CITE DU VATICAN, Mercredi 17 avril 2002 (ZENIT.org) – « « Abouna Boutros » est resté « Abouna Boutros ». Il n’a pas changé », affirme S. B. Pierre VIII Abdel Ahad, Patriarche Syrien Catholique d’Antioche, dans un discours prononcé au cours de sa visite fraternelle à S. S. le Patriarche Zakka Ier Iwas, Patriarche Syrien Orthodoxe d’Antioche, le 4 mars 2002, au Couvent Saint-Ephrem à Maaret El Nemaan (Syrie).
Un discours qui nous parvient aujourd´hui. Nous le publions comme témoignage de l´esprit œcuménique qui a marqué le pèlerinage de Jean-Paul II sur les pas de Saint Paul en mai 2001. « Les Syriens Catholiques ont été parmi les premiers à suivre le mouvement œcuménique », affirme le Patriarche catholique.
Il précise: « Ils ont réalisé l’union d’une partie du peuple syrien avec Rome dans les conditions, que Rome a acceptées, à savoir la conservation de notre patrimoine syrien très antique, la légitimation de nos Pères syriens docteurs et la reconnaissance de notre Eglise, comme église indépendante et comme Patriarcat d’Antioche indépendant et suis juris, sauf pour ce qui est du dogme et des mœurs ».
« Enfin, par cette visite, souligne-t-il, je veux encourager non seulement d’autres visites, mais aussi des rencontres à tous les niveaux, entre les clercs de nos deux Eglises Orthodoxe et Catholique ».
Il affirme aussi, dans ce même esprit: « Je laisse Dieu juger cette période de l’histoire, quant à moi, je ne condamne personne ».
– Discours du Patriarche Pierre VIII Abdel Ahad –
Sa Sainteté le Patriarche Zakka Ier IWAS
Très vénérable Patriarche Syrien d’Antioche,
Son Excellence Révérendissime Monseigneur Diego CAUSERO
Nonce Apostolique,
Très vénérables Frères,
Très révérends Prêtres et Religieux,
Mes Frères et Sœurs,
Il y a longtemps que je souhaitais effectuer cette visite, dont j’attends beaucoup de bien pour notre peuple syrien, dans ses deux branches orthodoxes et catholiques. Je n’ai pas trouvé de meilleure date, convenant à tous, que celle d’aujourd’hui, entre votre jeûne de Ninive et notre grand Carême.
Permettez-moi, Sainteté, de vous remercier de votre accueil si chaleureux, par lequel vous avez voulu exprimer – et avez exprimé – votre amour fraternel envers nous et nos vénérables frères évêques et prêtres, venus du Liban et de la Syrie pour participer à ma joie de vous rencontrer.
Merci du plus profond du cœur de votre accueil et de votre généreuse hospitalité.
Plusieurs raisons m’ont poussées à effectuer cette visite. Voici les plus importantes.
En premier lieu, je voulais vous exprimer mon amour et mon amitié sincère et fraternelle, qui n’a échappé à personne. Amour qui est à la base de tout acte spirituel et que le Christ a enseigné lorsqu’il a dit : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. A cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). Si nous formions des commissions ou nous échangions des lettres ou nous rendions visite, sans que nos actions ne soient pas accompagnées d’un amour sincère, réciproque et sans hypocrisie – selon l’enseignement de l’apôtre Paul -, tout serait vain, car l’amour est le fondement de la perfection, et l’amour ne recherche pas son propre intérêt mais celui des autres.
Moi-même, j’ai essayé de vivre cet amour partout où j’ai servi, comme prêtre à Bethléem et comme évêque à Jérusalem. Et le peuple, très sensible, en a eu la certitude, en de nombreuses occasions. Je me suis efforcé d’être tout à tous, sans avoir de préférence pour une famille ou pour une Eglise. J’ai pris part aux joies et aux deuils de nos frères syriens orthodoxes dans l’église et en dehors de l’église. J’ai essayé de rendre service à tous sans distinction. Bien plus, par esprit chrétien et avec beaucoup de patience, durant mes 36 ans de service en Terre Sainte, j’ai accepté sans murmure ni lassitude le transfert d’une trentaine de familles de ma paroisse syrienne catholique à la paroisse syrienne orthodoxe, et ce par respect du libre arbitre et de la liberté religieuse. Il m’est même arrivé de refuser catégoriquement que des frères syriens orthodoxes deviennent des nôtres à la suite d’un conflit avec leur prêtre ou leur évêque. Je leur ai toujours conseillé de se réconcilier et d’obéir à leurs supérieurs spirituels. Je rends grâce à Dieu qu’ils aient apprécié mon attitude.
Maintenant aussi, ayant été élevé au siège patriarcal, je désire continuer à vivre avec cette charité, dont j’ai posé les fondements à Bethléem et Jérusalem. Et je voudrais assurer votre Sainteté et tous mes frères évêques et prêtres, ainsi que tous les fidèles de l’Eglise Syrienne Orthodoxe qu’ « Abouna Boutros » est resté « Abouna Boutros ». Il n’a pas changé et les honneurs ne l’ont pas séduit. Pour tous, il restera le père fidèle et le frère sincère, qui ne se trouble pas à propos de tout ce que l’on dit ou écrit au sujet de ses prédécesseurs, Patriarches grands et saints, dont certains sont morts en prison et d’autres ont parcouru les déserts de la Syrie et de l’Iraq.
Je laisse Dieu juger cette période de l’histoire, quant à moi, je ne condamne personne.
En second lieu, ma visite d’aujourd’hui veut être un témoignage au monde entier, et en particulier à toutes les Eglises chrétiennes que nos deux Eglises syriennes sont les plus proches l’une de l’autre, comme et plus que le sourcil de l’œil. Il a beaucoup été parlé du mouvement œcuménique, des congrès œcuméniques, des visites œcuméniques et des commissions mixtes. Personnellement, je désire unir la parole aux actes. Aussi, je vous déclare de cœur à cœur que nous ne formons qu’un seul peuple, relevant de deux Eglises qu’un seul pas sépare encore de la communion complète. Pas, dont je n’ignore pas toutes les difficultés et la portée et qui ne peut être accompli que dans deux directions : l’un vers l’autre.
Les Syriens Catholiques ont été parmi les premiers à suivre le mouvement œcuménique. Et jadis, ce mouvement était compris dans une direction unique, à savoir la réunion à l’Eglise Catholique et la reconnaissance de l’autorité absolue du successeur de Pierre dans l’Eglise universelle. Ceux qui se sont unis à l’Eglise Catholique n’avaient pas pour but d’affaiblir l’Eglise Syrienne d’Antioche, mais plutôt de la fortifier, d’améliorer sa situation, de rehausser sa dignité et d’accomplir le commandement du Christ : « Qu’ils soient un comme toi et moi, O Père, nous sommes un » (cf. Jn 17). Au 17ème et 18ème siècles, cette réunion voulait signifier l’unité de l’Eglise universelle sous l’autorité et la direction unique, celle du Pape de Rome. Et nos ancêtres étaient convaincus qu’il n’y avait d’autre route pour l’unité que celle de l’union parfaite avec Rome, comme au premier millénaire de l’ère chrétienne.
Ils ont réalisé l’union d’une partie du peuple syrien avec Rome dans les conditions, que Rome a acceptées, à savoir la conservation de notre patrimoine syrien très antique, la légitimation de nos Pères syriens docteurs et la reconnaissance de notre Eglise, comme église indépendante et comme Patriarcat d’Antioche indépendant et suis juris, sauf pour ce qui est du dogme et des mœurs.
Rome a agréé ce choix et nous a même aidés à conserver notre patrimoine et à préserver notre peuple syrien de toute perte et de toute dissolution dans d’autres églises sans racines antiochiennes. Bien plus, elle nous a aidés à élever le niveau de la culture et des sciences religieuses dans la formation sacerdotale. Elle nous a ouvert les portes de ses universités et de ses écoles et ce, gratis. Elle
a fondé pour nous des séminaires à Jérusalem, Mossoul, au Couvent de Charfet (Liban) pour que les candidats au sacerdoce puissent y recevoir une culture religieuse digne de l’homme de Dieu.
Rome a maintenu ses aides dans la culture religieuse jusqu’à les étendre au clergé ne relevant pas de la catholicité, parmi les différentes Eglises chrétiennes.
Rome n’attend de tout cela que la formation des clercs et leur promotion, quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent, ne poursuivant en tout cela aucun but ou profit humain, car son premier et dernier but est le salut de l’homme.
Enfin, par cette visite, je veux encourager non seulement d’autres visites, mais aussi des rencontres à tous les niveaux, entre les clercs de nos deux Eglises Orthodoxe et Catholique. Plût à Dieu que de telles rencontres ou réunions puissent se réaliser un jour et arriver jusqu’à l’échange des délégations et des expériences de nos deux Eglises. Ainsi, nous pourrions vous envoyer nos séminaristes pour qu’ils vivent avec vous et sous votre égide pendant un certain laps de temps, durant lequel ils feront la connaissance de vos séminaristes et de vos religieux. Ils prieront ensemble, vivront ensemble et profiteront du patrimoine, des chants syriaques et des traditions que vous conservez. Ainsi les vides que les longues années de séparation et d’éloignement ont probablement causés, seront comblés.
Vous pourriez également nous envoyer vos séminaristes et vos religieux pour qu’ils participent à la vie liturgique de nos religieux et séminaristes.
Je crois que c’était là le vœu de feu Sa Sainteté le Pape Paul VI et du regretté Patriarche Yacoub III, dans leur célèbre déclaration, que vous avez confirmée par votre déclaration conjointe avec Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II.
J’espère que ces visites réciproques créeront une nouvelle génération de jeunes qui découvriront la route vers l’unité complète, route que nous avons été dans l’impossibilité de trouver jusqu’au début du troisième millénaire.
Je demande à Dieu de nous aider l’un et l’autre, d’unir nos cœurs et nos esprits et d’éclairer par sa sagesse notre chemin vers l’unité vraie et parfaite, comme le Christ notre Seigneur l’a voulue, chemin que nous suivons en incitant à l’amour patient, selon le conseil de l’apôtre Paul.
Ignace Pierre VIII Abdel Ahad, Patriarche Syrien d’Antioche.