Laurent de Cherisey, fondateur de l'association Simon de Cyrène © Anne van Merris 

Laurent de Cherisey, fondateur de l'association Simon de Cyrène © Anne van Merris 

Laurent de Cherisey : avec les personnes handicapées, « la joie de la relation est plus forte que l’épreuve »

Interview du fondateur des maisons partagées Simon de Cyrène

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Laurent de Cherisey est un entrepreneur français, marié et père de famille, originaire de la région parisienne. Il a fondé en 2006 Simon de Cyrène, une association ayant pour vocation de faire vivre ensemble des adultes valides et handicapés, et qui compte actuellement une trentaine de « maisons partagées » en France.

Auteur de plusieurs ouvrages dont « Partager peut tout changer », Laurent de Cherisey nous rappelle la place essentielle des personnes handicapées au cœur de la société. Rencontre avec un innovateur engagé au service du Christ et des plus fragiles.

 

Zenit : Comment vous est venue l’idée de créer l’association Simon de Cyrène ?

"Les personnes handicapées contribuent à retisser une société de confiance et ouverte à l’espérance" © simondecyrene.org

« Retisser une société de confiance et ouverte à l’espérance » © simondecyrene.org

Laurent de Cherisey : C’est un appel lié à l’accident de voiture de ma sœur Cécile, en 1983 alors qu’elle n’avait que 17 ans. Un matin du mois d’août 1983, j’ai reçu un coup de fil de ma mère, bouleversée, m’annonçant que Cécile avait eu un très grave accident la veille. Elle était passagère d’une voiture qui a pris un arbre à 80 km/heure et a été fortement touchée : huit mois de coma, quatre ans d’hôpital et un très grand handicap.

Notre famille est donc entrée brutalement dans le monde du handicap. Toutes les représentations d’une vie réussie peuvent s’écrouler en une seconde. Quand ça va bien, on peut avoir le sentiment de ne pas avoir besoin de Dieu et, ensuite, c’est un long cheminement à la recherche du vrai Dieu : celui qui ne se mérite pas, mais qui se donne. Je constate qu’il faut à peu près dix ans pour arriver au « temps du consentement » pour les grandes épreuves de la vie. 

Un jour, après s’être battue aux côtés de Cécile durant des années, ma mère lui a dit : « On va arrêter de regarder ton handicap. Tu n’es pas que ton handicap. Tu as des capacités. Ton talent, c’est d’appeler les autres à la relation et à la joie. » Elle a donc invité les amis de Cécile venant de l’hôpital de Garches, les amis d’avant et quelques voisins. Ils ont préparé un repas ensemble. Cela a procuré une joie incroyable à tous ! Ce repas éclairait de manière lumineuse le premier miracle public du Christ aux noces de Cana dans l’Évangile. Cette intuition d’une « mère courage », qui veut célébrer la vie, est pour moi un témoignage fondateur de l’espérance chrétienne.

Il y a 20 ans donc, j’ai cédé une entreprise que j’avais créée. J’ai prié pour discerner ce à quoi je me sentais appelé. L’enjeu de développer un lieu de vie ayant du sens pour Cécile m’est venu comme une réponse.

Zenit : Quelle est la mission des maisons partagées Simon de Cyrène ?

L. de Cherisey : C’est une proposition qui part des personnes en situation de handicap qui témoignent de leur plus grande souffrance : la solitude. Ils nous appellent ainsi à la relation fraternelle qui donne du goût à nos vies. C’est le cœur de l’inspiration chrétienne de nos communautés. La conviction que l’être humain se construit dans la relation. Les personnes en situation de handicap sont les premiers de cordée sur ce chemin qui révèle le sens de la vie.

À Paray-le-Monial lors d'une session pour personnes handicapées, juillet 2025 © Anne van Merris

À Paray-le-Monial lors d’une session pour personnes handicapées, juillet 2025 © Anne van Merris

Au départ, je me suis dit que pour fonder de manière féconde, je devais être à l’écoute des personnes concernées. Je me suis inspiré d’une association que nous avions découvert en Sibérie avec des enfants autistes, de leurs familles et leurs amis, une expérience relatée dans les livres « Passeurs d’espoir ». Je suis également allé voir des associations pour personnes handicapées, telles que l’Arche. Et ensuite, nous avons commencé à expérimenter.

Simon de Cyrène accueille principalement trois types de handicaps : de nombreux jeunes victimes de traumatismes crâniens suite à des accidents de la route ou autres, des personnes ayant eu des accidents vasculaires cérébraux – souvent après 50 ans du fait de la pression de la vie moderne -, et des personnes ayant des infirmités motrices cérébrales depuis leur naissance.

Aujourd’hui, près de 1 000 personnes handicapées et valides participent à la vie partagée de Simon de Cyrène. Nous avons 250 salariés, 30 maisons ouvertes et 30 maisons en développement. Dans chacune de nos communautés, il y a entre 40 et 70 logements répartis dans 3 à 5 maisons partagées où cohabitent des personnes valides et handicapées. Chacun a son propre studio, sa salle de bain, sa kitchenette, et il y a un grand salon et une salle à manger communs pour la vie partagée. 

Chacune de nos communautés entretient un lien fort avec la paroisse, même si beaucoup ne sont pas particulièrement croyants. Nous constatons cependant une communion très forte entre croyants et non-croyants. Par exemple, nous avons organisé un pèlerinage à Lourdes l’année dernière pour le Triduum pascal et les 15 ans de Simon de Cyrène, et nous étions 660 venant des 14 villes où sont implantées nos communautés ! C’était impressionnant de voir combien la spiritualité de Pâques, passage de la souffrance de l’épreuve à la joie de la Résurrection, parle à tous, croyants ou non.

Zenit : Vous avez parlé de l’importance de la « relation » : en quoi cette association répond-elle à un besoin profond de la société ?

L. de Cherisey : L’individualisme et le matérialisme génèrent beaucoup d’angoisse. En nous invitant à la relation, les personnes handicapées nous révèlent que la joie de la relation est plus forte que l’épreuve : elles répondent à un besoin essentiel de la société. Saint Jean-Paul II disait que la société est forte de la place que l’on donne aux plus fragiles. Lorsque ces personnes sont placées au cœur de la société, elles contribuent à retisser une société de confiance et ouverte à l’espérance. À la demande des personnes handicapées, nos maisons sont d’ailleurs toutes situées au cœur de la ville.

L'association Simon de Cyrène lauréate du prix « La France s’engage » en 2015 © simondecyrene.org

L’association lauréate du prix « La France s’engage » en 2015 © simondecyrene.org

Le monde du handicap vient nous poser la question de l’être : qui est l’être humain lorsqu’il ne peut plus cocher les cases d’une vie réussie, performante, une vie de savoir ou de pouvoir ? Notre société moderne demande de la rapidité, mais la souffrance et les épreuves de la vie demandent au contraire de prendre beaucoup de temps. C’est de la relation, de l’amour, le temps de Dieu. Pour moi, cela a été un chemin de conversion car, en tant qu’entrepreneur, j’étais habitué à aller très vite.

La porte d’entrée de la relation ressemble à la porte étroite de l’Évangile : ce sont les personnes en situation de handicap qui nous apprennent à la franchir. Elles ont une parole qui est parfois dure à entendre, elles ont des corps souffrants qui rappellent le corps du Christ sur la croix. Au pied de la croix, il y a peu de monde. La souffrance fait peur. Si saint Jean est le seul disciple qui a eu le courage d’accompagner Marie au pied de la croix c’est peut-être parce que la veille, il a vécu un long temps de communion en posant sa tête sur la poitrine du Christ. Il y a puisé la force et l’amour pour accompagner le plus souffrant sur son chemin de croix. Il y a croisé Simon de Cyrène…

La croix de Jésus, c’est le poteau indicateur du sens de la vie. Le Christ vient faire un trait d’union entre le ciel et la terre, il invite à une relation d’amour. Et la personne handicapée devient ce poteau indicateur, cet autre Christ qui nous invite à la relation et au sens de la vie, car il nous dit : « J’ai besoin de toi ! » Et lorsqu’une personne nous dit « j’ai besoin de toi », elle nous fait le plus beau cadeau : celui de la confiance. Elle nous libère de notre peur de ne pas être aimable et nous redonne confiance dans l’amour.

Zenit : Quel serait votre message d’espérance et comment voyez-vous l’avenir ?
Livre sur l'expérience des maisons partagées publié en mars 2023 © editions-salvator.com

Le livre de L. de Cherisey a été publié en mars 2023 © editions-salvator.com

L. de Cherisey : Ce projet est devenu aujourd’hui un projet de société. L’ancien président de la République François Hollande m’a remis un prix de l’innovation sociale en me disant : « Il faut des Simon de Cyrène partout en France. » Nicolas Sarkozy m’avait également reçu à déjeuner à l’Élysée avec l’équipe des « Intouchables » en me disant la même chose ! L’appel des personnes handicapées à la relation et à la confiance irrigue la société depuis notre voisin jusqu’au président de la République. 

L’espérance chrétienne est une bonne nouvelle pour tous ! J’ai une immense gratitude pour les personnes handicapées qui sont des grands professeurs de vie et d’espérance. Quand elles nous disent « J’ai besoin de toi, je te fais confiance », elles nous libèrent profondément de la tyrannie de la performance, et nous révèlent que tout être se construit dans la relation. C’est dans une relation de confiance que nos talents peuvent être féconds pour construire une civilisation de l’amour.

Nous sommes tous terriblement inquiets de ces lois sur la fin de vie, et je pense que notre témoignage de chrétiens sur le sens et la valeur de la vie jusqu’au dernier souffle est audible donc crédible lorsqu’il s’incarne dans des actes concrets tels que les soins palliatifs ou des lieux tels que, Lazare, Marthe et Marie, Simon de Cyrène… où la vie est plus forte que l’épreuve. 

En tant que chrétiens, nous sommes appelés à témoigner de la beauté de la vie. Et nous pouvons aussi donner envie de « soigner la vie » en prenant soin de la dignité de l’homme. Le baromètre de notre espérance, si cher à de nombreux saints comme saint François, c’est celui de la joie. Elle éclaire le monde et nourrit le désir de l’homme de construire ensemble cette civilisation de l’amour.

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Anne van Merris

Journaliste française, Anne van Merris a été formée à l'Institut européen de journalisme Robert Schuman, à Bruxelles. Elle a été responsable communication au service de l'Église catholique et responsable commerciale dans le privé. Elle est mariée et mère de quatre enfants.

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