Manuel Tramaux devant les registres de catholicité © Manuel Tramaux

Manuel Tramaux devant les registres de catholicité © Manuel Tramaux

Interview de Manuel Tramaux : Qu’est-ce qu’un chancelier diocésain ?

« Le chancelier est comme le garde-fou de l’évêque »

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Âgé de 53 ans, Manuel Tramaux est depuis 2019 chancelier du diocèse de Besançon, en France. Il est bibliothécaire de métier, mais il est aussi canoniste, théologien et historien. Marié et père de famille, il est notamment co-auteur du « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », publié en 2016.

La fonction de chancelier est souvent méconnue du grand public, alors même qu’elle occupe un rôle essentiel dans la gouvernance d’un diocèse. Au croisement de l’administration, du droit canonique et de la mission pastorale, le chancelier est un collaborateur direct de l’évêque : il incarne la rigueur et la catholicité de l’Église. 

 

Zenit : Quelles sont les missions principales du chancelier diocésain ?

Manuel Tramaux : Dans l’absolu, le chancelier doit être un bon canoniste et autant que possible un bon théologien. Il ne peut comprendre le droit que s’il connaît la théologie, notamment pratique. Sa mission principale est définie par le canon 482 du Code de droit canonique : « Veiller à ce que les actes de la curie soient rédigés et expédiés, et conservés aux archives de la curie ». C’est une fonction particulièrement visible dans la gestion des actes de catholicité pour les baptêmes, les mariages ou les sépultures.

Manuel Tramaux, une fonction ouverte aux laïcs depuis 1983 © Manuel Tramaux

La fonction de chancelier est ouverte aux laïcs depuis 1983 © Manuel Tramaux

Le chancelier rédige également les décrets, les ordonnances et autres documents ou actes concernant les nominations de prêtres, de diacres, de laïcs, ainsi que la consécration ou l’exécration d’églises et d’autels. Pour authentifier ces documents, il doit alors apposer sa signature à côté de celle de l’évêque. 

Mais ses missions varient très largement d’un diocèse à l’autre : le chancelier peut être tour à tour conseiller canonique de l’évêque, du vicaire général ou des curés du diocèse. Il peut aussi être garant de l’application du droit particulier diocésain ou responsable des statistiques diocésaines de catholicité qu’il envoie chaque année à Rome et à la Conférence épiscopale française.

L’office de chancelier est également ouvert aux laïcs hommes et femmes depuis la rénovation du Code de droit canonique en 1983. Les évêques ont été amenés à choisir très progressivement des laïcs suite à la diminution des effectifs du clergé diocésain, à l’ouverture des études théologiques et canoniques aux laïcs et la volonté de les faire coopérer davantage au fonctionnement de l’Église.

Zenit : En quoi ce poste est-il indispensable au fonctionnement d’un diocèse, et quel est votre lien avec l’évêque ? 

M. Tramaux : En tant que garant du droit propre de l’Église, le chancelier est comme le « garde-fou de l’évêque », pour reprendre l’expression de mon évêque, Mgr Jean-Luc Bouilleret ! Le chancelier est chargé de faire correspondre les initiatives pastorales avec les obligations du droit, ou de mettre en garde. Il explique que la loi canonique n’est pas une impasse ou un mur, mais au contraire une balise toute façonnée sur la sagesse et la tradition de l’Église. 

Mais ce poste n’est pas borné par un mandat. L’évêque diocésain nomme le chancelier et le récuse comme bon lui semble, ce qui sous-entend une relation de parfaite confiance mutuelle. Le chancelier doit être à l’écoute de son évêque, mais il doit savoir aussi parfois lui opposer la réalité du droit. Le rôle n’est pas toujours facile à tenir, mais la relation de confiance et la foi partagée sont les clés de voûte de cet édifice.

Zenit : Quel est votre regard sur les demandes d’annulations de baptêmes ou de mariages ? 

M. Tramaux : Pour être précis, on ne parle pas d’annulation de mariage, mais de reconnaissance en nullité, parce que le mariage entre baptisés est indissoluble aux yeux de l’Église catholique. Reconnaître une nullité, c’est enquêter et conclure que le mariage n’a jamais été valide pour une raison particulière qui se trouve à la racine. C’est ce que vont éventuellement rechercher les juges de l’Officialité qui prononceront ensuite une possible reconnaissance en nullité d’un mariage.

Archevêché de Besançon © Wikipedia.org

Archevêché de Besançon © Wikipedia.org

Concernant les demandes de radiation de baptêmes : là aussi le terme d’annulation n’est pas approprié, puisque le sacrement du baptême est considéré comme marquant l’âme de façon indélébile. Dans le diocèse de Besançon, le nombre est stable depuis trois ou quatre ans à un niveau assez bas. Le pic a été atteint en 2019 mais depuis, ce chiffre a été divisé par trois.

C’est avant tout l’actualité qui produit une demande de radiation : prises de positions du pape ou de l’épiscopat, cas particuliers au niveau local, national ou international, positions pastorales ou théologiques médiatisées de l’Église sur le baptême en bas âge, l’homosexualité, ou encore la pédocriminalité de clercs.

Certains sites internet anticléricaux ou libres penseurs incitent à la radiation. Nous recevons le plus souvent des lettres identiques, stéréotypées, téléchargées et facilement attribuables à l’activité de tel ou tel courant d’idées. Les termes posés sont forts : « apostasie », « reniement ». Mais à mon sens, ils ne suffisent pas à qualifier clairement l’intention personnelle des demandeurs, qui sont souvent des personnes déjà éloignées de l’Église ou n’ayant jamais eu affaire à elle, sinon le jour de leur baptême.

Toutefois, quelques démarches de radiation sont personnelles et parfois tragiques. Très majoritairement, ces personnes ne souhaitent pas le dialogue. En acceptant leur demande, l’Église catholique se soumet à la législation étatique en matière de données personnelles mais manifeste aussi le libre-arbitre du demandeur, tout en l’informant de la signification d’une telle démarche au niveau canonique et spirituel.

Zenit : Par votre travail, vous accédez à des informations confidentielles ou sensibles. Quel genre d’informations principalement, et quel est le rôle spécifique du chancelier dans le domaine des abus ?

M. Tramaux : La complexité grandissante des choix et des états de vie constatés dans la société contemporaine amène de plus en plus le chancelier à répondre aux demandes des acteurs pastoraux qui s’interrogent sur le droit de l’Église concernant des points précis comme le divorce, l’homoparentalité ou la transidentité.

La salle de lectures des archives historiques © Diocèse de Besançon

La salle de lecture des archives historiques © Diocèse de Besançon

Il n’est pas rare que le chancelier soit la personne consultée pour avoir un premier avis canonique, aider dans le choix d’une démarche, ou simplement se prononcer sur sa recevabilité. C’est aussi la raison pour laquelle ma fonction de chancelier m’amène parfois à traiter des affaires sensibles concernant des abus commis par des clercs. 

En tant que canoniste, je suis membre de la « Cellule d’accueil et d’écoute des victimes d’abus dans l’Église » du diocèse de Besançon, afin d’apporter la réponse la plus rapide et adaptée aux situations qui peuvent se présenter. Le rôle du chancelier dans cette mission particulière va consister à faire une première évaluation canonique de la situation, et proposer à l’évêque les premières mesures à prendre, notamment conservatoires, dans l’attente d’une information plus complète qui sera menée par l’Officialité.

Zenit : Pour vous, quels sont les défis spécifiques auxquels un chancelier doit être préparé aujourd’hui ?

M. Tramaux : L’évolution de la société, la fragilisation de la cellule familiale ou encore l’individualisation mettent les pasteurs en face de cas particuliers de plus en plus complexes. Loin d’être un « douanier », selon l’expression du pape François, le chancelier doit considérer ces cas et essayer d’apporter la bonne réponse en conseillant les « acteurs du terrain ».

Du fait de la mondialisation, des personnes aux profils parfois très éloignés de nos « standards locaux » se rapprochent de nos Églises particulières. Il faut alors s’interroger, se former et même se réformer pour bien les accueillir et leur offrir une bonne intégration. Je pense par exemple aux demandes de plus en plus fréquentes d’intégration dans la « pleine communion de l’Église catholique » ou d’unions mixtes. Il y a là un vrai défi pour les chancelleries !

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Anne van Merris

Journaliste française, Anne van Merris a été formée à l'Institut européen de journalisme Robert Schuman, à Bruxelles. Elle a été responsable communication au service de l'Église catholique et responsable commerciale dans le privé. Elle est mariée et mère de quatre enfants.

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