Un "jeu de regards" capable de transformer l’histoire

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Messe de la Saint-Matthieu à Holguin (Cuba). Texte intégral.

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« Jésus le regarda. Quelle force d’amour a eu le regard de Jésus pour faire bouger Matthieu comme il l’a fait ! Quelle force ont dû avoir ces yeux pour le faire se lever ! », s’exclame le pape François qui a lui-même fait l’expérience de ce regard, le jour de la Saint-Matthieu, le 21 septembre 1953. Il décrit un « jeu de regards » qui est « capable de transformer l’histoire ».

Dans son homélie de la messe qu’il a présidée à Holguin, à 16h30 (heure de Rome, 10h30 à Cuba) le pape a commenté l’évangile de l’appel de l’apôtre saint Matthieu. Comme il l’avait annoncé à Rome le 10 mai dernier, le président Raul Castro a assisté aussi à cette seconde messe du pape à Cuba.

Le pape François s’était envolé de La Havane pour Holguin à 8h. Il est arrivé à l’aéroport Frank Pais d’Holguin à 9h20.

« Laissons-nous regarder par Jésus, laissons son regard parcourir nos rues, laissons son regard nous rendre la joie, l’espérance », a exhorté le pape.

Le pape décrit ainsi une expérience de la miséricorde. L’évangile de la messe de la Saint-Matthieu conclut sur la miséricorde (Mt 9, 9-13) : « Allez apprendre ce que veut dire cette parole : c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices. Car je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs. »

Une miséricorde que le pape ne cesse d’annoncer, en accord avec sa devise épiscopale et papale : « Miserando atque eligendo », et qu’il appelle à vivre spécialement pendant le Jubilé (8 décembre 2015-20 novembre 2016).

Le pape a lui-même évoqué son appel de la Saint-Matthieu avec les jeunes consacrés du monde, vendredi dernier, 18 septembre.

Le pape insiste sur la foi dans l’efficacité de ce regard de miséricorde : « Il nous défie jour après jour par la question : crois-tu ? Crois-tu qu’il est possible qu’un percepteur d’impôts devienne serviteur ? Crois-tu qu’il est possible qu’un traître devienne un ami ? Crois-tu qu’il est possible que le fils d’un charpentier soit le Fils de Dieu ? Son regard transforme nos regards, son cœur transforme notre cœur. Dieu est le Père qui cherche le salut de tous ses enfants. »

Voici le texte intégral de l’homélie du pape à Holguin.

A.B.

Homélie du pape François

Nous célébrons la fête de l’Apôtre et Évangéliste saint Matthieu. Nous célébrons l’histoire d’une conversion. Il nous raconte lui-même, dans son Évangile, comment s’est passée la rencontre qui a marqué sa vie, il nous introduit dans un « jeu de regards » qui est capable de transformer l’histoire.

Un jour, pareil à n’importe quel autre, alors qu’il était assis à la table de perception des impôts, Jésus passait et le vit ; il s’approcha et lui dit : « Suis-moi. » Et lui, se levant, le suivit.

Jésus le regarda. Quelle force d’amour a eu le regard de Jésus pour faire bouger Matthieu comme il l’a fait ! Quelle force ont dû avoir ces yeux pour le faire se lever ! Nous savons que Matthieu était un publicain, c’est-à-dire qu’il percevait les impôts des Juifs pour les donner aux Romains. Les publicains étaient mal vus et même considérés comme des pécheurs, si bien qu’ils vivaient marginalisés, méprisés par les autres. On ne pouvait pas manger avec eux, ni parler, ni prier. Pour le peuple ils étaient des traîtres : ils tiraient profit des gens pour donner à d’autres. Les publicains appartenaient à cette catégorie sociale.

Cependant, Jésus s’est arrêté, il n’est pas passé au large à la hâte, il l’a regardé sans hâte, avec paix. Il l’a regardé avec des yeux de miséricorde ; il l’a regardé comme personne ne l’avait fait auparavant. Et ce regard a ouvert son cœur, l’a rendu libre, l’a guéri, lui a donné l’espérance, une vie nouvelle comme à Zachée, à Bartimée, à Marie-Madeleine, à Pierre, ainsi qu’à chacun d’entre nous. Bien que nous n’osions pas lever les yeux vers le Seigneur, lui nous regarde en premier. C’est notre histoire personnelle ; de même que beaucoup d’autres, chacun de nous peut dire : moi aussi je suis un pécheur sur qui Jésus a posé son regard. Je vous invite à vous ménager, dans vos maisons ou à l’église, un moment de silence pour nous rappeler, avec gratitude et joie, les circonstances, le moment où le regard miséricordieux de Dieu s’est posé sur notre vie.

Son amour nous précède, son regard devance nos besoins. Il sait voir au-delà des apparences, au-delà du péché, de l’échec ou de l’indignité. Il sait voir au-delà de la catégorie sociale à laquelle nous appartenons. Il voit au-delà de tout cela. Il voit au-delà cette dignité de fils, que nous avons tous, parfois salie par le péché, mais toujours présente au fond de notre âme. C’est notre dignité de fils. Il est venu précisément chercher tous ceux qui se sentent indignes de Dieu, indignes des autres. Laissons-nous regarder par Jésus, laissons son regard parcourir nos rues, laissons son regard nous rendre la joie, l’espérance, la gaîté de vie.

Après l’avoir regardé avec miséricorde, le Seigneur dit à Matthieu : « Suis-moi. » Et il se leva et le suivit. Après le regard, la parole. Après l’amour, la mission. Matthieu n’est plus le même ; il a changé intérieurement. La rencontre avec Jésus, avec son amour miséricordieux l’a transformé. Et il a laissé derrière le comptoir des impôts, l’argent et son exclusion. Avant, il attendait assis pour percevoir les impôts, pour les prendre chez les autres ; maintenant avec Jésus il doit se lever pour donner, pour offrir, pour s’offrir aux autres. Jésus l’a regardé et Matthieu a trouvé la joie dans le service. Pour Matthieu et pour tous ceux qui ont senti le regard de Jésus, les concitoyens ne sont pas ceux aux dépens desquels on « vit », dont on use, dont on abuse. Le regard de Jésus génère une activité missionnaire, de service, de don. Ses concitoyens sont ceux qu’il sert. Son amour soigne nos myopies et nous stimule à regarder au-delà, à ne pas nous arrêter aux apparences ou au politiquement correct.

Jésus va de l’avant, il nous précède, il ouvre le chemin et nous invite à le suivre. Il nous invite à surmonter progressivement nos préjugés, nos résistances au changement des autres, voire de nous-mêmes. Il nous défie jour après jour par une question : crois-tu ? Crois-tu qu’il est possible qu’un percepteur d’impôts devienne serviteur ? Crois-tu qu’il est possible qu’un traître devienne un ami ? Crois-tu qu’il est possible que le fils d’un charpentier soit le Fils de Dieu ? Son regard transforme nos regards, son cœur transforme notre cœur. Dieu est le Père qui cherche le salut de tous ses enfants.

Laissons-nous regarder par le Seigneur dans la prière, dans l’Eucharistie, dans la confession, dans nos frères, surtout ceux qui se sentent abandonnés, les plus esseulés. Et apprenons à regarder comme lui nous regarde. Partageons sa tendresse et sa miséricorde avec les malades, les prisonniers, les personnes âgées ou les familles en difficulté. Sans cesse nous sommes appelés à apprendre de Jésus ; il regarde toujours le plus authentique qui subsiste dans chaque personne, qui est précisément l’image de son Père.

Je sais au prix de quels efforts et au prix de quels sacrifices l’Église à Cuba travaille pour porter à tous, jusqu’aux endroits les plus éloignés, la parole et la présence du Christ. Elles méritent une mention spéciale, les dénommées « maisons de mission » qui, face au manque de lieux de culte et de prêtres, permettent à de nombreuses personnes d
’avoir un espace de prière, d’écoute de la Parole, de catéchèse et de vie de communauté. Ce sont des petits signes de la présence de Dieu dans nos quartiers et une aide quotidienne pour rendre vivantes les paroles de l’Apôtre Paul : « Je vous exhorte à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix » (Ep 4, 1-3).

Je souhaite maintenant diriger mon regard vers la Vierge Marie, la Vierge de la Charité del Cobre, que Cuba a accueillie dans ses bras et à qui il a ouvert ses portes pour toujours, et je lui demande de maintenir sur tous et sur chacun des enfants de cette noble nation son regard maternel.

Que son « regard miséricordieux » soit toujours attentif à chacun de vous, à vos maisons, à vos familles, aux personnes qui peuvent sentir qu’il n’y a pas de place pour elles. Qu’elle nous garde tous comme elle a gardé Jésus, dans son amour. Et qu’elle nous enseigne à regarder les autres comme Jésus a regardé chacun de nous !

© Librairie éditrice du Vatican

Zenit : transcription et traduction des ajouts

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