Basilique Saint-Pierre, le jeudi 1er mai 2025
En ce temps de Pâques, le Christ nous dit : « Tous ceux que me donne le Père me donne viendront jusqu’à moi (…) Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. » Quelle immense douceur que ces mots.
Le pape François est au Christ, il lui appartient, et maintenant qu’il a quitté cette terre, il est pleinement au Christ. Le Seigneur a pris Jorge Bergoglio avec lui depuis son baptême et tout au long de son existence. Il est au Christ, qui lui a promis la plénitude de la vie.
Vous savez avec quelle tendresse le pape François parlait du Christ, comment il aimait le doux nom de Jésus, en bon jésuite. Il savait bien qu’il était à lui et que le Christ ne l’avait pas abandonné, ne l’avait pas déçu. C’est cette espérance que nous célébrons dans la joie de Pâques, à la lumière précieuse de l’Évangile d’aujourd’hui.
Nous ne pouvons ignorer que nous célébrons également la fête du travail, si chère au pape François.
Je me souviens d’une vidéo que le Saint-Père a envoyée il y a quelque temps pour une réunion d’hommes d’affaires argentins. Il leur a dit : « Je ne me lasserai pas de parler de la dignité du travail. Quelqu’un m’a fait dire que je proposais une vie sans effort, ou que je méprisais la culture du travail. » En effet, certains malhonnêtes ont dit que le pape François défendait les paresseux, les fainéants, les délinquants, les oisifs.
Mais il a insisté : « Imaginez que vous puissiez dire cela de moi, un descendant de Piémontais, qui ne sont pas venus dans ce pays avec le désir d’être soutenus, mais avec un grand désir de se retrousser les manches et de construire un avenir pour leurs familles ». On sent qu’ils l’ont agacé.
Car pour le pape François, le travail exprime et nourrit la dignité de l’être humain, il lui permet de développer ses capacités, il l’aide à grandir dans ses relations, il lui permet de sentir qu’il est le collaborateur de Dieu pour prendre soin et améliorer ce monde, il lui permet de se sentir utile à la société et solidaire de ses proches. C’est pourquoi le travail, au-delà des épreuves et des difficultés, est un chemin de maturation humaine. Et c’est pourquoi il disait que le travail « est la meilleure aide pour un pauvre ». Qui plus est, « il n’y a pas de pire pauvreté que celle de l’homme. » « Il n’y a pas de pire pauvreté que celle qui prive du travail et de la dignité du travail. »
Il convient de rappeler les propos qu’il a tenus lors de son voyage à Gênes. Il a déclaré que « tout le pacte social est construit autour du travail » et que lorsqu’il y a des problèmes avec le travail, « c’est la démocratie qui entre en crise ». Il a ensuite repris avec enthousiasme ce que dit la Constitution italienne dans son article 1 : « L’Italie est une république démocratique, fondée sur le travail ».
Derrière cet amour du travail se cache une conviction forte du pape François : la valeur infinie de chaque être humain, une immense dignité qui ne doit jamais être perdue, qui ne peut jamais être ignorée ou oubliée.
Mais chaque personne est tellement digne, et doit être prise tellement au sérieux, qu’il ne s’agit pas seulement de lui offrir des choses, mais de la promouvoir. C’est-à-dire qu’elle puisse développer tout le bien qu’elle a en elle, qu’elle puisse gagner son pain avec les dons que Dieu lui a donnés, qu’elle puisse développer ses capacités. Ainsi, chaque personne est promue dans toute sa dignité. Et c’est là que le travail prend toute son importance.
Mais attention, a dit François. D’autre part, on parle à tort de « méritocratie ». Car c’est une chose d’évaluer les mérites d’une personne et de récompenser ses efforts. Une autre chose est la fausse « méritocratie », qui nous amène à penser que seuls ceux qui réussissent dans la vie ont des mérites.
Prenons l’exemple d’une personne née dans une bonne famille et qui a pu accroître sa richesse, mener une vie agréable avec une belle maison, une voiture, des vacances à l’étranger. Tout va bien. Elle a eu la chance de grandir dans de bonnes conditions et a accompli des actes méritoires. Ainsi, grâce à ses compétences et à son temps, elle a construit une vie très confortable pour lui et ses enfants.
Dans le même temps, celui qui travaille avec ses bras, avec un mérite égal ou supérieur en raison des efforts et du temps qu’il a investis, n’a rien. Il n’a pas eu la chance de naître dans le même environnement et il a beau peiner, il a du mal à survivre.
Je vais vous raconter un événement que je ne peux pas oublier : un jeune homme que j’ai vu plusieurs fois près de chez moi à Buenos Aires. Je le trouvais dans la rue, effectuant son travail, qui consistait à ramasser des cartons et des bouteilles pour nourrir sa famille. Quand j’allais à l’université le matin, quand je revenais, je le trouvais en train de travailler la nuit. Un jour, je lui ai demandé : « Mais combien d’heures travailles-tu ? ». Il m’a répondu : « Entre 12 et 15 heures par jour. Parce que j’ai plusieurs enfants à charge et je veux qu’ils aient un meilleur avenir que le mien ».
Je lui ai donc demandé : « Mais quand es-tu avec eux ? ». Et il m’a répondu : « Je dois choisir, soit je suis avec eux, soit je leur apporte de la nourriture ». Malgré cela, une personne bien habillée qui passait par là lui a dit : « Va travailler, paresseux ! Ces paroles m’ont paru d’une cruauté et d’une vanité horribles. Mais ces mots se cachent aussi derrière d’autres discours plus nobles.
Le pape François a lancé un cri prophétique contre cette fausse idée. Au cours de plusieurs conversations, il m’a fait remarquer que nous sommes amenés à penser que la plupart des pauvres sont pauvres parce qu’ils n’ont pas de « mérite ». Il semble que celui qui a hérité de nombreux biens soit plus digne que celui qui a travaillé dur toute sa vie sans pouvoir économiser quoi que ce soit ni même acheter une petite maison.
C’est pourquoi il a déclaré dans Evangelii gaudium que, dans ce modèle, « il ne semble pas que cela ait un sens de s’investir afin que ceux qui restent en arrière, les faibles ou les moins pourvus, puissent se faire un chemin dans la vie. » (EG, 209).
La question qui revient est toujours la même : les moins doués ne sont-ils pas des personnes humaines ? Les faibles n’ont-ils pas la même dignité que nous ? Ceux qui sont nés avec moins de possibilités doivent-ils simplement survivre ? N’y a-t-il pas une chance pour eux d’avoir un travail qui leur permette de grandir, de se construire, de créer quelque chose de meilleur pour leurs enfants ? La valeur de notre société dépend de la réponse que nous donnons à ces questions.
Mais permettez-moi aussi de présenter le pape François comme un travailleur. Non seulement il a parlé de la valeur du travail, mais toute sa vie, il a vécu sa mission avec beaucoup d’efforts, de passion et de compromis. Pour moi, cela a toujours été un mystère de comprendre comment il pouvait supporter un rythme de travail aussi exigeant, même s’il s’agissait d’un homme robuste souffrant de plusieurs maladies. Il travaillait non seulement le matin, avec des réunions, des audiences, des célébrations et des rassemblements, mais aussi tout l’après-midi. Et il m’a semblé vraiment héroïque qu’avec le peu de temps qu’il lui restait dans ses derniers jours, il se soit donné la force de visiter une prison.
Ce n’est pas que nous puissions le prendre comme exemple, car il ne prenait jamais quelques jours de congé. À Buenos Aires, en été, si vous ne trouviez pas de prêtre, vous le trouviez certainement. Lorsqu’il était en Argentine, il ne sortait jamais pour dîner, aller au théâtre, se promener ou voir un film, il ne prenait jamais un jour de congé complet. Alors que nous, qui sommes des personnes « normales », nous ne pouvons pas résister. Mais sa vie est un encouragement à vivre notre travail avec générosité.
Mais ce que je veux montrer, c’est à quel point il a compris que son travail était sa mission, que son travail quotidien était sa réponse à l’amour de Dieu, qu’il était l’expression de sa préoccupation pour le bien des autres. Et pour ces raisons, le travail lui-même était sa joie, sa nourriture, son repos. Il a fait l’expérience de ce que dit la première lecture que nous avons entendue : « Aucun de nous ne vit pour lui-même ».
Nous demandons pour tous les travailleurs, qui doivent parfois travailler dans des conditions pénibles, qu’ils puissent trouver un moyen de vivre leur travail avec dignité et espoir, et qu’ils puissent recevoir une rémunération qui leur permette d’envisager l’avenir avec espérance.
Mais, au cours de cette messe, avec la présence de la Curie romaine, nous prenons en compte le fait qu’à la Curie nous travaillons aussi. En effet, nous sommes des travailleurs qui respectent un emploi du temps, qui accomplissent les tâches qui leur sont assignées, qui doivent être responsables, fournir des efforts et se sacrifier dans leurs engagements.
La responsabilité du travail est aussi pour nous, à la Curie, un chemin de croissance et d’accomplissement en tant que chrétiens.
Enfin, permettez-moi de vous rappeler l’amour du pape François pour saint Joseph, ce travailleur fort et humble, ce charpentier d’un petit village oublié, qui a pris soin de Marie et de Jésus par son travail.
Nous nous souvenons également que, lorsque le pape François avait un grave souci, il plaçait un morceau de papier avec une supplique sous l’image de saint Joseph. Demandons donc à saint Joseph de serrer notre cher pape François dans ses bras au ciel.
