En ce mardi 1er octobre, alors que l’Église fête sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, patronne des missions, le Congrès Mission 2024 vient de s’achever dans presque 150 lieux en France, principalement des paroisses. À cette occasion, Zenit a interrogé deux passionnés de la mission d’Église, Anne-France de Boissière et le P. Lionel Dalle.
Anne-France de Boissière est coach spécialisée dans l’accompagnement des personnes et des équipes. Dotée d’une solide expérience en entreprise, elle a été directrice de la formation et de la transformation pastorale au sein d’Alpha. Le P. Lionel Dalle est vicaire général du diocèse de Toulon depuis six ans, et membre de la Communauté de l’Emmanuel. Il a notamment créé un parcours missionnaire lié à la vertu de la gratitude.
Tous les deux ont participé à la rédaction du livre « Changer », un guide pratique pour la transformation des paroisses, publié en 2021 par un collectif de prêtres et de laïcs.
Zenit : D’où vous vient cet intérêt si fort pour l’évangélisation ?
Anne-France de Boissière : J’ai tout d’abord fait une rencontre personnelle avec Jésus, et j’avais le cœur débordant de joie. J’ai eu envie qu’un maximum de personnes, qui ne le connaissent pas et ne savent pas qu’elles sont aimées, puissent également faire cette rencontre. Pour moi, l’évangélisation, c’est l’annonce du kérygme, de la bonne nouvelle : Jésus est Fils de Dieu, il est mort et ressuscité pour nous.
Dieu a créé en moi le désir de mettre tout ce que je savais et aimais faire au service de l’Église plutôt qu’au service du CAC 40. Je trouvais également important que les paroisses se transforment pour devenir des lieux qui engendrent des disciples-missionnaires, et non des lieux fermés où l’on reste entre nous.
P. Lionel Dalle : L’évangélisation est une des missions essentielles de l’Église, mais elle a été un peu oubliée. Le moteur de tout cela, c’est vraiment la joie : la joie que peuvent éprouver les personnes qui découvrent Jésus. Pour moi, il est essentiel d’annoncer l’amour du Christ, et la paroisse est justement le lieu où on peut le rencontrer et être accueilli pour ce qu’on est.
Zenit : Que veut dire « transformation pastorale » dans les paroisses ?
P. L. Dalle : Notre pastorale annonce le message de l’amour de Dieu. Ce message est éternel et ne varie pas sur le fond, mais la forme de l’annonce s’adapte à la culture et à l’époque dans laquelle nous sommes. Nous avons donc à transformer notre pastorale paroissiale pour que le message de Jésus soit compréhensible et reçu par les gens de notre temps. La transformation pastorale, c’est donc réfléchir à la pastorale dans notre paroisse, et ne pas forcément « reproduire ce qu’on a fait dans le passé », comme dit le pape, mais l’adapter pour qu’elle soit pertinente aujourd’hui.
A.-F. de Boissière : On peut parler aussi de conversion pastorale. Il s’agit de notre conversion personnelle et également la conversion des paroisses, pour qu’elles redeviennent des lieux qui suscitent des disciples.
Zenit : Comment expliquez-vous le regain de l’élan missionnaire dans l’Église, et quels en sont les défis ?
P. L. Dalle : Ce phénomène de regain est très sensible et très visible dans le monde paroissial. Il y a une conscience assez forte des prêtres d’être arrivés à une espèce d’impasse au niveau d’une pastorale uniquement basée sur l’entretien et la dispense des sacrements. De plus en plus de personnes peu croyantes viennent demander les sacrements. Or, ce système-là a montré une forme de limite, parfois même d’absurdité dans le fait de conférer des sacrements à des gens qui n’ont pas la foi.
Il y a donc le besoin de repenser l’ensemble du ministère. Et c’est ça qui, en partie, est à l’origine de cet élan. Mais ce dynamisme est également porté par un certain nombre de laïcs qui ont créé de grandes initiatives : le Congrès Mission en est un exemple.
A.-F. de Boissière : Pour moi, le grand enjeu de la transformation pastorale, c’est cette capacité de l’Église à parler au monde. L’Église a fonctionné pendant 16 siècles dans un monde qui était chrétien, et nous constatons que ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’Église est donc appelée, comme le dit le pape François, à changer son vocabulaire, à revoir ses pensées et son comportement : comment être audibles, entendus par un monde qui n’est plus chrétien ? Sachant qu’on a le plus beau message à délivrer !
P. L. Dalle : La croissance du nombre de catéchumènes est un phénomène très significatif aujourd’hui, et montre que beaucoup de gens voudraient se rapprocher de l’Église. Le défi est que les paroisses puissent entendre cet appel et arriver à transformer leur fonctionnement : être accueillantes, dispenser une formation de qualité à des personnes qui recommencent à zéro : cela implique de déployer de manière plus forte le catéchuménat.
Il est également important d’aider les nouveaux baptisés, qu’on appelle néophytes. Aider ces nouvelles plantes encore fragiles à s’enraciner profondément pour devenir solides. Et cela se fait dans le temps, sur plusieurs années. C’est un immense signe d’espérance pour nous, mais en même temps un défi.
Zenit : Le pape François demande d’être créatifs dans la mission. Avez-vous quelques exemples d’initiatives qui portent du fruit ?
P. L. Dalle : « Un dimanche autrement » est un premier exemple. C’est une proposition dominicale qui n’est pas une Eucharistie, et qui est adressée à des gens éloignés de l’Église. On invite les personnes impliquées dans la préparation au baptême ou mariage, ou bien des parents d’enfants du catéchisme, et on leur fait vivre une expérience de la Parole de Dieu puis un moment fraternel : ceci pour qu’ils puissent entendre le message de l’amour de Dieu pour eux.
A.-F. de Boissière : Je suis frappée de voir qu’aujourd’hui on entend que les catéchumènes ne viennent pas par nos circuits habituels, comme par exemple le catéchisme. Je pense à une paroisse qui a développé le « Kidcat », qui est une façon de faire découvrir aux enfants le kérygme de manière ludique et inspirante. Un autre exemple, j’ai travaillé pendant 12 ans au sein de l’association Alpha, une expérience qui permet d’amener les gens à Jésus par la voie de la fraternité. Au début, ils viennent pour se faire des amis, pas forcément pour rencontrer Jésus.
P. L. Dalle : Il y a une dizaine de jours, un prêtre a partagé avec moi une initiative dans sa paroisse. Des laïcs ont invité leurs voisins et amis à une rencontre animée par les invités eux-mêmes. Il y a eu un vrai succès ! Ils ont pu rassembler 120 personnes qui ne venaient jamais à l’Église. Un autre exemple est le « parcours gratitude » qui peut se faire en paroisse, autour de cette vertu de la gratitude : comment est-ce qu’on peut la faire grandir dans notre vie ? Comment peut-on la vivre dans les épreuves ?
Zenit : À la veille de la deuxième session du Synode, comment voyez- vous l’importance de la coresponsabilité entre prêtres et laïcs dans la transformation pastorale ?
A.-F. de Boissière : J’ai commencé à accompagner des paroisses il y a 12 ans, et je me rappelle précisément la phrase du pape François sur le cléricalisme. Il avait employé l’expression de « complicité pécheresse » : « complicité » car chacun y trouve son compte et « pécheresse » car ce n’est pas le plan de Dieu. À l’époque, cela avait fait scandale. Or, tout le monde est bien conscient maintenant qu’une juste coresponsabilité des prêtres et des laïcs est une clé la transformation missionnaire des paroisses. Aujourd’hui, elle est beaucoup mieux comprise, ajustée et vécue.
P. L. Dalle : Pour moi, c’est un peu un défi de faire vivre cette coresponsabilité en paroisse. Il y a beaucoup de laïcs formés aujourd’hui qui ont parfois des compétences importantes : comment peut-on arriver à les associer dans la gouvernance de la paroisse ? C’est un sujet nouveau pour les prêtres qui ont un peu fonctionné sur un schéma ancien, où le curé était au centre de tout et décidait tout. Ceci est un vrai chantier ! Et de fait, quand la responsabilité est partagée, et qu’on vit une juste collégialité dans la gouvernance, cela donne beaucoup de joie à la fois au laïc et au pasteur.
Zenit : Un dernier regard, une analyse sur l’évolution de la mission de l’Église en France ?
A.-F. de Boissière : La joie d’évangéliser ! Le pape François, dans l’introduction de Evangelii gaudium, a appelé chaque chrétien à revivre cette rencontre personnelle avec Jésus. À chaque fois que je vais en mission de rue, que je témoigne de ma joie d’avoir une relation personnelle avec Jésus, je réexpérimente la puissance de la grâce et à quel point l’amour de Dieu est un trésor. Le risque, c’est que l’on s’y habitue en oubliant la puissance révolutionnaire de cette Annonce.
L’évangélisation est toujours une joie. Je suis frappée par sa fécondité permanente, qu’elle soit visible ou non. En effet, même dans les cas où nous ne portons pas de fruits en apparence, il nous reste la solution de nous réfugier dans les bras de Jésus, contre son cœur. Et ça c’est la joie la plus grande que nous puissions vivre, une joie immense !
P. L. Dalle : Il y a un double phénomène aujourd’hui qui me frappe beaucoup : à la fois la crise profonde de l’Église, avec une très forte baisse de la pratique sacramentelle et, en même temps, un mouvement de réveil qui est significatif et plein d’espérance pour l’Église. Bien sûr, il ne compense pas numériquement la diminution de la pratique, mais il nous montre que Dieu est à l’œuvre, et cela nous met dans l’espérance. La question pour moi est : comment je peux, moi aussi, entrer dans ce mouvement de transformation, d’accueil et d’évangélisation ?