Cardinal Parolin

Deuxième anniversaire du 7 octobre : « Inacceptable de réduire des êtres humains à des dommages collatéraux »

Le Secrétaire d’État s’exprime à Vatican Media à l’occasion de l’attaque « inhumaine » du Hamas contre Israël

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Première publication dans l’Osservaore Romano le 6 octobre 2025 

Le Secrétaire d’État s’exprime à Vatican Media à l’occasion du deuxième anniversaire de l’attaque « inhumaine » du Hamas contre Israël, qui a déclenché la destruction de la bande de Gaza. Il appelle à la libération des otages et à la fin du cycle de violence. Il affirme que ce qui se passe à Gaza est « inhumain », et souligne qu’il ne suffit pas que la communauté internationale condamne ces faits tout en continuant à les tolérer. Il se dit impressionné par la participation aux marches pour la paix et insiste sur le fait que l’antisémitisme est un cancer à éradiquer.

Par Andrea Tornielli et Roberto Paglialonga

Deux ans se sont écoulés depuis l’attaque terroriste du Hamas contre Israël et le début de ce qui est devenu une véritable guerre ayant réduit la bande de Gaza à l’état de ruines. Nous revenons sur ces événements, et sur leurs conséquences, dans un entretien avec le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège.

Question : Éminence, nous entrons dans la troisième année depuis l’attaque tragique du 7 octobre. Comment vous souvenez-vous de ce moment, et que représentait-il, selon vous, pour l’État d’Israël et les communautés juives du monde entier ?

Réponse : Je répète ce que j’avais dit à l’époque : l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas et d’autres milices contre des milliers d’Israéliens et de migrants vivant là-bas — dont beaucoup de civils — qui se préparaient à célébrer Sim’hat Torah, la conclusion de la fête de Souccot, fut inhumaine et injustifiable. La violence brutale exercée contre des enfants, des femmes, des jeunes, des personnes âgées — rien ne peut la justifier. Ce fut un massacre honteux et, je le répète, inhumain. Le Saint-Siège a immédiatement exprimé sa condamnation totale et ferme, demandant la libération immédiate des otages et manifestant sa proximité avec les familles touchées par l’attentat. Nous avons prié, et nous continuons à prier, en demandant que cesse cette spirale perverse de haine et de violence, qui risque de nous entraîner dans un abîme sans retour.

Que souhaitez-vous dire aux familles des otages israéliens toujours détenus par le Hamas ?

Malheureusement, deux années se sont écoulées. Certains sont morts, d’autres ont été libérés après de longues négociations. Les images de ces personnes retenues prisonnières dans des tunnels, affamées, me bouleversent profondément. Nous ne pouvons ni ne devons les oublier.
Je rappelle que le pape François, au cours des dix-huit derniers mois de sa vie, a lancé pas moins de vingt et un appels publics pour la libération des otages et a rencontré certaines de leurs familles. Son successeur, le pape Léon XIV, a poursuivi ces appels. J’exprime ma proximité à toutes ces familles, priant chaque jour pour leur souffrance, et je réaffirme notre disponibilité totale à faire tout ce qui est possible pour les réunir vivants et sains avec leurs proches — ou, à tout le moins, pour que les corps de ceux qui ont été tués puissent être rendus et dignement ensevelis.

Lors du premier anniversaire de l’attaque du 7 octobre, le pape François avait parlé de “l’incapacité honteuse de la communauté internationale et des nations les plus puissantes à faire taire les armes et à mettre fin à la tragédie de la guerre.” Qu’est-ce qui est nécessaire aujourd’hui pour parvenir à la paix ?

La situation à Gaza est encore plus grave et tragique qu’il y a un an, après une guerre dévastatrice qui a fait des dizaines de milliers de morts. Nous devons retrouver la raison, abandonner la logique aveugle de la haine et de la vengeance, et rejeter la violence comme solution. Ceux qui sont attaqués ont le droit de se défendre, mais même la défense légitime doit respecter le principe de proportionnalité. Malheureusement, la guerre qui en a résulté a entraîné des conséquences désastreuses et inhumaines.
Je suis profondément affligé par le bilan quotidien des morts en Palestine — des dizaines, parfois des centaines chaque jour — tant d’enfants dont le seul “tort” est d’être nés là. Nous risquons de devenir insensibles à ce carnage ! Des personnes tuées en cherchant un morceau de pain, ensevelies sous les décombres de leurs maisons, bombardées dans les hôpitaux, dans les camps de tentes, déplacées de force d’un bout à l’autre de ce territoire étroit et surpeuplé… Il est inacceptable et injustifiable de réduire des êtres humains à de simples “dommages collatéraux.”

Comment voyez-vous la montée des actes antisémites dans de nombreuses régions du monde ces derniers mois ?

Ce sont des conséquences tristes et tout aussi injustifiables. Nous vivons dans un monde saturé de fausses informations et de récits simplifiés. Cela pousse certains, nourris de ces distorsions, à attribuer la responsabilité de ce qui se passe à Gaza à l’ensemble du peuple juif. Mais nous savons que ce n’est pas vrai.
De nombreuses voix juives se sont élevées, d’ailleurs, pour contester la manière dont le gouvernement israélien actuel agit à Gaza et en Palestine, où — ne l’oublions pas — l’expansionnisme des colonies, souvent violent, vise à rendre impossible la création d’un État palestinien. Nous avons vu les témoignages publics des familles des otages.
L’antisémitisme est un cancer qu’il faut combattre et éradiquer. Nous avons besoin d’hommes et de femmes de bonne volonté, d’éducateurs qui aident à comprendre et à discerner. Nous ne devons pas oublier ce qui s’est passé au cœur de l’Europe avec la Shoah, et devons consacrer toutes nos forces à empêcher que ce mal renaisse.
Dans le même temps, nous devons veiller à ce que les actes d’inhumanité et les violations du droit humanitaire ne soient jamais justifiés : aucun Juif ne doit être attaqué ou discriminé parce qu’il est juif, et aucun Palestinien ne doit être attaqué ou discriminé simplement parce qu’il est palestinien, ou considéré comme un « terroriste potentiel ».
La chaîne perverse de la haine ne peut engendrer qu’une spirale qui ne mène nulle part de bon. Il est douloureux de constater que nous ne parvenons toujours pas à tirer les leçons de l’histoire, même récente, qui pourtant reste une maîtresse de vie.

Vous avez évoqué une situation intenable et mentionné les nombreux intérêts qui empêchent la fin de la guerre. Quels sont-ils ?

Il semble évident que la guerre menée par l’armée israélienne pour éliminer les militants du Hamas se déroule au détriment d’une population largement sans défense, déjà poussée à bout, dans une zone où les bâtiments et les maisons ne sont plus que ruines.
Il suffit de regarder les images aériennes pour comprendre ce qu’est devenue Gaza aujourd’hui. Il est tout aussi clair que la communauté internationale est malheureusement impuissante, et que les pays ayant réellement les moyens d’agir n’ont pas encore su ou voulu le faire pour arrêter le massacre en cours.
Je ne peux que répéter les paroles très claires prononcées par le pape Léon XIV le 20 juillet :

« Je renouvelle mon appel à la communauté internationale à observer le droit humanitaire et à respecter l’obligation de protéger les civils, ainsi que l’interdiction du châtiment collectif, de l’usage indiscriminé de la force et du déplacement forcé des populations. »
Ces paroles attendent encore d’être entendues et mises en œuvre.

Que peut donc faire la communauté internationale ?

Certainement beaucoup plus que ce qu’elle fait actuellement. Il ne suffit pas de dire que ce qui se passe est inacceptable tout en continuant à le permettre. Nous devons nous interroger sérieusement sur la légitimité de continuer à fournir des armes utilisées contre des civils.
Malheureusement, comme nous l’avons vu, les Nations Unies n’ont pas été capables d’arrêter ce qui se passe. Mais il existe des acteurs internationaux qui pourraient — et devraient — en faire davantage pour mettre fin à cette tragédie, et nous devons trouver le moyen de redonner à l’ONU un rôle plus efficace pour mettre un terme aux nombreuses guerres fratricides qui ravagent le monde.

Que pensez-vous du plan proposé par le président Trump pour parvenir à un cessez-le-feu et mettre fin à la guerre ?

Tout plan qui associe le peuple palestinien aux décisions concernant son propre avenir, et qui contribue à mettre fin à ce carnage — en libérant les otages et en stoppant les tueries quotidiennes — doit être accueilli et soutenu.
Le Saint-Père lui-même a exprimé l’espoir que les parties acceptent ce plan et qu’un véritable processus de paixpuisse enfin commencer.

Comment percevez-vous les positions prises par la société civile, y compris en Israël, contre la politique de guerre du gouvernement et en faveur de la paix ?

Même si ces initiatives sont parfois déformées par certains médias à cause de la violence de quelques extrémistes, je suis positivement impressionné par la participation aux manifestations et par l’engagement de nombreux jeunes. Cela montre que nous ne sommes pas condamnés à l’indifférence.
Nous devons prendre au sérieux ce désir de paix, cette volonté d’engagement… Notre avenir, et celui du monde, en dépendent.

Certains, y compris dans l’Église, disent que face à tout cela, il faut avant tout prier, sans descendre dans la rue, pour ne pas servir la cause des violents…

Je suis baptisé, croyant, prêtre : pour moi, la prière constante devant Dieu — qu’Il nous aide, nous soutienne, intervienne pour mettre fin à tout cela en soutenant les efforts des hommes et femmes de bonne volonté — est essentielle, quotidienne, fondamentale.
Le pape Léon a de nouveau invité à prier le Rosaire pour la paix le 11 octobre. Mais je veux aussi souligner que la foi chrétienne est incarnée, ou elle n’est pas la foi. Nous suivons un Dieu qui s’est fait homme, a pris notre humanité, et nous a montré que nous ne pouvons pas rester indifférents à ce qui se passe autour de nous, même loin de nous.
C’est pourquoi la prière ne suffit jamais à elle seule — mais l’action concrète non plus : l’éveil des consciences, les initiatives de paix, la sensibilisation, même si cela signifie paraître « décalés » ou prendre des risques.
Il existe une majorité silencieuse, y compris parmi les jeunes, qui refuse de céder à cette inhumanité. Eux aussi sont appelés à prier. Penser que notre rôle de chrétiens se limite à nous enfermer dans les sacristies est, à mes yeux, une profonde erreur.
La prière doit conduire à l’action, au témoignage, à des choix concrets.

Le pape Léon ne cesse d’appeler à la paix. Que peut faire le Saint-Siège dans cette situation ? Quelle contribution pouvez-vous, et l’Église entière, apporter ?

Le Saint-Siège — parfois incompris — continue à appeler à la paix, à inviter au dialogue, à employer les mots « négociation » et « discussion », et il le fait par réalisme profond : l’alternative à la diplomatie, c’est la guerre sans fin, l’abîme de la haine et l’autodestruction du monde.
Nous devons crier avec force : arrêtons-nous avant qu’il ne soit trop tard. Et nous devons agir, tout faire pour qu’il ne soit pas trop tard. Tout ce qui est possible.

Pourquoi la reconnaissance de l’État de Palestine est-elle importante à ce stade ?

Le Saint-Siège a officiellement reconnu l’État de Palestine il y a dix ans, avec l’Accord global entre le Saint-Siège et l’État de Palestine.
Le préambule de cet accord international soutient pleinement une solution juste, complète et pacifique de la question palestinienne dans toutes ses dimensions, conformément au droit international et aux résolutions pertinentes de l’ONU.
Il soutient également un État palestinien indépendant, souverain, démocratique et viable, comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza.
Cet État n’est pas conçu en opposition à d’autres, mais capable de vivre aux côtés de ses voisins dans la paix et la sécurité.
Nous nous réjouissons que de nombreux pays aient reconnu l’État de Palestine, mais nous observons avec préoccupation que les déclarations et décisions israéliennes vont dans la direction opposée — celle qui vise à empêcher définitivement la naissance d’un véritable État palestinien.
Cette solution, la création d’un État palestinien, apparaît aujourd’hui encore plus pertinente à la lumière des événements de ces deux dernières années.
C’est la voie des deux peuples dans deux États, que le Saint-Siège soutient depuis le début. Le destin des deux peuples et des deux États est étroitement lié.

Comment va la communauté chrétienne sur place, après l’attaque brutale contre la paroisse de la Sainte-Famille, et pourquoi joue-t-elle un rôle important au Moyen-Orient ?

Les chrétiens de Gaza, comme nous l’avons vu, ont eux aussi été pris pour cibles…
Je suis profondément ému par ces personnes déterminées à rester, qui prient chaque jour pour la paix et pour les victimes. Leur situation est de plus en plus précaire.
Nous essayons de leur être proches de toutes les manières possibles, grâce aux efforts du Patriarcat latin de Jérusalem et de Caritas.
Nous remercions les gouvernements et institutions qui travaillent à faire parvenir l’aide et à permettre aux blessés graves d’être soignés.
Le rôle des chrétiens au Moyen-Orient a été — et reste — fondamental, même si leur nombre diminue.
Je veux souligner qu’ils partagent pleinement le sort du peuple palestinien tourmenté et souffrent avec lui.

Traduction réalisée par ZENIT

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Rédaction

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