manière toujours plus aiguë, spécialement dans les pays libérés du joug communiste. Les valeurs qui nous définissent et qui ont démontré leur validité au long de notre histoire bimillénaire sont menacées ou soumises aux attaques et aux relativisations perfides. Dans ce contexte, le nombre de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté continue de grandir de manière alarmante. Plus encore que par le passé le peuple attend aujourd’hui que l’Église fasse aussi entendre sa voix sur ces questions et qu’elle fasse connaître au monde les valeurs de l’Évangile du Christ en les confrontant aux nouveaux défis du monde moderne.

Sur le plan missionnaire, nous sommes tous conscients que ces nouvelles réalités ne concernent pas une seule Église ou confession chrétienne, mais tous les chrétiens de manière égale. Par conséquent, si dans le passé l’accent mis sur l’aspect missionnaire reposait sur la promotion et la défense de l’identité confessionnelle, aujourd’hui le besoin d’un témoignage commun de tous les chrétiens apparaît avec plus d’évidence. Si les Églises ont été capables d’unir plus d’une fois leurs efforts pour survivre au cours de la période communiste, l’unité dans le témoignage de l’Évangile du Christ devient d’autant plus nécessaire aujourd’hui, afin qu’il y ait l’impact désiré sur la société et «que le monde croie» (Jn 17, 21). Par rapport à cela, notre Église est restée fidèle à l’ouverture œcuménique et à la collaboration entre chrétiens, visant la redécouverte de l’unité de tous les chrétiens.

Malheureusement, l’esprit contemporain marqué par la mondialisation et la compétition se manifeste aussi souvent dans les relations entre chrétiens. Sans tenir compte de l’existence des Églises locales qui, au moment des dures persécutions, ont maintenu vivante la flamme de la foi par des sacrifices, des groupes de prétendus évangélisateurs ont assailli nos fidèles, en considérant ces territoires comme des «vides» spirituels ou des «terres de mission» (terræ missionis), où l’Évangile n’avait pas été annoncé. Naturellement, de telles attitudes ont provoqué en nous beaucoup de frustration et de souffrance. L’espérance d’une aide de la part des Églises des pays libres en vue de donner une nouvelle vigueur missionnaire et de renforcer les Églises locales de ces territoires s’est transformée rapidement en désillusion, en confusion, en méfiance et en attitudes sporadiquement anti-œcuméniques. Les Églises historiques du lieu se sont vues confrontées à des tactiques de compétition déloyale, avec des structures ecclésiastiques parallèles, fondées même par certaines Églises dont on attendait l’aide fraternelle.

Malgré cette réalité douloureuse, l’Église orthodoxe roumaine est restée fidèle à la collaboration entre chrétiens et continue d’apporter sa contribution spécifique aux efforts du dialogue œcuménique bilatéral et multilatéral. Sur le plan local, depuis quelques années, se développent des projets de collaboration œcuménique, et nous sommes déterminés à les fortifier et à les multiplier dans l’avenir. Nous restons fidèles à l’ouverture œcuménique, parce que le témoignage commun des chrétiens n’est pas seulement une nécessité du moment, pour rendre l’Évangile vivant et agissant dans le monde d’aujourd’hui. Elle constitue aussi une vocation de tous les chrétiens, un commandement qui exprime la volonté du Christ, Tête de l’Église, «pour que tous soient un», sur le fondement de la profession de foi des Apôtres et du témoignage d’une nuée de saints tout au long de l’histoire (cf. He 12, 1). Pour réaliser cette vocation, nous avons à la fois le fondement scripturaire et traditionnel de l’Église orthodoxe, les décisions panorthodoxes prises au long des siècles, et les principes convergents énoncés dans les documents œcuméniques concernant le témoignage commun et dans la coopération entre chrétiens.

Je voudrais reprendre brièvement quelques principes que l’Église orthodoxe roumaine a établis comme une priorité dans la promotion de sa mission œcuménique.
Le témoignage rendu au Christ est substantiellement lié à l’appartenance commune au corps de l’Église et à l’identité du chrétien en tant que porteur de l’Esprit, temple de l’Esprit Saint. Le fait d’avoir part ensemble à la grâce de l’Esprit Saint et l’incorporation dans le Corps du Christ par les sacrements font du chrétien un «témoin» (cf. Ac 1, 8).

le symbole de foi de Nicée-Constantinople – synthèse de l’expression œcuménique de la foi chrétienne –, l’article sur l’Église: «je crois en l’É
glise une, sainte, catholique (sobornicească) et apostolique» est aussi important que les autres articles de foi du Credo. C’est pourquoi le travail en vue de réaliser la pleine unité de l’Église est une vocation et un devoir pour nous tous, ensemble, et pour chacun individuellement. Le témoignage commun authentiquement chrétien évite toute manifestation claire ou cachée de prosélytisme ainsi que toute compétition confessionnelle non loyale. Le prosélytisme est un contre-témoignage et doit être dénoncé comme tel en toute circonstance1. Les documents élaborés dans le cadre œcuménique sur le prosélytisme sont particulièrement éloquents; reste seulement à les mettre en pratique dans le champ des réalités d’aujourd’hui et dans un esprit pacifique.

La mission dans un contexte particulier revient à l’Église locale, en tant qu’elle est l’expression de la catholicité (sobornicităţii) de l’Église universelle. D’autres Églises venant d’autres lieux sont les bienvenues pour aider à l’activité missionnaire de l’Église, mais seulement à côté et en pleine coopération avec l’Église du lieu. Ce principe convergent adopté dans le contexte du dialogue œcuménique a un caractère encore plus contraignant pour les Églises historiques traditionnelles comme l’Église catholique romaine et les Églises orthodoxes, puisqu’il est également confirmé par les canons de l’Église indivise du premier millénaire. Le principe du «territoire canonique», issu non de désirs purement légalistes pour résoudre un problème historique temporaire mais d’un fondement profondément ecclésiologique, garde la même valeur et la même importance, encore aujourd’hui2.

La dénonciation du prosélytisme et de la compétition confessionnelle non loyale ne fait pas obstacle à la liberté religieuse et de conscience de la personne, telle qu’elle figure dans la «Déclaration universelle des Droits de l’Homme», mais au contraire elle l’affirme.
Le témoignage commun et les relations fraternelles entre chrétiens sont un véritable acte de kénose. Ceci implique des efforts pour guérir de manière réciproque les blessures du passé et pour établir des relations sur des bases nouvelles, des relations qui tiennent compte de l’époque dans laquelle nous vivons, et qui s’en tiennent seulement au dialogue sincère et ouvert entre personnes et communautés souhaitant entamer des relations œcuméniques nouvelles.

Sainteté,
Éminences,
En dépit de toutes les difficultés et de tous les problèmes auxquels nos Églises sont confrontées dans le monde contemporain, je voudrais conclure par une pensée positive et pleine d’espérance pour l’avenir. Autant notre Credo évangélique commun que les réalités d’aujourd’hui appellent nos Églises à entreprendre des efforts encore plus soutenus pour donner un témoignage commun dans le monde d’aujourd’hui. Les bases d’une telle coopération visant la réalisation d’une communion plus profonde existent. Il reste seulement aux uns et aux autres à s’efforcer de les mettre en pratique.
Nous prions Dieu, bon et bienveillant, pour que notre présence ici, comme représentants d’une Église et d’un peuple chrétien anciens, constitue un pas en avant dans l’accomplissement de cet impératif divin.
::____
1 Les documents élaborés sur ce thème dans le contexte des relations œcuméniques sont nombreux, documents qui sont restés pour notre Église de vrais points de repère pour la coopération œcuménique entre chrétiens. Voir les documents du Conseil œcuménique des Églises Témoignage chrétien, prosélytisme et liberté religieuse (New Delhi, 1961) et Vers un témoignage commun. Un appel à établir des relations responsables dans la mission et à renoncer au prosélytisme (Genève, 1997), ainsi que les documents élaborés par le Commission mixte de travail du Conseil œcuménique des Églises et de l’Église catholique: Témoignage commun et prosélytisme (1970); Témoignage commun (1982), et Le défi du prosélytisme et l’appel au témoignage commun (1995). Il faut aussi considérer avec une importance particulière la Déclaration commune de Balamand de 1993, rédigée par la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église orthodoxe et l’Église catholique.
2 Cf. Canon apostolique n. 35; canon n. 2 du 2e Synode œcuménique; canon n. 8 du 3e Synode œcuménique; canon n. 20 du 6e Synode œcuménique, etc…

[Texte original: Français]

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ZENIT Staff

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