Première publication le 11 septembre 2025 par l’AED
Samedi 6 septembre, l’Estonie a vécu la première béatification de son histoire avec la reconnaissance du martyre de Mgr Eduard Profittlich, archevêque de Tallinn mort en prison soviétique en 1942. Mgr Philippe Jourdan, évêque de Tallinn, revient sur la portée spirituelle et historique de cet événement inédit.
Comment s’est déroulée la béatification ?
L’événement central a été la messe de béatification, célébrée le samedi sur la place de la Liberté, la place centrale de Tallinn. Mais les célébrations ont duré trois jours. Le temps lui-même a semblé accompagner ce moment : nous sommes passés de l’automne estonien à un été presque français, ce qui a été reçu comme un beau signe.

Deux moments ont particulièrement marqué. Le premier fut l’acte de béatification, présidé par le cardinal Schönborn, accompagné d’une commémoration pour Mgr Profittlich mais aussi pour toutes les victimes du communisme. La veille, cent cinquante volontaires avaient lu, un par un, les 23 000 noms des déportés. Le second moment fort fut l’arrivée de la relique portée pendant la cérémonie : une lettre de Mgr Profittlich à sa famille, où il annonçait sa décision de rester en Estonie malgré l’occupation soviétique.
Il n’y avait pas eu de béatification dans un pays nordique depuis l’époque de Martin Luther. C’était donc un événement d’une portée exceptionnelle.
Pouvez-vous rappeler qui était Eduard Profittlich ?
Eduard Profittlich était un jésuite allemand, né en 1890. Envoyé en Estonie en 1930, il est devenu le premier évêque catholique résident depuis la Réforme, en 1936. Il avait appris la langue, pris la nationalité estonienne et s’était pleinement investi dans la vie de l’Église locale. Quand l’armée soviétique a occupé le pays en 1940, il a refusé de s’enfuir, choisissant de rester auprès de son peuple. Arrêté et déporté en Russie, il est mort en prison en 1942. C’est ce témoignage de fidélité et d’amour pour l’Église qui a conduit à sa béatification.
Que représente pour vous la béatification d’Eduard Profittlich, premier évêque catholique d’Estonie au XXᵉ siècle ?

Pour la communauté catholique, c’est la première béatification de l’histoire du pays, donc quelque chose de très important. Ce n’est pas une question de prestige. Avoir un saint, c’est ce qui donne de la crédibilité : dans une société sécularisée comme l’Estonie, cela montre au grand public une véritable marque de sainteté. C’est là que l’on voit que l’Église suit le Christ non seulement en théorie, mais aussi en pratique.
Sa mort résonne avec l’histoire de notre pays. Elle a permis de rassembler croyants et non-croyants.
Quelle a été votre émotion personnelle quand le pape François a signé le décret reconnaissant son martyre ?
C’était en décembre dernier. Un très beau moment, même si nous nous y attendions. Ce qui m’a le plus marqué, c’est que lorsque le pape François est venu à Tallinn en 2018, je lui ai fait visiter notre cathédrale. Il m’a alors demandé : “Est-il un martyr ?” Puis il m’a répondu : « Santo subito », saint tout de suite, ndlr. Finalement, cela aura pris sept ans. Il est très important que dans des pays non catholiques, il y ait des saints locaux : c’est une véritable marque de crédibilité pour l’Église.
Comment l’exemple d’Eduard Profittlich peut-il inspirer les chrétiens dans leur foi quotidienne ?

Son martyre vient du fait qu’il a choisi de partager le destin du peuple estonien. Il ne faut pas oublier qu’il a exercé comme évêque d’une petite Église, dans une société qui ne connaissait presque plus le catholicisme. Il était une personne très investie : il se déplaçait même pour rencontrer une seule personne et lui parler de Dieu. C’était un archevêque qui savait prendre du temps pour chacun, qui donnait de l’importance à chaque personne. Il n’était pas un haut fonctionnaire de l’Église, mais un véritable père de famille. Aujourd’hui, le peuple estonien est inquiet à cause de la guerre en Ukraine. Même si les situations ne sont pas les mêmes, nous vivons des temps troublés. L’exemple de Mgr Profittlich apporte espérance et charité.
Qu’espérez-vous que cette reconnaissance change dans la vie de l’Église en Estonie ?
Il faut maintenant mieux faire connaître sa vie ! Je pense que cette béatification va porter du fruit. J’ai déjà reçu des demandes de baptêmes à la suite de cet événement.
