« Quand Jésus dit : “Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous”, il veut dire : “Moi, je serai toujours avec vous dans les pauvres. Je serai présent là” ». « Nous serons jugés sur notre relation avec les pauvres. Mais si, aujourd’hui, j’ignore les pauvres, si je les laisse de côté, si je crois qu’ils n’existent pas, le Seigneur m’ignorera le jour du jugement ».
Dans son homélie à la messe de ce lundi saint 6 avril 2020, le pape François a commenté le passage de l’évangile selon saint Jean, dans lequel Jésus se rend chez son ami Lazare et où Judas s’indigne en voyant Marie de Béthanie répandre un parfum « de très grande valeur » sur les pieds de Jésus au lieu de le vendre au profit des pauvres. C’est sur la réponse de Jésus, « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous », que le pape s’est étendu.
« Ce que dit Jésus est vrai », a souligné le pape : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous ». Mais est-ce que je les vois ? Est-ce que je me rends compte de cette réalité ? Surtout de la réalité cachée, ceux qui éprouvent de la honte à dire qu’ils n’arrivent pas au bout du mois ? ».
Le pape a dénoncé encore une fois « l’injustice structurelle de l’économie mondiale » mais aussi la « culture de l’indifférence qui est négationniste » qui fait que « nous ne les voyons pas », ou « l’habitude de voir les pauvres comme le décor d’une ville », comme si c’était « quelque chose de normal ».
Après la communion, comme chaque jour depuis le début du confinement, le Saint-Sacrement a été exposé sur l’autel de la chapelle du Saint-Esprit pour un moment d’adoration silencieuse.
Le pape François a quitté la chapelle de la Maison Sainte-Marthe après le chant marial de l’Ave Regina Caelorum (Salut, Reine des Cieux) :
Salut, Reine des cieux ! Salut, Reine des anges !
Salut, Tige féconde ! Salut, Porte du ciel !
Par toi, la lumière s’est levée sur le monde.
Réjouis-toi, Vierge glorieuse,
belle entre toutes les femmes !
Salut, splendeur radieuse :
implore le Christ pour nous.
Voici notre traduction de l’homélie prononcée par le pape François en italien et transcrite par Radio Vatican.
HG
Homélie du pape François
Ce passage se termine par une observation : « Les grands prêtres décidèrent alors de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient, et croyaient en Jésus » (Jn 12,10-11). L’autre jour, nous avons vu les étapes de la tentation : la séduction initiale, l’illusion, puis ça grandit – seconde étape – et troisièmement, ça grandit et ça contamine et on se justifie. Mais il y a un autre pas : avancer, ne pas s’arrêter. Pour ceux-là, ce n’était pas suffisant de mettre Jésus à mort, mais maintenant aussi Lazare, parce qu’il était témoin de la vie.
Mais je voudrais aujourd’hui m’arrêter sur une parole de Jésus. Six jours avant Pâques – nous sommes exactement à la porte de la Passion – Marie a ce geste de contemplation : Marthe servait – comme dans l’autre passage – et Marie ouvre la porte à la contemplation. Et Judas pense à l’argent et il pense aux pauvres, mais « non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune, il prenait ce que l’on y mettait » (Jn 12,6). Cette histoire de l’administrateur infidèle est toujours actuelle, il y en a toujours, même à un niveau élevé : pensons à certaines organisations de bienfaisance ou humanitaires qui ont beaucoup d’employés, beaucoup, qui ont une structure très riche en personnes et à la fin, quarante pour cent arrive aux pauvres, parce que les soixante servent à payer le salaire de toutes ces personnes. C’est une manière de prendre l’argent des pauvres. Mais la réponse est Jésus.
Et je voudrais m’arrêter ici : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Jn 12,8). C’est une vérité : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous ». Il y a des pauvres. Il y en a beaucoup : il y a le pauvre que nous voyons, mais c’est la partie la plus petite ; la grande quantité des pauvres sont ceux que nous ne voyons pas : les pauvres cachés. Et nous ne les voyons pas parce que nous entrons dans cette culture de l’indifférence qui est négationniste et nous nions : « Non, non, ils ne sont pas si nombreux, on ne les voit pas ; oui, ce cas-là… », diminuant toujours la réalité des pauvres. Mais il y en a beaucoup, beaucoup. Ou bien si nous n’entrons pas dans cette culture de l’indifférence, il y a une habitude de voir les pauvres comme le décor d’une ville : oui, il y en a, comme les statues ; oui, il y en a, on en voit ; oui, cette petite vieille qui fait l’aumône, cet autre… Mais comme [si c’était] quelque chose de normal. Cela fait partie du décor de la ville d’avoir des pauvres.
Mais la grande majorité, ce sont les pauvres, victimes des politiques économiques, des politiques financières. Certaines statistiques récentes résument cela ainsi : il y a beaucoup d’argent dans les mains d’un petit nombre et beaucoup de pauvreté chez un grand nombre. Et c’est cela, la pauvreté de tant de personnes victimes de l’injustice structurelle de l’économie mondiale. Et [il y a] beaucoup de pauvres qui éprouvent de la honte à faire voir qu’ils n’arrivent pas au bout du mois ; beaucoup de pauvres de la classe moyenne, qui vont en cachette à la Caritas et qui demandent en cachette, et qui éprouvent de la honte. Les pauvres sont beaucoup plus nombreux que les riches ; beaucoup, beaucoup… Et ce que dit Jésus est vrai : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous ». Mais est-ce que je les vois ? Est-ce que je me rends compte de cette réalité ? Surtout de la réalité cachée, ceux qui éprouvent de la honte à dire qu’ils n’arrivent pas au bout du mois.
Je me souviens qu’à Buenos Aires, on m’avait dit que le bâtiment d’une usine abandonnée, vide depuis des années, était habité par une quinzaine de familles qui étaient arrivées dans les derniers mois. J’y suis allé. C’était des familles avec des enfants et elles avaient pris chacune une partie de l’usine abandonnée pour y vivre. En regardant, j’ai vu que chaque famille avait des meubles en bon état, des meubles de la classe moyenne, ils avaient la télévision, mais ils étaient venus là parce qu’ils ne pouvaient pas payer leur loyer. Les nouveaux pauvres qui doivent quitter leur maison parce qu’ils ne peuvent pas la payer, vont là-bas. C’est cette injustice de l’organisation économique ou financière qui les conduit à cela. Et il y en a beaucoup, beaucoup, à tel point que nous les rencontrerons lors du jugement.
La première question que nous posera Jésus est celle-ci : « Comment vas-tu avec les pauvres ? Leur as-tu donné à manger ? Quand il était en prison, lui as-tu rendu visite ? À l’hôpital, es-tu allé le voir ? As-tu porté assistance à la veuve, à l’orphelin ? Parce que là, c’était moi ». Et nous serons jugés sur cela. Nous ne serons pas jugés sur le luxe ou les voyages que nous faisons ou sur l’importance sociale que nous aurons. Nous serons jugés sur notre relation avec les pauvres. Mais si, aujourd’hui, j’ignore les pauvres, si je les laisse de côté, si je crois qu’ils n’existent pas, le Seigneur m’ignorera le jour du jugement. Quand Jésus dit : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous », il veut dire : « Moi, je serai toujours avec vous dans les pauvres. Je serai présent là ». Et cela, ce n’est pas faire le communiste, c’est le coeur de l’Évangile : nous serons jugés sur cela.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat