A Prato, en Toscane, centre de l’industrie textile italienne, le pape appelle à un « travail digne ».
Le pape François a quitté le Vatican en hélicoptère, ce mardi 10 novembre à 7 heures du matin, pour se rendre à Prato et à Florence à l’occasion du 5e Congrès national de l’Église italienne.
Depuis la chaire extérieure de la cathédrale de Prato, le pape a dénoncé une « tragédie de l’exploitation et des conditions de vie inhumaines » en évoquant la mort de sept ouvriers dans l’incendie de leur lieu de travail, où ils dormaient : « Et ceci n’est pas un travail digne ! », a dénoncé le pape.
Il a exhorté à lutter contre le « cancer de la corruption », le « cancer de l'exploitation », et le « poison de l'illégalité » et « pour la vérité et la justice ».
« Ne vous résignez pas devant les situations de coexistence qui semblent difficiles ; soyez toujours animés du désir d’établir de véritables "pactes de proximité". Voilà, la proximité ! S’approcher pour réaliser cela », a ajouté le pape, en faisant allusion à la mosaïque des composantes de la société.
Voici notre traduction complète de cet important discours social du pape François.
A.B.
Allocution du pape François
Chers frères et sœurs, bonjour !
Je remercie votre évêque, Mgr Agostinelli, pour les paroles si courtoises qu’il m’a adressées. Je vous salue tous avec affection, ainsi que ceux qui ne peuvent pas être ici physiquement, en particulier les personnes malades, âgées et celles qui sont détenues dans la prison.
Je suis venu en pèlerin – un pèlerin… de passage ! C’est peu de chose, mais au moins la volonté y est ! – dans cette ville riche d’histoire et de beauté qui, au cours des siècles, a mérité le titre de « ville de Marie ». Vous avez de la chance, parce que vous êtes en de bonnes mains ! Ce sont des mains maternelles qui protègent toujours, ouvertes pour accueillir. Vous êtes aussi privilégiés parce que vous conservez la relique de la Sacra Cintola (la « Sainte Ceinture ») de la Vierge Marie, que je viens de voir.
Ce signe de bénédiction pour votre ville me suggère quelques pensées, suscitées aussi par la Parole de Dieu. La première nous renvoie au chemin de salut qu’a entrepris le peuple d’Israël, de l’esclavage en Égypte à la Terre promise. Avant de le libérer, le Seigneur lui a demandé de célébrer le repas pascal et de le consommer d’une manière particulière : « la ceinture aux reins » (Ex 12,11). Ceindre son vêtement sur ses reins signifie être prêt, se préparer à partir, à sortir pour se mettre en chemin. Le Seigneur nous exhorte aussi à cela aujourd’hui, aujourd’hui plus que jamais : à ne pas rester enfermés dans l’indifférence, mais à nous ouvrir ; à nous sentir, tous, appelés et prêts à laisser quelque chose pour rejoindre quelqu’un avec qui partager notre joie d’avoir rencontré le Seigneur, et aussi la fatigue de cheminer sur sa route. Il nous est demandé de sortir pour nous approcher des hommes et des femmes de notre temps. Certes, sortir veut dire risquer – sortir veut dire risquer – mais il n’y a pas de foi sans risque. Une foi qui pense à elle-même et qui reste enfermée chez elle n’est pas fidèle à l’invitation du Seigneur qui demande aux siens de prendre l’initiative et de s’impliquer, sans peur. Devant les transformations souvent tumultueuses de ces dernières années, il y a le risque de subir le tourbillon des événements, en perdant le courage de garder le cap. On préfère alors le refuge d’un port sûr et on renonce à prendre le large sur la Parole de Jésus. Mais le Seigneur, qui veut rejoindre ceux qui ne l’aiment pas encore, nous encourage. Il désire que naisse en nous une passion missionnaire renouvelée et il nous confie une grande responsabilité. Il demande à l’Église son épouse de cheminer par les sentiers accidentés d’aujourd’hui, d’accompagner ceux qui se sont perdus en chemin ; de planter des tentes d’espérance où accueillir celui qui est blessé et qui n’attend plus rien de la vie. C’est cela que nous demande le Seigneur.
Il nous donne l’exemple lui-même en s’approchant de nous. La Sainte Ceinture, en effet, rappelle aussi le geste accompli par Jésus lors de son repas pascal, quand il a noué son vêtement à sa ceinture, comme un serviteur, et qu’il a lavé les pieds de ses disciples (cf. Jn 13,4 ; Lc 12,37). Pour que nous fassions nous aussi la même chose que lui. Nous avons été servis par Dieu qui s’est fait notre prochain, pour servir à notre tour ceux qui nous sont proches. Pour un disciple de Jésus, aucun prochain ne peut devenir lointain. Au contraire, il n’existe pas de lointains qui ne soient trop éloignés, mais seulement des prochains à rejoindre. Je vous remercie pour les efforts constants que fait votre communauté pour intégrer chaque personne, luttant contre la culture de l’indifférence et du rejet. À une époque marquée par les incertitudes et les peurs, vos initiatives, pour soutenir les plus faibles et les familles que vous vous engagez même à « adopter », sont louables. Lorsque vous vous employez à rechercher les meilleures possibilités concrètes d’inclusion, ne vous découragez pas devant les difficultés. Ne vous résignez pas devant les situations de coexistence qui semblent difficiles ; soyez toujours animés du désir d’établir de véritables « pactes de proximité ». Voilà, la proximité ! S’approcher pour réaliser cela.
Je voudrais encore vous proposer une autre suggestion. Saint Paul invite les chrétiens à endosser une armure particulière, celle de Dieu. Il dit en effet de se revêtir des vertus nécessaires pour affronter nos ennemis réels, qui ne sont jamais les autres, mais « les esprits du mal ». À la première place, dans cette armure idéale, se trouve la vérité : « autour des reins le ceinturon de la vérité », écrit l’apôtre (Ép 6,14). Nous devons nous ceindre de la vérité. On ne peut fonder rien de bon sur les trames du mensonge ou du manque de transparence. Toujours rechercher et choisir la vérité n’est pas facile ; mais c’est une décision vitale, qui doit marquer profondément l’existence de chacun et de la société pour qu’elle soit plus juste, pour qu’elle soit plus honnête. Le caractère sacré de tous les êtres humains exige pour chacun respect, accueil et un travail digne. Un travail digne ! Je me permets ici de rappeler les cinq hommes et les deux femmes de nationalité chinoise, morts il y a deux ans à cause d’un incendie dans la zone industrielle de Prato. Ils vivaient et dormaient à l’intérieur du local industriel dans lequel ils travaillaient : dans un coin, on avait fabriqué un petit dortoir en carton et en plaques de plâtre, avec des lits superposés pour tirer profit de la hauteur de la structure. C’est une tragédie de l’exploitation et des conditions de vie inhumaines. Et ceci n’est pas un travail digne ! La vie de toutes les communautés requiert que l’on combatte jusqu’au bout le cancer de la corruption, le cancer de l’exploitation humaine et professionnelle et le poison de l’illégalité. À l’intérieur de nous et avec les autres, ne nous lassons jamais de lutter pour la vérité et la justice.
Je vous encourage tous, surtout vous, les jeunes – on m’a dit que vous, les jeunes, vous aviez fait une veillée de prière hier, toute la nuit… Merci, merci ! – à ne jamais céder au pessimisme et à la résignation. Marie est celle qui, par la prière et par l’amour, dans un silence actif, a transformé le samedi de la déception en l’aube de la résurrection. Si quelqu’un se sent fatigué et oppressé par les circonstances de la vie, qu’il se confie à notre Mère, qui est proche et qui console, parce qu’elle est Mère ! Elle nous encourage et nous invite à mettre notre confiance en Dieu : son Fils ne trahira pas nos attentes et sèmera dans les cœurs une espérance qui ne déçoit pas. Merci.
© Traduction de Zenit, Constance Roques