Cardinal Dominik Duka

Cardinal Dominik Duka

De la prison communiste à l’influence européenne : le cardinal Dominik Duka

Témoignage du père Romuald Štěpán Rob, ancien porte-parole du feu cardinal Duka

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Le père Romuald Štěpán Rob, malgré les préparatifs exigeants des cérémonies funéraires, a trouvé le temps de répondre aux questions de la rédaction de Zenit concernant les périodes importantes et cruciales de la vie de son Éminence cardinal Dominik Duka. 

Pour quelle raison le prêtre Jaroslav Dominik Duka a-t-il été emprisonné ? Quelle accusation a été portée contre lui?  Quel enseignement ou quelle idéologie ont conduit le régime socialiste à condamner son activité religieuse ? Quelle doctrine ou idéologie motivait le régime socialiste à condamner son activité religieuse?

En 1948, non seulement eut lieu le coup d’État communiste et la prise de pouvoir en Tchécoslovaquie, mais un contrôle d’État sur les Églises fut également instauré. Les évêques qui refusaient de collaborer avec le régime totalitaire furent éliminés, et chaque prêtre devait obtenir un « accord d’État » pour pouvoir exercer son ministère. Dominik Duka perdit cet accord, mais continua néanmoins à célébrer la messe dans son appartement pour les fidèles qui le visitaient et à organiser les activités interdites des ordres religieux – en particulier celles des dominicains.

C’est pour cette activité religieuse jugée illégale qu’il fut condamné, en 1981, à quinze mois de prison dans la dure réalité du système carcéral de la normalisation, à la prison de Plzeň-Bory. Pour le régime communiste, le danger résidait dans le fait que son activité échappait à tout contrôle de l’État et qu’il refusait de coopérer avec l’idéologie dominante.

Quel type de relation franco-tchèque le dominicain et cardinal Dominik Duka représentait-il au moment de la chute du régime communiste ? Quel est son héritage aujourd’hui et pour l’avenir ? Existe-t-il selon vous des liens historiques plus profonds entre les deux pays, par exemple dans le domaine universitaire ou à l’époque de la création de la Première République tchécoslovaque ?

Buste Charles de GaulleDominik Duka entretenait un lien avec la France non seulement au moment de la chute du régime communiste, mais aussi durant toute la période totalitaire. Il admirait profondément Charles de Gaulle – il fut d’ailleurs à l’origine de la toute première installation d’un buste du général à Prague, sur Barrandov, près de l’église du Très-Saint-Sauveur (Chrám Krista Spasitele à Prague-Barrandov). Il se référa également à de grandes figures ecclésiales issues des milieux dominicains et thomistes : Lacordaire, Maritain, Exupéry. Parmi les personnalités plus contemporaines, il faut mentionner les cardinaux Lustiger et Hamer – dont il reçut la mitre lors de son ordination épiscopale en signe de respect.
Mais surtout, il faut rappeler sa direction et sa collaboration au projet de traduction de la Bible de Jérusalem avec les époux Halas et d’autres collaborateurs. L’édition originale de cette Bible est en effet une traduction des textes bibliques depuis les langues originales vers le français, qui sert ensuite de base à des traductions dans d’autres langues du monde.

Les relations entre la France et la Tchécoslovaquie naissante furent exceptionnellement étroites et décisives pour la création même de l’État. La France fut la première grande puissance à soutenir la résistance extérieure de Masaryk, à reconnaître le Conseil national tchécoslovaque et à permettre la formation des légions tchécoslovaques, rôle dans lequel M. R. Štefánik joua une part essentielle grâce à ses contacts à Paris. La France influença de manière déterminante la configuration de l’Europe d’après-guerre et soutint les revendications tchécoslovaques lors de la conférence de Versailles. Après 1918, elle devint le principal allié militaire du nouvel État, contribua à la création de l’armée et, en 1924, fut signée une alliance bilatérale. Les liens économiques et culturels renforcèrent encore l’influence française dans la construction de la jeune république.

Dans le domaine universitaire, les relations entre la France et la Tchécoslovaquie naissante furent elles aussi particulièrement fortes. Pendant la guerre, la France accueillit une grande partie de l’émigration intellectuelle tchécoslovaque (notamment à la Sorbonne) et, après 1918, elle contribua activement au développement de la vie universitaire du nouveau pays, en particulier en Slovaquie grâce à la mission professorale française lors de la fondation de l’Université Comenius. Elle offrit de nombreuses bourses aux étudiants tchécoslovaques, envoya des professeurs invités et soutint l’enseignement du français par l’intermédiaire de l’Alliance Française. Dans le même temps fut créé l’Institut tchécoslovaque de Paris, chargé de promouvoir les échanges scientifiques et culturels. Ainsi, la science et la culture françaises devinrent l’une des principales sources d’inspiration pour le milieu universitaire tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres.

Quel message spirituel (testament) pouvons-nous retenir de l’héritage du cardinal Duka ? Quelle idéal visait-il pour la communauté catholique dans un pays démocratique comme la République tchèque? Quel genre de relation avec l’État tchèque était en place? 
Avec le président Milos Zeman © Archevêché de Prague

Avec le président Milos Zeman © Archevêché de Prague

Nous sommes maintenant un peu submergés de paroles d’or. Tout comme lorsque les Tchèques s’opposaient fermement à l’évêque saint Adalbert de Prague, mais après sa mort, son corps fut racheté au poids de l’or. Il se passe aujourd’hui quelque chose de similaire, même si certains ignorent la règle humaine qu’il ne faut dire que du bien des morts, surtout parce qu’ils ne peuvent pas se défendre. Je pense qu’il était véritablement un homme accompli, sur le plan humain, intellectuel, spirituel et culturel. Je le surnommais : le cardinal de fer. Dans sa relation avec l’État tchèque, il prônait un modèle de coopération au service du bien des citoyens de ce pays. C’est la mission des deux entités.

Quelles transformations ecclésiales le cardinal Duka a-t-il pu conduire à partir des recommandations du Saint-Siège (les papes Benoît et François)? 

Cardinal Duka avec le Pape FrançoisDominik Duka était avant tout un ami personnel et un collaborateur du pape Jean-Paul II, un admirateur du pape Benoît XVI et il a choisi le pape François lors du conclave de 2013 – il a donc également collaboré avec l’administration des autres papes. Il fut surtout l’architecte des nominations épiscopales en Europe centrale, jouant un rôle de lien local. Je pense qu’il représentait un exemple pour le Vatican dans la mise en œuvre du modèle de coopération entre l’État, l’Église et les communautés religieuses.   Il s’est toujours engagé pour le bien des communautés juives.

 Quel apport le cardinal Duka pouvait-il offrir à la nation tchèque pour son positionnement au sein de l’Union européenne et sur le plan international? 

Je pense que, par exemple, sa participation à la reconsécration de la cathédrale Notre-Dame, à laquelle aucun représentant officiel de la République tchèque n’a assisté, en dit long – il y était donc non seulement en tant que cardinal, mais en tant que cardinal tchèque. De même, lorsqu’on voyait comment l’État islamique détruisait des monuments antiques témoignant des racines de notre civilisation, le cardinal Duka se demandait : n’avons-nous pas nous-mêmes, depuis longtemps, renoncé à ces racines antiques et judéo-chrétiennes de l’Europe, en adoptant la Traité de Lisbonne – une sorte de constitution de l’UE ?

 

 

 

Père Romuald Štěpán Rob est un prêtre catholique romain, tchèque, qui a été le porte-parole du cardinal Dominik Duka, récemment décédé, ainsi que son très proche collaborateur, confident et allié spirituel. Il partageait sa vision théologique et porte fidèlement son héritage. Il a accompagné son éminence Dominik Cardinal Duka jusqu’à ses derniers instants, aux côtés de son assistante personnelle, sœur Dominika. Jusqu’en 2018, il a exercé comme prêtre dominicain, puis il est passé à la gestion paroissiale et est devenu administrateur des paroisses de Karlovy Vary et Stanovice. Actif bien au-delà de ses obligations sacerdotales, il collabore depuis 2006 avec la Télévision publique tchèque, où il réalise et écrit des scénarios. Sa production documentaire se concentre sur des thèmes sociaux majeurs.

Avant la célébration solennelle des funérailles du cardinal Dominik Duka dans la cathédrale Saint-Guy au château de Prague, le père Romuald Štěpán Rob a trouvé le temps d’accorder aux auditeurs du podcast de l’archevêché de Prague un long entretien sur sa rencontre et sa collaboration avec Son Éminence, ainsi que sur son parcours, ses habitudes quotidiennes, sa pensée et sa philosophie spirituelle.

Comme l’explique le père Rob dans un entretien pour le podcast de l’archevêché de Prague, il a fait la connaissance de Son Éminence déjà dans un « état prénatal », lorsqu’avec son frère ils jouaient, encore enfants, aux moines dans le couvent dominicain de la vieille Prague. Il ne savait pas encore qu’à dix-huit ans (en 1992) il demanderait à entrer dans l’Ordre des Prêcheurs et rencontrerait personnellement le père Dominik, alors provincial, qui l’accueillit – ainsi que des dizaines d’autres étudiants – au couvent dominicain d’Olomouc. Il ignorait aussi qu’il lui serait donné, plusieurs décennies plus tard, la grâce de l’accompagner dans sa « naissance finale au ciel ».

A Olomouc, ils partageaient donc une sorte de « maison commune », où se retrouvaient pour échanger et débattre. À cette époque, le père Rob s’intéressait surtout à l’expérience de prison que le père Dominik avait vécue avec Václav Havel, et il lui répondait à ses questions avec modestie et pudeur. De même, le père Rob puisa abondamment dans ses vastes connaissances bibliques, ecclésiastiques et historiques. Comme il se souvient : « De ce point de vue, c’était un géant. Il en riait toujours et, vers la fin, disait : C’est vrai, je suis une encyclopédie… mais qui commence un peu à oublier.…. » « Il voyait vraiment les choses dans leurs liens, soit en remontant profondément dans l’histoire, soit dans toute leur ampleur », raconte le père Rob.

Leur collaboration la plus intense eut lieu en 2019, lorsque le père Rob devint, pour une courte période, directeur du service de presse de l’archevêché de Prague. Même après cela, ils se retrouvaient chaque lundi matin pour de longues heures de débats sur la situation de l’Église, sur la situation en Tchéquie et sur la scène internationale. Pour le père Rob, c’était une véritable université.  Lorsqu’il put entrevoir la profondeur de sa sagesse et de ses connexions intellectuelles, le cardinal Dominik Duka devint son mentor.

Il le gagna tout à fait déjà à l’époque où, en 1998, il fut nommé évêque de Hradec Králové par Jean-Paul II et invitait régulièrement le père Rob aux rencontres de la famille dominicaine. L’évêque Dominik Duka participa alors à son groupe de discussion, qui revenait avec esprit critique sur la situation des années 1990. Un jour, père Duka demanda la parole et dit : « Je sais que beaucoup de choses n’ont pas été faites comme il fallait. C’est ma faute et j’en prends la responsabilité. J’en suis désolé. »

À cet instant, il gagna le père Rob pour le reste de sa vie. Ce fut le début d’une fidélité inébranlable.

 

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La personnalité et l’héritage du cardinal Duka vus par la presse française

 

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Alice Muthspiel

Alice Muthspiel travaille à la production et est assistante du grand reporter Jan Smid, correspondant en France pour la télévision publique tchèque (CT). Elle est également correspondante pour Česky rozhlas, la radio publique tchèque, ainsi que pour Katolické noviny, le journal catholique tchèque.

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